Les politiques sécuritaires et de renseignements de l’Union européenne pour faire face aux menaces terroristes
Dr Mubarak Ahmad
– Expert en systèmes comparés
Introduction
Depuis l’annonce
par l’organisation Daech de l’établissement de son soi-disant califat en Irak
et en Syrie en juillet 2014, sous la direction d’Abou Bakr al-Baghdadi, les
pays européens ont dû changer notablement leur façon d’appréhender les sources
de menace pour leur sécurité nationale, en prenant en compte l’enrôlement de
nombre de jeunes Européens dans les organisations terroristes dans les zones de
conflits armés, ainsi que leur exécution de nombreuses opérations terroristes
en Europe, et en premier lieu ceux appartenant à Daech, en visant les grandes
capitales comme Paris, Bruxelles ou Londres. C’est ainsi que les grandes villes
sont devenues la cible des opérations de cette organisation et de ses loups
solitaires qui se sont répandus dans les sociétés européennes.
Et avec
l’augmentation des sources de menaces pour la sécurité européenne, l’Union
européenne a renforcé ses stratégies sécuritaires et de renseignements, pour
faire face aux changements qualitatifs dans la nature des opérations
terroristes, après que les organisations terroristes eurent réussi à exploiter
les réseaux sociaux pour recruter de jeunes Européens marginalisés et à la
recherche d’aventures héroïques et de vaines gloires, ou le phénomène de
l’émigration dans les pays européens. Outre les problèmes liés au financement
et aux répercussions du retour des combattants des zones de conflits sur la
sécurité européenne, et aux politiques d’intégration, de neutralisation et de
conseils idéologiques, et les limites de leur impact sur ceux qui adoptent des
idées extrémistes et terroristes en Europe.
L’étude cherchera
à analyser les politiques de l’Union européenne en matière de sécurité et de
renseignements pour faire face aux menaces terroristes, et comprendra trois
parties : les législations européennes pour combattre le terrorisme ;
les politiques de l’Union européenne pour faire face aux menaces terroristes ;
et les défis qu’elle doit affronter et qui entravent son action sécuritaire et
de renseignements.
Premièrement : Les législations européennes en matière de
sécurité et de renseignements pour lutter contre le terrorisme
Parmi les
législations européennes en matière de sécurité et de renseignements visant à
lutter contre les menaces terroristes, citons la Convention européenne pour la
prévention du terrorisme, qui date de 2005, et dont l’objectif principal est de
prendre des mesures efficaces pour lutter contre le terrorisme et affronter les
menaces de perpétration de crimes terroristes, d’enrôlement et d’entraînement
en vue d’actes terroristes.
La Convention
stipule que son but est de soutenir les efforts des parties pour empêcher le
terrorisme et ses conséquences négatives sur les droits de l’homme, en
particulier le droit à la vie, et cela en prenant des mesures au niveau
national, conformément aux traités et accords dans ce domaine. La Convention
impose aussi aux parties de prendre les mesures nécessaires en créant des
autorités chargées d’appliquer la loi, et dans le domaine de l’éducation, de la
culture et de l’information, dans le but d’empêcher les crimes terroristes, et
de respecter les droits de l’homme. Concernant les sanctions, les articles de
la Convention stipulent que les parties concernées doivent prendre les mesures
nécessaires pour imposer des sanctions efficaces et dissuasives pour les crimes
mentionnés dans la Convention, dans le cadre du respect des droits de l’homme,
en particulier le droit à la liberté d’expression et de croyance. L’article 13
stipule la prise des mesures nécessaires pour protéger les victimes du
terrorisme, grâce à des plans nationaux et conformément aux législations
locales. La Convention stipule aussi la nécessité d’une enquête et la prise par
la partie concernée des mesures nécessaires conformément à la loi locale, pour
enquêter sur les événements dont font état les informations disponibles dans le
but de poursuivre et livrer les terroristes tout en autorisant les
communications avec le représentant le plus approprié de l’Etat, conformément
aux lois de la partie sur le territoire de laquelle se trouve l’auteur du
crime.[i]
Et dans le
contexte d’une augmentation des menaces terroristes et de l’émigration
clandestine dans les pays européens après les révoltes arabes, et l’apparition
du phénomène des combattants terroristes dans les rangs des organisations
terroristes et extrémistes dans les zones de conflits armés, l’Union européenne
a adopté en octobre 2015 le protocole additionnel à la Convention du Conseil de
l’Europe pour la prévention du terrorisme, qui criminalise l’appartenance aux
groupes et organisations terroristes, et le voyage pour combattre et participer
aux camps d’entraînement et d’enrôlement, et l’organisation du voyage des
combattants ainsi que leur soutien matériel. Aux termes du protocole, les pays
membres de l’Union européenne doivent échanger les informations de
renseignements et créer des centres de communication qui oeuvrent pour réaliser
la coopération souhaitée[ii].
Le protocole vise
à harmoniser les lois des pays membres relatives à la lutte contre le
terrorisme, et à encourager la coopération et la coordination entre eux, car il
a été préparé suite aux menaces représentées par les combattants européens
revenant chez eux après leur participation aux combats dans les rangs des
organisations terroristes en Syrie et en Irak, dont Daech, qui a fourni à ces
combattants et aux loups solitaires l’environnement adéquat pour perpétrer des
opérations terroristes en Europe, qui était restée loin des opérations
terroristes répétées. De même, l’adoption par l’Europe du protocole reflète sa
volonté d’appliquer la résolution du Conseil de sécurité numéro 2178 de l’année
2014, sous le titre « les dangers qui menacent la paix et la sécurité
suite aux opérations terroristes internationales, pour combattre les
terroristes étrangers armés au niveau local ». Et cela conformément au
chapitre sept de la Charte des Nations unies.
Le Conseil de
sécurité des Nations unies avait adopté à l’unanimité en septembre 2014 la
résolution 2178 qui appelle à arrêter le flux des combattants étrangers à
travers les frontières et en particulier celles de Syrie et d’Irak. La résolution
insiste sur la nécessité d’une application totale et immédiate de ses termes
s’agissant des combattants liés aux organisations Daech et Jabhat an-Nusra, ainsi
qu’aux cellules de l’organisation al-Qaïda ou des groupes qui lui sont liés ou
en sont issus.
Le Conseil de
sécurité définit dans sa résolution les combattants étrangers comme « ces
individus qui voyagent vers un pays autre que celui où ils résident ou dont ils
portent la nationalité, dans le but de commettre des actes de terrorisme, de
les planifier, de les préparer, d’y participer, de fournir une formation à des
actes de terrorisme ou de la recevoir.[iii]
La France a
approuvé les amendements introduits dans le Traité du Conseil de l’Europe en
août 2017 visant à faire face aux combattants terroristes étrangers et qui sont
entrés en application au début juillet 2017. Paris est la huitième capitale
européenne jusqu’en août 2017 à avoir approuvé ce traité qui ajoute de nouveaux
crimes à la liste qui existe déjà : le financement du terrorisme, le fait
de recevoir un entraînement au terrorisme, et le voyage à l’étranger pour
pratiquer le terrorisme. Il suffisait que six pays du Conseil de l’Europe
l’approuvent pour qu’il entre en application, et cela fut fait en juillet 2017,
puisqu’il a été approuvé par l’Albanie, la Bosnie, le Danemark, l’Italie, le
Lituanie, Monaco et la Moldavie.[iv]
Au niveau des
législations nationales, les pays les plus importants de l’Union européenne ont
approuvé des législations nationales qui renforcent les mesures sécuritaires et
de renseignements pour faire face aux menaces terroristes et à leurs
changements qualitatifs. C’est ainsi que le Sénat français a approuvé un
nouveau projet de loi anti-terroriste présenté par le gouvernement français
comme alternative à la loi d’urgence, et qui entrera en vigueur en novembre
2018. En effet, l’Agence France Presse a indiqué que 229 députés avaient
soutenu le texte du projet de loi en première lecture, tandis que 106 s’y
étaient opposés, ajoutant que le projet jouissait du soutien des membres du
Parti républicain, des partis du Centre, du Parti « la République en
marche » dirigé par le président Macron, et du bloc « Rassemblement
démocratique et social européen », tandis que les députés socialistes et
communistes ont voté contre.
D’autre part, le
Sénat français a approuvé en juillet 2017 les amendements introduits par la Commission
des lois et qui stipulent l’élargissement des prérogatives des services de
sécurité, en leur permettant de prendre des mesures individuelles de détention
administrative, de surveillance, de perquisition à domicile, de confiscation
etc. Le projet prévoit aussi un système de suivi des données relatives aux
dossiers des voyageurs par avion, outre la fixation d’un nouveau cadre
juridique de surveillance des télécommunications sans fil, et d’élargissement
des possibilités d’arrestation dans les zones frontalières.[v]
En
Grande-Bretagne, la nouvelle stratégie anti-terroriste annoncée par le ministre
de l’Intérieur Sajid Javid le 4 juin 2018 a donné lieu à l’adoption des
amendements aux lois anti-terroristes pour faire face à ce qu’il a appelé
« le changement de la nature des terroristes ». La stratégie comprend
les axes principaux suivants : la construction de relations plus fortes
avec les sociétés technologiques, la coopération dans l’échange d’informations
entre le service de sécurité MI5, la police et les autorités locales, ainsi que
le secteur privé, concernant 20000 citoyens britanniques soupçonnés d’avoir des
tendances terroristes.
Le ministre
britannique de l’Intérieur a mentionné parmi les mesures visant à renforcer la
sécurité dans le pays selon la nouvelle stratégie : l’allongement de la
durée d’emprisonnement pour certains crimes, le durcissement des mesures contre
les militants d’extrême-droite, en tant qu’ils représentent la plus grande
menace avec les extrémistes islamistes, surtout que les dangers résultant de
leurs pratiques augmentent. En effet, Daech et l’extrême-droite sont plus semblables
que le pensent certains, car ils exploitent les injustices et déforment la
réalité, en détruisant les valeurs de liberté en Grande-Bretagne. Sajid Javid a
également annoncé l’affectation de 50 millions de livres sterlings
supplémentaires à la lutte contre le terrorisme, ce qui porte son budget à 750
millions de LS. Pour être plus efficace, la nouvelle stratégie s’appuiera sur
une législation nouvelle pour permettre à la police et aux services de sécurité
de déjouer de façon préventive les attaques terroristes. Cette législation
comprendra la mise à jour de la liste des crimes considérés comme terroristes
pour être en harmonie avec l’ère numérique et refléter les nouvelles formes de
terrorisme, outre le durcissement des peines pour les crimes terroristes, et la
possibilité pour les tribunaux britanniques d’enquêter sur les attaques
terroristes ayant lieu à l’étranger.[vi]
Quant à
l’Allemagne, elle a approuvé en 2016 un ensemble de lois anti-terroristes qui
permettent aux autorités sécuritaires de frapper les réseaux terroristes de
façon préventive en introduisant des agents secrets dans les rangs des groupes
extrémistes et des réseaux terroristes, en combattant le crime organisé et en
particulier les gangs de trafic de migrants et d’armes, tout en encourageant l’échange
d’informations à vaste échelle avec les agences de renseignements alliées et
étrangères. Les mesures anti-terroristes comprennent aussi l’augmentation des
forces de police et le déploiement d’officiers habillés en civil. Les services
de renseignements allemands ont également adopté un nouveau système
d’évaluation des risques appelé « le Radar de Daech ».[vii]
Deuxièmement :
Politiques de l’Union européenne en matière de sécurité et de renseignements
pour faire face au terrorisme
Ces politiques
sont basées sur la coopération entre ses institutions et la complémentarité de
leurs efforts. Ces institutions les plus importantes sont :
1)
La Commission européenne :
La
Commission européenne a révélé un plan sécuritaire pour la période 2015-2020 visant
à encourager la coopération entre les pays européens dans la lutte contre le
terrorisme, le crime organisé et les crimes électroniques. Le plan repose sur
la détermination des outils qui seront utilisés dans le travail commun pour
garantir la sécurité et faire face à ces menaces de façon plus efficace. Il
prévoit aussi la création d’un centre pour regrouper et transmettre les
compétences sur la lutte contre l’extrémisme et fournir un cadre juridique pour
traiter avec le phénomène des combattants étrangers et renforcer la coopération
avec les autres pays. Le plan prévoit aussi l’élaboration d’une nouvelle
législation pour lutter contre le financement du terrorisme, et faciliter la
confiscation des biens provenant des activités criminelles. Par ailleurs, la
Commission européenne a adopté en janvier 2015 de nouvelles mesures de
traitement des informations dans l’Espace Schengen où les citoyens européens
peuvent se déplacer librement. Ces mesures comprennent l’autorisation d’un
échange rapide des informations entre les autorités chargées d’appliquer la
loi, les services de sécurité et les garde-frontières, dans les pays membres,
et en particulier s’agissant des individus soupçonnés de relations avec le
terrorisme. Le Commission indique aussi que les nouvelles mesures renforcent
les efforts des pays membres pour trouver les cartes d’identité des personnes
qui projettent de s’enrôler dans des groupes terroristes à l’extérieur du
l’Union européenne, ce qui contribue dans une large mesure à une surveillance
plus efficace des frontières. C’est ce que la Commission cherche à réaliser en
coopération avec les pays membres, pour renforcer la sécurité des frontières
dans un cadre légal de façon à affronter les menaces terroristes »[viii].
2)
Le Parlement européen
La Commission des
libertés et des droits fondamentaux au Parlement européen a approuvé en
décembre 2015 la création d’une base de données relative aux voyageurs par
avion quittant l’Union européenne ou s’y rendant. Et cela après des discussions
et des divergences entre les représentants des pays de l’Union qui ont duré
près de cinq ans, du fait des craintes relatives au problème de la
confidentialité des données. Jusqu’à ce que se produisent les attaques
terroristes de Paris qui ont fourni les justifications à ces mesures, surtout
que nombre d’institutions et de gouvernements européens y ont vu la nécessité de
trouver une solution globale et efficace au problème du suivi des mouvements
des terroristes. L’accord stipule ainsi la conservation des données relatives à
tous les voyageurs par avion en Europe pendant six mois dans des bases de
données que les autorités compétentes pourront consulter dans le cadre
d’enquêtes sur le terrorisme et les crimes transfrontaliers. Et en février
2018, les membres du Parlement européen ont voté au sein de la commission des
Affaires étrangères en faveur d’un projet de résolution prévoyant de nouveaux
moyens pour empêcher l’arrivée des fonds aux terroristes et insistant sur la
nécessité d’échanger les informations de renseignements dans le cadre d’une
meilleure coordination entre les pays membres, et de suivre de plus près les
opérations financières. 55 membres ont voté en faveur des nouvelles suggestions,
un parlementaire s’y est opposé, et 5 députés se sont abstenus. L’auteur du
projet, le parlementaire Javier Nart, a affirmé : « Nous avons adopté
une nouvelle méthode visant à empêcher le transfert des fonds aux groupes
terroristes ». Et la suggestion la plus remarquable à ce propos est
peut-être la création d’une plateforme d’informations commune et d’un centre de
coordination des services de renseignements, de vérification des cartes de
paiement inconnues, d’enregistrement des discussions et des actes semblables et
de surveillance des fonds reçus par les centres culturels et les lieux de
culte. Et en janvier 2018, un vote a été organisé au sein de la Commission des
libertés civiles du Parlement européen sur une suggestion relative aux casiers
judiciaires prévoyant la création d’une base de données centrale nouvelle pour
les ressortissants de pays extérieurs à l’Union europénne, dans le but de
parfaire le système européen d’informations relatives aux casiers judiciaires,
utilisé par les pays membres pour échanger les informations sur les
condamnations antérieures[ix].
La suggestion a été adoptée par 47 voix pour et 6 contre.
3)
Le Conseil des ministres de l’Intérieur et de la Justice de l’Union
européenne : le Conseil
des ministres de l’Intérieur et de la Justice de l’Union européenne a décidé en
novembre 2015 de permettre à la justice pénale de répondre plus fermement à
l’extrémisme violent qui mène au terrorisme. Les ministres ont indiqué dans le
communiqué final publié à l’issue des discussions sur cette question qui ont eu
lieu à Bruxelles que l’extrémisme conduit au terrorisme, ce qui pose de
nombreux défis auxquels il faut faire face au niveau judiciaire, par une
coordination commune conformément aux traités. Les ministres se sont mis
d’accord sur la nécessité de suivre une méthode multisectorielle et
pluridisciplinaire pour affronter avec efficacité l’extrémisme violent et le
terrorisme, en prenant en compte les divers aspects de la question comme la
prévention, l’enquête, le jugement, la condamnation, la réadaptation et la
réintégration. Le Conseil des ministres de l’Intérieur et de la Justice a
également décidé d’améliorer la coopération en renforçant l’utilisation des
moyens permettant de faire face au trafic d’armes à feu pour combattre le
terrorisme.[x]
4)
La police européenne (Europol) : l’Agence Europol qui a commencé ses activités en juillet 1999 est
l’une des agences européennes les plus importantes chargées d’appliquer les
lois et de protéger la sécurité en Europe en fournissant un soutien aux pays
membres de l’Union européenne dans les domaines de la lutte contre les grands
crimes internationaux et le terrorisme. Elle travaille en étroite collaboration
avec les services de sécurité des pays de l’Union européenne et de certains
pays extérieurs à l’Union, comme l’Australie, les Etats-Unis, le Canada, ou la
Norvège. Elle présente des services aux agences de renseignements pour prévenir
les crimes, enquêter à leur propos lorsqu’ils surviennent, et poursuivre et
arrêter leurs auteurs. Ceux qui travaillent à Europol viennent de diverses
branches sécuritaires européennes dont les services de police ordinaires, la
police des frontières et la police des douanes.[xi]
L’opération la plus récente réalisée par Europol a eu lieu en avril 2018, lorsque
l’agence a frappé avec force la propagande de l’organisation Daech sur
Internet : les spécialistes de l’Internet dans les pays européens, le
Canada et les Etats-Unis ont alors visé les sites Internet de l’organisation
dont l’agence d’information Amaq considérée comme son porte-parole officiel.
Europol a coordonné son attaque avec toutes les parties concernées et a réussi
à mettre la main sur les preuves et les serveurs numériques. De son côté, le directeur
d’Europol, Rob Wainwright, a affirmé que la dernière opération des 24 et 25
avril 2018 avait grandement réduit la capacité de Daech à diffuser sa
propagande et à pousser les jeunes vers l’extrémisme. L’unité d’orientation par
l’Internet pour lutter contre le terrorisme en Grande-Bretagne a dirigé
l’opération de détermination et de réorientation des sites Internet utilisés
par les djihadistes de l’organisation, selon le communiqué d’Europol.[xii]
5)
Formation de l’Euroforce : c’est une force spéciale qui peut intervenir par terre et par mer,
pour des considérations sécuritaires et humanitaires approuvées par le commandement
général de cette force, constituée en 1996 par une décision des quatre pays
européens riverains de la Méditerranée : la France, l’Italie, le Portugal
et l’Espagne. Elle est constituée de forces terrestres et navales dont la
mission est de protéger la sécurité et la stabilité des frontières sud de
l’Europe.[xiii]
6)
Création de l’Agence Frontex : c’est un organisme indépendant spécialisé chargé de coordonner la
coopération opérationnelle entre les pays membres dans le domaine de la
protection des frontières. C’est l’Union européenne qui l’a instituée en 2004, dans
le cadre du renforcement de la surveillance des frontières européennes pour
limiter l’immigration clandestine. Sa mission principale est d’améliorer la
coopération opérationnelle entre les pays membres dans le domaine de la gestion
des frontières extérieures et d’aider ces pays à former leurs
gardes-frontières, à développer les recherches liées au contrôle des frontières
extérieures et à leur surveillance, à aider les pays membres dans des
circonstances qui exigent un renforcement du soutien technique et opérationnel
aux frontières, et à fournir aux pays membres le soutien nécessaire dans
l’organisation des opérations de retour communes[xiv].
Troisièmement :
les défis que doit affronter l’Union européenne
On peut résumer
ainsi les défis que doivent affronter les institutions de l’Union européenne,
et qui entravent les efforts sécuritaires et de renseignements pour affronter
le terrorisme :
1)
Crise des combattants de retour : les chiffres divergent concernant le nombre des combattants
européens dans les rangs des organisations terroristes, et il est estimé à un
minimum de 4000 combattants, répartis entre la Russie, la France, la
Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Belgique, la Suède et d’autres pays européens.
D’autres estimations indiquent que ce nombre atteint 90000 combattants
étrangers. Ce qui est sûr, c’est que la difficulté à connaître leur nombre avec
précision complique sérieusement la tâche de les affronter et de réduire leur
danger pour la sécurité et la stabilité européennes, ce qui représente un défi
pour les services de sécurité et de renseignements européens, surtout
concernant les nouvelles générations appelées par Daech « les lionceaux du
califat », c’est-à-dire les fils de ses combattants, que Daech compte
utiliser comme « loups solitaires » à leur retour dans leurs patries
d’origine. Cela a été confirmé par les rapports d’Europol publiés en juin 2018,
qui indiquent que les attaques terroristes contre des cibles européennes ont
plus que doublé en 2017. Et l’Agence a mis en garde contre une une
intensification de ces attaques suite à la défaite de Daech au Moyen-Orient. Ils
affirment aussi que davantage de combattants étrangers chercheront à rentrer en
Europe. C’est pourquoi les gouvernements occidentaux craignent de devenir à
leur tour la cible du terrorisme, avec le retour de milliers de terroristes
qu’ils avaient encouragés à partir pour la Syrie, et qui risquent de diffuser
la pensée extrémiste parmi les jeunes, et de perpétrer des attaques et des
crimes dans les villes européennes qui connaissent dans une large mesure la
liberté et la stabilité.[xv]
2)
Divergences dans les politiques européennes de lutte contre le terrorisme
et l’extrémisme : des divergences existent entre les législations nationales des pays et
celles des institutions européennes. C’est pourquoi le projet de résolution
proposé par le Parlement européen en février 2018 concernant les moyens
nouveaux d’empêcher le financement des terroristes a appelé le Conseil de
l’Europe, la Commission européenne et le Service européen pour l’action
extérieure à se mobiliser à divers niveaux dont les plus importants sont :
le renforcement de l’échange d’informations préventives, la coordination entre
les institutions financières, les services de police et de renseignements, et
les organes judiciaires, par le biais d’une plateforme européenne de
renseignements financiers pour lutter contre le terrorisme, qui pourrait être
gérée par Europol. Elle comprendra une base de données sur les transactions
suspectes, l’établissement d’une liste des individus et entités travaillant
dans le cadre d’organisations obscures ou connues pour leurs transactions
suspectes, et et leurs pratiques
frauduleuses, le renforcement de la surveillance des organisations pratiquant
le commerce illicite, la contrebande, la falsification et la fraude, l’imposition
aux banques d’un contrôle des cartes de paiement prépayées, pour garantir que
leur rechargement ne se fasse que par les virements bancaires et les comptes
bancaires, la surveillance des lieux de culte et d’enseignement, des centres et
des associations caritatives et culturelles, en cas de forte suspicion d’un
lien entre eux et les groupes terroristes. Et enfin, l’amélioration de la
surveillance des moyens traditionnels de virement des fonds, et la question de
savoir si les monnaies virtuelles, numériques et autres contribuent au
financement du terrorisme et doivent être soumises aux règles de l’Union
européenne.[xvi]
3)
Faiblesse de la coordination sécuritaire entre les pays de l’Union
européenne : en effet,
selon Europol, de nombreux pays membres de l’UE n’ont pas été connectés aux
bases de données créées par l’Agence qui estime que 5000 citoyens de l’Union
européenne sont partis combattre en Syrie et en Irak, tandis que 2786 seulement
ont été enregistrés dans ses bases de données. De même, plus de 90% de ces
combattants viennent des pays membres de l’UE, et l’Agence appelle donc à un
meilleur échange d’informations de renseignements entre ses membres.[xvii]
4)
Le lien entre les crises du Moyen-Orient et les menaces terroristes en
Europe : l’Union
européenne a besoin d’une stratégie complète pour affronter les changements
survenus au sud de la Méditerranée, suite à l’augmentation des conflits de la
Syrie à la Libye, et la guerre contre le terrorisme qui en a résulté. Outre le
problème des réfugiés qui a révélé un défaut dans l’action institutionnelle
européenne, et a mis les symboles du système de valeurs européennes à
l’épreuve. En effet, la plupart de ceux qui ont planifié et exécuté les
attaques de Paris et de Bruxelles sont nés en Europe et portent la nationalité
de leur pays de naissance. Ce qui met en exergue la crise de la citoyenneté qui
a poussé les Européens d’origine arabe, africaine ou asiatique à se replier sur
leur identité religieuse ou ethnique. C’est ainsi qu’apparaît, dans les grandes
villes européennes et leurs banlieues, l’échec social d’une catégorie de jeunes
marginalisés et non intégrés, dont certains considèrent la religiosité comme un
moyen d’oublier leur passé de délinquants. Ils passent ainsi du monde du crime
et des drogues aux réseaux terroristes, en se dirigeant vers ce qu’ils
considèrent comme les terres du djihad de l’Afghanistan à la Bosnie et
l’Algérie, puis à l’Irak et à la Syrie. Et la proclamation du califat par Daech
en 2014 et sa prise de contrôle de vastes territoires proches de l’Europe ont
été un moyen d’attirer des jeunes à la recherche d’aventures, ou croyant à une
idéologie sans valeur[xviii].
Conclusion : il ne fait pas de doute que les politiques de l’UE en
matière de sécurité et de renseignements contribuent à limiter les risques des
menaces terroristes pour les pays de l’Union. Et parmi les mesures les plus
importantes prises récemment figure l’adoption par le Parlement européen en
avril 2018 d’une suggestion de la Commission européenne visant à davantage de
transparence financière pour améliorer les performances de la lutte contre le
financement du terrorisme et empêcher le blanchiment des fonds et le crime
organisé. De même, le Conseil de l’Europe et le Parlement européen ont annoncé
en juin 2018 qu’une solution politique avait été trouvée à propos de la
suggestion de la Commission européenne concernant le renforcement du système de
Schengen d’échange d’informations entre les renseignements, les
gardes-frontières et la police, de façon à garantir une meilleure surveillance
de ceux qui traversent les frontières de l’UE et d’aider la police à arrêter
les terroristes liés à Daech. Il reste cependant des défis à relever pour
supprimer les obstacles à l’application de ces politiques dans les pays de
l’Union, comme l’insuffisance de la coordination entre eux pour affronter les
menaces terroristes ou le manque de motivation dans l’application des
législations de l’Union et la préférence donnée aux législations nationales.
[i] Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme,
12/3/2015, https://bit.ly/2NfsySY
[ii] Jassem Mohammad, La lute contre le
terrorisme au niveau international : nombreuses résolutions et mécanismes
d’application inexistants, 26/10/2015. https://bit.ly/2NdihX8
[iii] Pour se reporter au texte de la résolution
du Conseil de sécurité numéro 2178 du 26/10/2015, voir : oc.asp?docnumber=S/RES/2178(2014
[iv] Paris approuve le traité du Conseil
de l’Europe pour sanctionner les combattants terroristes étrangers, 10/8/2017. https://bit.ly/2Olv3HP
[v] La France: le Parlement approuve de
façon definitive la loi anti-terroriste controversée, 18/10/2017, https://bit.ly/2OA3mLk
[vi] Dr Mubarak Ahmad, Le nouvelle
stratégie britannique de lutte contre le terrorisme, 12/8/2018. http://www.almarjie-paris.com/3229
[vii] Hassan ar-Rimahi, Le Plan Merkel de
liquidation du terrorisme… comment Berlin a-t-il fait face à l’augmentation des
combattants étrangers? 25/8/2018, https://bit.ly/2y7dPUo
[viii] Abdallah Mustapha, Mesures
européennes anti-terroristes, 25/8/2017, https://bit.ly/2O18fxu
[ix] Abdallah Mustapha, Le Parlement
européen: une plateforme de renseignements financiers pour combattre le
financement du terrorisme, 22 février 2018, https://bit.ly/2IvyIgG
[x] Abdallah Mustapha, Mesures
européennes anti-terroristes, idem.
[xi] Renforcement du role de l’Agence
Europol dans la lute contre le terrorisme, 2/9/2018. https://bit.ly/2IymJzf
[xii] La police européenne frappe les
médias faisant la propagande de l’Etat islamique, 27/4/2018 http://www.bbc.com/arabic/science-and-tech-43925882
[xiii] La Politique de l’Union européenne
pour faire face à l’émigration clandestine, 24/4/2017, https://www.politics-dz.com/community/threads/sias-alatxhad-alurubi-fi-muagx-alxgr-ghir-alshryi.6838/
[xiv] Idem.
[xv] Jassem Mohammad, Le Terrorisme en
Europe… les stratégies et politiques anti-terroristes ont-elles réalisé leurs
buts ? 2/7/2018, https://bit.ly/2DJ9AVd
[xvi] Abdallah Mustapha, Le Parlement
européen: une plateforme de renseignements financiers pour combattre le
financement du terrorisme, idem.
[xvii] L’Union européenne … Face à face
avec le terrorisme, 27/3/2016.
[xviii] Khattar Abou Diyab, Les attaques de
Bruxelles: l’échec politique et sécuritaire de l’Europe, 26/3/2016, https://bit.ly/2zVjz5I