L’exil des Libyens en Tunisie s’éternise, l’espoir s’amenuise Abonnés
Dix ans après le début de la révolte contre Mouammar
Kadhafi, les Libyens installés en Tunisie voisine espèrent rentrer un jour chez
eux. Mais ils restent sceptiques quant aux élections annoncées pour décembre.
Ibrahim a la voix qui se noue lorsqu’il
évoque sa jeunesse en Libye.
Après dix ans d’exil à Tunis, il rêve de rentrer auprès des siens à Tripoli.
Marié à une Tunisienne, ce Libyen de 38 ans a fui en 2011, après avoir été
accusé d’être pro-Kadhafi, kidnappé et jeté en prison pendant huit mois, comme
nombre de ses compatriotes.
Une fois en Tunisie, il s’est d’abord
installé dans un quartier tunisois peuplé par une importante communauté
libyenne, puis s’en est éloigné par peur des représailles mais aussi car sa
situation économique s’est dégradée. « Au début ça allait, ma famille m’envoyait
de l’argent et d’anciens responsables aidaient financièrement les Libyens à
Tunis, mais maintenant c’est de pire en pire », déplore cet ancien chauffeur de mini-bus.
Ce père de trois enfants travaille désormais
dans les champs pour une centaine d’euros par mois, loin de l’image habituelle
d’une diaspora libyenne fortunée. S’il se sent intégré, il évoque des
difficultés rencontrées auprès des autorités notamment pour inscrire ses
enfants à l’école, qu’il a préféré enregistrer comme Tunisiens.
Difficile d’évaluer le nombre de Libyens en
Tunisie
Comme lui, beaucoup ont fui le pays après le
début des manifestations à Benghazi le 15 février 2011, suivies de la chute de
Mouammar Kadhafi. Mais le conflit s’éternisant, ils ont été rejoints par de
nombreux autres compatriotes, qui n’ont pas besoin de visa pour franchir la
frontière conformément à un accord bilatéral entre les deux pays. Il est
difficile d’évaluer le nombre de Libyens installés en Tunisie, en l’absence de
statistiques officielles et tant les allers-retours sont fréquents.
La paix est-elle
possible en Libye ?
Fouad al-Awam, lui, est arrivé en 2013.
Aujourd’hui à la tête d’une chaîne de restaurants, il vit toujours entre les
deux pays. « Ma
femme et mes six enfants vivent en Libye et font les allers-retours », explique l’homme d’affaires, installé dans
son bureau d’une banlieue cossue de Tunis. Lui aussi a fui après s’être fait
kidnapper par une milice « affiliée aux islamistes », à Tripoli. « On considérait que j’étais avec le régime,
car je travaillais dans une commission publique pour la presse », affirme le quadragénaire, dont les mains se
crispent lorsqu’il fait le récit douloureux de sa captivité et des tortures
subies.
L’élection du 5 février, une « mascarade »
S’il se sent bien en Tunisie, ce natif de Benghazi
rêve de rentrer chez lui. Mais, tout comme Ibrahim, il a peu d’espoir face à ce
qu’il dénonce comme « une mascarade », à savoir l’élection le 5 février de nouveaux dirigeants
par 74 représentants choisis dans le cadre du dialogue politique mené sous
l’égide de l’ONU et censés préparer des élections pour décembre.
L’ONU choisit
enfin son émissaire en Libye
« Les gens à l’ONU étaient déjà avec le
système d’avant, je ne crois pas en eux », explique Ibrahim, qui ne voterait que « pour Saif al-Islam », le fils de Kadhafi, dont le sort reste un
mystère. Fouad al-Awam accuse même les puissances étrangères de vouloir
faire « de
la Libye un nouvel Irak » : « L’ONU, l’UE, l’Italie, la France, ne
veulent pas que la Libye se stabilise car le pays est riche en ressources :
pétrole, phosphates, or… et ils veulent leur part. » Lui-même rêve d’« un gouvernement fort et souverain », une solution impossible à ses yeux en
raison des ingérences étrangères comme des milices libyennes.