Vivre avec le virus ou tenter de s'en débarrasser ? La France à l'heure du débat sur la stratégie "zéro Covid"
L'émergence de nouveaux variants a relancé le débat : faut-il se contenter de circonscrire et d'atténuer l'épidémie de Covid-19 – avec la volonté de ménager l'activité économique et préserver la santé psychologique des Français – ou bien faut-il mettre en place des mesures bien plus fermes dans une logique de suppression ? La première stratégie nécessite une adaptation très rapide des mesures à la situation sanitaire ("stop and go"), tout en tolérant un certain seuil de circulation du virus. La seconde envisage des mesures drastiques par anticipation, sans attendre une flambée dans les services de soins intensifs, ainsi qu'un traçage très étroit des cas à l'aide de différents outils. Dans Le Monde, un collectif de médecins, économistes et politistes signe une tribune et plaide pour cette solution.
La France estime être capable de conserver le contrôle sur l'épidémie. Pas de nouveau confinement généralisé. Voici le cap. Du moins pour le moment. "L'objectif que nous devons nous fixer, ce n'est pas de retarder cette échéance, c'est de tout mettre en œuvre pour l'éviter", a déclaré le Premier ministre, Jean Castex. Les mesure seront renforcées "chaque fois que c'est nécessaire", a-t-il ajouté. Sous-entendu : quand les indicateurs seront mauvais. Ce choix cornélien offre une variété de réponses selon les Etats, mais l'Allemagne semble accélérer, en maintenant les écoles et les commerces non-essentiels clos ou en fermant certaines des frontières bavaroises (République tchèque, Tyrol autrichien).
Plusieurs virologues allemands souhaitent désormais utiliser les recettes appliquées au début de l'épidémie dans certains pays asiatiques. L'Australie et la Nouvelle-Zélande sont également citées en exemple. La Première ministre néo-zélandaise, Jacinda Ardern, n'a pas hésité à décréter trois jours de confinement pour les 1,7 million d'habitants d'Auckland, après la découverte de trois cas positifs. Ces situations, il est vrai, sont parfois difficiles à comparer avec la France, à la fois pour des raisons géographiques (insularité, densité de population...) et d'acceptabilité des outils mobilisés (la Corée du Sud a très fortement recouru aux données de localisation, par exemple, et même aux relevés de cartes de crédit).
Des mesures moins strictes mais plus coûteuses à terme ?
Alors que la situation reste tendue dans les hôpitaux français, sans atteindre jusqu'à maintenant la flambée des mois de mars ou de novembre dernier, plusieurs membres du Conseil scientifique ont récemment défendu l'idée d'un confinement préventif. Mais toujours à titre individuel, sans que ces prises de position ne fassent l'objet d'une proposition commune ou d'un avis officiel transmis au gouvernement. Interrogé par Le Monde sur la stratégie du "zéro Covid", l'épidémiologiste Arnaud Fontanet s'est contenté de la formule suivante : "Un peu trop éloigné des arbitrages en cours. Sujet intéressant au demeurant."
Mi-décembre, une vingtaine de scientifiques avaient cosigné un appel, dans la revue The Lancet (en anglais), à mettre en place des mesures plus fermes. Le bénéfice sanitaire attendu n'était pas le seul argument avancé. Alors que les stratégies d'atténuation visent à maintenir l'activité, les auteurs soulignaient au contraire que "le coût économique des confinements augmentait avec leur durée" et qu'il était donc contre-productif de laisser une telle situation délétère s'installer. En prenant 300 nouveaux cas quotidiens par million, et dix contacts par cas, ils estimaient que 3% de la population devrait rester à l'isolement. Avec, pour conséquence, une très forte réduction de la "force de travail".
Assouplir les restrictions, et donc accepter un nombre de cas plus élevé, relève d'une stratégie de court terme qui conduira à une autre vague, et donc à des coûts plus élevés pour la société dans son ensemble.
Collectif de chercheursdans "The Lancet", le 18 décembre 2020
Par ailleurs, la mise en œuvre de mesures drastiques permettraient d'abaisser le nombre de cas et de rendre de nouveau efficaces les efforts de traçage. Contrôler la diffusion devient en effet difficile, voire impossible, quand l'épidémie atteint des seuils trop élevés. Pour que la traque soit opérante, il faudrait "idéalement" moins de 1 000 nouveaux cas par jour, estime l'épidémiologiste Antoine Flahaut, interrogé par l'agence AEF, et "en tout cas au-dessous de 5 000". La France en est loin. Au mois de février, le rythme de croisière tourne autour de 20 000 nouveaux cas par jour.
Confiner, et "mieux" déconfiner
"Plus le confinement sera strict et général, plus il sera court et efficace", ajoute le chercheur, grand promoteur de cette stratégie. Il table sur une réduction du R0 [le nombre moyen de personnes pouvant être infectées par un malade] à 0,7 qui puisse permettre, chaque semaine, de diviser par deux le nombre de cas journaliers. Si la France choisit le reconfinement strict "pour quelques semaines", avant même d'être entrée en "crise aiguë", elle pourra de nouveau "s'engager dans une stratégie 'zéro Covid' durable" qui permettra de rouvrir les bars, les restaurants et les lieux culturels. C'est également l'analyse de Bruno Riou, directeur médical de crise de l'AP-HP, auteur d'une tribune récente parue dans Le Monde.