Des Egyptiens que j’ai connus à Paris (27) Orlando, entre Futouma et Dalida
Les Causeries du vendredi à Paris
Des Egyptiens que j’ai connus à Paris (27)
Orlando, entre Futouma et Dalida
A plus de quatre-vingt-cinq ans, Orlando jouit d’une santé de fer et surtout d’une mémoire d’éléphant qui lui permet de se souvenir avec précision de son enfance dans les ruelles populaires Choubra au Caire où il est né, lui et sa sœur Yolanda connue mondialement sous le nom magique de Dalida.
Orlando, de son vrai nom Bruno Gigliotti, était passionné d’art et de musique depuis sa plus tendre enfance, ce qui n’était pas étonnant, car son père était violoniste à l’Opéra du Caire. C’est ainsi qu’Orlando intégra divers groupes de musique du Caire et d’Alexandrie, et il se fit connaître dans les casinos, jusqu’à ce que cet artiste égyptien d’origine italienne attire l’attention des metteurs en scène et en particulier de Hassan al Sayfi. Il participa alors avec Hind Rostom au film Futouma en 1961 dans lequel il chanta la chanson qui porte le titre du film et qui reste dans nos mémoires jusqu’à maintenant, peut-être davantage encore que le film lui-même.
Je l’ai connu à Paris alors qu’il était déjà âgé, et que sa seule activité était de préserver l’héritage de sa sœur Dalida et de commercialiser ses chansons et tout ce qui la concerne dans le monde entier. Je le visitais dans son bureau de la Butte Montmartre où habitait sa sœur, et la visite la plus importante fut celle que j’effectuai avec le grand écrivain et ami Mohammad Salmawy. Elle fut suivie d’autres visites passionnantes avec mon ami Dr Abdelrahim Ali qui n’allait jamais à Montmartre sans visiter la statue de Dalida.
Orlando portait l’Egypte et surtout le quartier de Choubra dans son cœur, et il continuait à parler le dialecte du Caire, et à rêver de revenir ne serait-ce qu’une fois en Egypte avant de quitter ce monde.
Pourtant, Orlando continuait de renfermer en lui les trois cultures dont il était issu : l’égyptienne, l’italienne et la française, car bien qu’il vive à Paris et soit français, il parle français avec un fort accent italien. Et bien qu’il porte en lui deux civilisations européennes et latines : la française et l’italienne, il vit au contact de l’héritage de sa sœur qui avait chanté en arabe et joué des rôles importants dans le cinéma égyptien, de « Un verre et une cigarette » au « Sixième jour ». Il vit ainsi quotidiennement avec les souvenirs égyptiens de sa sœur, et il ne peut retenir parfois des termes du dialecte du Caire, qu’il affectionne, en général lorsqu’il s’énerve et profère des insultes légères.
Et lorsqu’il contribua avec la grande écrivaine et directrice de la maison d’édition Orients, Isabelle Baudis, à la publication du catalogue illustré sur la vie de Dalida, la plupart de ces photos concernaient sa vie en Egypte, et Orlando, qui vivait entre les trois civilisations, ne pouvait oublier le passé de sa sœur dans les ruelles de Choubra ni le sien entre les casinos d’Alexandrie en été et les théâtres du Caire en hiver.
Le côté attachant de la personnalité d’Orlando aujourd’hui est cette chaleur qui émane de lui et cette façon de parler qui résume toutes les cultures de la Mer méditerranée. Car Orlando est un homme qui personnifie le dialogue entre le nord et le sud de la Méditerranée et représente le dialogue des civilisations latines et arabes, qui est un dialogue vivant qui sort du cadre de tous les colloques que nous organisons, nous les lettrés, sur le dialogue des civilisations, des religions et des cultures, tout en sachant que la réalité est différente. Et peut-être peut-on trouver dans une vie comme celle d’Orlando une personnification brillante de tout ce dont on peut rêver de fraternité et d’avenir commun avec l’Europe, même si Orlando lui-même est resté pris entre Futouma l’Egyptienne et l’Orientale, et Dalida l’Italienne et la Française. Mais le moment est venu d’arrêter d’écrire et de lire pour jouir de la voix d’Orlando chantant Futouma sur fond de danse de la magicienne Hind Rostom.