Publié par CEMO Centre - Paris
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"Du Cameroun à la Libye, les passeurs m'ont volé ma vie et ma femme"

jeudi 18/février/2021 - 09:33
La Reference
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*Mahdi, 32 ans, Camerounais actuellement à Douala, est parti en 2016 sur la route de l'exil avec sa femme, alors âgée de 23 ans et enceinte. Leur but : rejoindre l'Europe via l'Italie. Mais au bout de neuf mois d'horreurs, il est revenu seul dans leur pays d'origine. Sa femme a disparu après avoir été enlevée sous ses yeux en Libye. Témoignage.

[Des passages de ce texte peuvent heurter la sensibilité de certains.]

"J'avais déjà tenté la migration, seul, en 2011. J'étais allé en Algérie et, au bout de quelques années, je m'étais fait refouler du pays vers le Niger. J'étais alors retourné au Cameroun et j'y avais retrouvé ma femme que je n'avais pas vue pendant plusieurs années.

En 2016, j'ai décidé de repartir. Avec elle, cette fois-ci. Elle était enceinte.

Un ami m'a dit qu'il y avait un réseau de passeurs qui pouvait nous prendre en charge du Nigeria jusqu'en Libye puis nous aider à passer en Italie. J'avais vu à la télé comment c'était en Libye, mais le passeur m'a rassuré. Il m'a dit : 'Les problèmes, c'est pas dans toute la Libye'. Ca m'a encouragé. 

Mon ami qui m'avait parlé du réseau de passeurs m'a dit qu'il fallait transiter par l'Algérie pour rejoindre la Libye, car la route qui conduit directement du Nigeria à la Libye est très risquée en termes de sécurité.

C'est ce qu'on avait donc convenu avec les passeurs. Mais ça ne s'est pas passé comme ça.

'Dans un ou deux jours, on sera en Algérie'

On a été conduits à Agadez, au Niger. Là, on est montés dans un 4x4. Il y avait environ 20 passagers comme nous dans le véhicule, tous des migrants. C'était surchargé. On nous a dit : 'Dans un ou deux jours, on sera en Algérie'.

On avait emporté des bidons d'eau, des biscuits, de quoi manger un peu... Au début, tout se passait bien. Mais dès le deuxième jour à rouler dans le désert, on a été à court d'eau et de provisions. J'ai compris que ça allait être compliqué. 

>> A (re)lire : Entre peur, chance et débrouillardise, le parcours d'un mineur sénégalais depuis son pays jusqu'à la Méditerranée

Puis on s'est arrêté et on nous a fait changer de véhicule. Nos conducteurs ont été remplacés par de nouveaux hommes. Ils étaient armés de longues carabines, style Kalachnikov. Ils nous ont mis la pression. On a roulé, roulé, roulé. On ne savait pas où on était, mais ce n'était pas l'Algérie. 

Les nouveaux passeurs avaient des fûts d'eau. Ils nous donnaient un peu à boire mais pas suffisamment. Certains migrants se plaignaient de ne pas avoir assez d'eau, ni assez à manger, ils pleuraient, ils criaient. Ceux-là se faisaient frapper.

"Un homme est mort sur place"

La nuit, on dormait un peu sur le sable. C'était en général à ce moment-là que les hommes [les passeurs, ndlr] venaient prendre des femmes de notre groupe. Ils partaient avec elles. Quand elles revenaient, elles nous disaient qu'elles avaient été violées.

Une fois, l'un d'eux s'est approché de ma femme. Je ne pouvais rien faire pour la protéger : j'étais face à des gens armés, dans le désert, au milieu de nulle part. La seule chose que je pouvais faire, c'était demander pitié. Quand ils ont vu que ma femme était enceinte, ils ne l'ont pas touchée.

Un soir après la tombée de la nuit, le quatrième jour, plusieurs personnes ont sauté du véhicule pendant qu'on roulait. Ils voulaient s'enfuir. Un jeune homme est mal tombé, il s'est brisé la nuque, il est mort sur place.

Les conducteurs se sont arrêtés pour poursuivre les personnes en fuite. Ils en ont récupéré cinq qu'ils ont frappées avec la crosse de leurs armes. Je crois que sept autres personnes n'ont pas été retrouvées.

"Dieu merci, ils n'ont pas violé ma femme"

Au bout de six jours de voyage, on a vu des lumières, comme si on arrivait dans un village. C'était la Libye. Ils nous ont mis dans des maisons, les hommes séparés des femmes. J'étais avec des migrants francophones, des Ivoiriens, des Guinéens, plein de nationalités mélangées.

On nous a dit qu'on était en Libye et qu'on allait devoir payer pour pouvoir aller à Tripoli. On était emprisonnés. On m'a dit : 'Si tu ne donnes pas l'argent, on va vendre ta femme'. Je n'avais pas les 600 000 francs CFA [environ 900 euros] qu'ils demandaient pour ma femme et moi. Ils m'ont attaché avec des cordes. Ils me fouettaient à longueur de journée. 

Je ne voyais pas ma femme mais je sais qu'à partir d'un moment ils ont commencé à taper sur elle aussi. Dieu merci ils ne l'ont pas violée, mais ils l'ont beaucoup tapée.

Après deux semaines, j'ai appelé un cousin au Cameroun et je lui ai expliqué la situation. Ma famille a réuni l'argent et on a pu retrouver la liberté.

Les passeurs nous ont amenés à Tripoli. Là, tout a recommencé. On a été à nouveau enfermés, cette fois-ci dans un grand entrepôt. Il y avait plus de mille personnes là-dedans, des femmes, des enfants, tous des migrants.


"