Publié par CEMO Centre - Paris
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Les politiques sécuritaires et de renseignements de l’Union européenne pour faire face aux menaces terroristes

mercredi 10/octobre/2018 - 08:24
La Reference
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Dr Mubarak Ahmad – Expert en systèmes comparés

 

Introduction

Depuis l’annonce par l’organisation Daech de l’établissement de son soi-disant califat en Irak et en Syrie en juillet 2014, sous la direction d’Abou Bakr al-Baghdadi, les pays européens ont dû changer notablement leur façon d’appréhender les sources de menace pour leur sécurité nationale, en prenant en compte l’enrôlement de nombre de jeunes Européens dans les organisations terroristes dans les zones de conflits armés, ainsi que leur exécution de nombreuses opérations terroristes en Europe, et en premier lieu ceux appartenant à Daech, en visant les grandes capitales comme Paris, Bruxelles ou Londres. C’est ainsi que les grandes villes sont devenues la cible des opérations de cette organisation et de ses loups solitaires qui se sont répandus dans les sociétés européennes.

Et avec l’augmentation des sources de menaces pour la sécurité européenne, l’Union européenne a renforcé ses stratégies sécuritaires et de renseignements, pour faire face aux changements qualitatifs dans la nature des opérations terroristes, après que les organisations terroristes eurent réussi à exploiter les réseaux sociaux pour recruter de jeunes Européens marginalisés et à la recherche d’aventures héroïques et de vaines gloires, ou le phénomène de l’émigration dans les pays européens. Outre les problèmes liés au financement et aux répercussions du retour des combattants des zones de conflits sur la sécurité européenne, et aux politiques d’intégration, de neutralisation et de conseils idéologiques, et les limites de leur impact sur ceux qui adoptent des idées extrémistes et terroristes en Europe.

L’étude cherchera à analyser les politiques de l’Union européenne en matière de sécurité et de renseignements pour faire face aux menaces terroristes, et comprendra trois parties : les législations européennes pour combattre le terrorisme ; les politiques de l’Union européenne pour faire face aux menaces terroristes ; et les défis qu’elle doit affronter et qui entravent son action sécuritaire et de renseignements.

 

Premièrement : Les législations européennes en matière de sécurité et de renseignements pour lutter contre le terrorisme

Parmi les législations européennes en matière de sécurité et de renseignements visant à lutter contre les menaces terroristes, citons la Convention européenne pour la prévention du terrorisme, qui date de 2005, et dont l’objectif principal est de prendre des mesures efficaces pour lutter contre le terrorisme et affronter les menaces de perpétration de crimes terroristes, d’enrôlement et d’entraînement en vue d’actes terroristes.

La Convention stipule que son but est de soutenir les efforts des parties pour empêcher le terrorisme et ses conséquences négatives sur les droits de l’homme, en particulier le droit à la vie, et cela en prenant des mesures au niveau national, conformément aux traités et accords dans ce domaine. La Convention impose aussi aux parties de prendre les mesures nécessaires en créant des autorités chargées d’appliquer la loi, et dans le domaine de l’éducation, de la culture et de l’information, dans le but d’empêcher les crimes terroristes, et de respecter les droits de l’homme. Concernant les sanctions, les articles de la Convention stipulent que les parties concernées doivent prendre les mesures nécessaires pour imposer des sanctions efficaces et dissuasives pour les crimes mentionnés dans la Convention, dans le cadre du respect des droits de l’homme, en particulier le droit à la liberté d’expression et de croyance. L’article 13 stipule la prise des mesures nécessaires pour protéger les victimes du terrorisme, grâce à des plans nationaux et conformément aux législations locales. La Convention stipule aussi la nécessité d’une enquête et la prise par la partie concernée des mesures nécessaires conformément à la loi locale, pour enquêter sur les événements dont font état les informations disponibles dans le but de poursuivre et livrer les terroristes tout en autorisant les communications avec le représentant le plus approprié de l’Etat, conformément aux lois de la partie sur le territoire de laquelle se trouve l’auteur du crime.[i]

Et dans le contexte d’une augmentation des menaces terroristes et de l’émigration clandestine dans les pays européens après les révoltes arabes, et l’apparition du phénomène des combattants terroristes dans les rangs des organisations terroristes et extrémistes dans les zones de conflits armés, l’Union européenne a adopté en octobre 2015 le protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, qui criminalise l’appartenance aux groupes et organisations terroristes, et le voyage pour combattre et participer aux camps d’entraînement et d’enrôlement, et l’organisation du voyage des combattants ainsi que leur soutien matériel. Aux termes du protocole, les pays membres de l’Union européenne doivent échanger les informations de renseignements et créer des centres de communication qui oeuvrent pour réaliser la coopération souhaitée[ii].

Le protocole vise à harmoniser les lois des pays membres relatives à la lutte contre le terrorisme, et à encourager la coopération et la coordination entre eux, car il a été préparé suite aux menaces représentées par les combattants européens revenant chez eux après leur participation aux combats dans les rangs des organisations terroristes en Syrie et en Irak, dont Daech, qui a fourni à ces combattants et aux loups solitaires l’environnement adéquat pour perpétrer des opérations terroristes en Europe, qui était restée loin des opérations terroristes répétées. De même, l’adoption par l’Europe du protocole reflète sa volonté d’appliquer la résolution du Conseil de sécurité numéro 2178 de l’année 2014, sous le titre « les dangers qui menacent la paix et la sécurité suite aux opérations terroristes internationales, pour combattre les terroristes étrangers armés au niveau local ». Et cela conformément au chapitre sept de la Charte des Nations unies.

Le Conseil de sécurité des Nations unies avait adopté à l’unanimité en septembre 2014 la résolution 2178 qui appelle à arrêter le flux des combattants étrangers à travers les frontières et en particulier celles de Syrie et d’Irak. La résolution insiste sur la nécessité d’une application totale et immédiate de ses termes s’agissant des combattants liés aux organisations Daech et Jabhat an-Nusra, ainsi qu’aux cellules de l’organisation al-Qaïda ou des groupes qui lui sont liés ou en sont issus.

Le Conseil de sécurité définit dans sa résolution les combattants étrangers comme « ces individus qui voyagent vers un pays autre que celui où ils résident ou dont ils portent la nationalité, dans le but de commettre des actes de terrorisme, de les planifier, de les préparer, d’y participer, de fournir une formation à des actes de terrorisme ou de la recevoir.[iii]

La France a approuvé les amendements introduits dans le Traité du Conseil de l’Europe en août 2017 visant à faire face aux combattants terroristes étrangers et qui sont entrés en application au début juillet 2017. Paris est la huitième capitale européenne jusqu’en août 2017 à avoir approuvé ce traité qui ajoute de nouveaux crimes à la liste qui existe déjà : le financement du terrorisme, le fait de recevoir un entraînement au terrorisme, et le voyage à l’étranger pour pratiquer le terrorisme. Il suffisait que six pays du Conseil de l’Europe l’approuvent pour qu’il entre en application, et cela fut fait en juillet 2017, puisqu’il a été approuvé par l’Albanie, la Bosnie, le Danemark, l’Italie, le Lituanie, Monaco et la Moldavie.[iv]

Au niveau des législations nationales, les pays les plus importants de l’Union européenne ont approuvé des législations nationales qui renforcent les mesures sécuritaires et de renseignements pour faire face aux menaces terroristes et à leurs changements qualitatifs. C’est ainsi que le Sénat français a approuvé un nouveau projet de loi anti-terroriste présenté par le gouvernement français comme alternative à la loi d’urgence, et qui entrera en vigueur en novembre 2018. En effet, l’Agence France Presse a indiqué que 229 députés avaient soutenu le texte du projet de loi en première lecture, tandis que 106 s’y étaient opposés, ajoutant que le projet jouissait du soutien des membres du Parti républicain, des partis du Centre, du Parti « la République en marche » dirigé par le président Macron, et du bloc « Rassemblement démocratique et social européen », tandis que les députés socialistes et communistes ont voté contre.

D’autre part, le Sénat français a approuvé en juillet 2017 les amendements introduits par la Commission des lois et qui stipulent l’élargissement des prérogatives des services de sécurité, en leur permettant de prendre des mesures individuelles de détention administrative, de surveillance, de perquisition à domicile, de confiscation etc. Le projet prévoit aussi un système de suivi des données relatives aux dossiers des voyageurs par avion, outre la fixation d’un nouveau cadre juridique de surveillance des télécommunications sans fil, et d’élargissement des possibilités d’arrestation dans les zones frontalières.[v]

En Grande-Bretagne, la nouvelle stratégie anti-terroriste annoncée par le ministre de l’Intérieur Sajid Javid le 4 juin 2018 a donné lieu à l’adoption des amendements aux lois anti-terroristes pour faire face à ce qu’il a appelé « le changement de la nature des terroristes ». La stratégie comprend les axes principaux suivants : la construction de relations plus fortes avec les sociétés technologiques, la coopération dans l’échange d’informations entre le service de sécurité MI5, la police et les autorités locales, ainsi que le secteur privé, concernant 20000 citoyens britanniques soupçonnés d’avoir des tendances terroristes.

Le ministre britannique de l’Intérieur a mentionné parmi les mesures visant à renforcer la sécurité dans le pays selon la nouvelle stratégie : l’allongement de la durée d’emprisonnement pour certains crimes, le durcissement des mesures contre les militants d’extrême-droite, en tant qu’ils représentent la plus grande menace avec les extrémistes islamistes, surtout que les dangers résultant de leurs pratiques augmentent. En effet, Daech et l’extrême-droite sont plus semblables que le pensent certains, car ils exploitent les injustices et déforment la réalité, en détruisant les valeurs de liberté en Grande-Bretagne. Sajid Javid a également annoncé l’affectation de 50 millions de livres sterlings supplémentaires à la lutte contre le terrorisme, ce qui porte son budget à 750 millions de LS. Pour être plus efficace, la nouvelle stratégie s’appuiera sur une législation nouvelle pour permettre à la police et aux services de sécurité de déjouer de façon préventive les attaques terroristes. Cette législation comprendra la mise à jour de la liste des crimes considérés comme terroristes pour être en harmonie avec l’ère numérique et refléter les nouvelles formes de terrorisme, outre le durcissement des peines pour les crimes terroristes, et la possibilité pour les tribunaux britanniques d’enquêter sur les attaques terroristes ayant lieu à l’étranger.[vi]

Quant à l’Allemagne, elle a approuvé en 2016 un ensemble de lois anti-terroristes qui permettent aux autorités sécuritaires de frapper les réseaux terroristes de façon préventive en introduisant des agents secrets dans les rangs des groupes extrémistes et des réseaux terroristes, en combattant le crime organisé et en particulier les gangs de trafic de migrants et d’armes, tout en encourageant l’échange d’informations à vaste échelle avec les agences de renseignements alliées et étrangères. Les mesures anti-terroristes comprennent aussi l’augmentation des forces de police et le déploiement d’officiers habillés en civil. Les services de renseignements allemands ont également adopté un nouveau système d’évaluation des risques appelé « le Radar de Daech ».[vii]

 

Deuxièmement : Politiques de l’Union européenne en matière de sécurité et de renseignements pour faire face au terrorisme

Ces politiques sont basées sur la coopération entre ses institutions et la complémentarité de leurs efforts. Ces institutions les plus importantes sont :

1)   La Commission européenne :

  La Commission européenne a révélé un plan sécuritaire pour la période 2015-2020 visant à encourager la coopération entre les pays européens dans la lutte contre le terrorisme, le crime organisé et les crimes électroniques. Le plan repose sur la détermination des outils qui seront utilisés dans le travail commun pour garantir la sécurité et faire face à ces menaces de façon plus efficace. Il prévoit aussi la création d’un centre pour regrouper et transmettre les compétences sur la lutte contre l’extrémisme et fournir un cadre juridique pour traiter avec le phénomène des combattants étrangers et renforcer la coopération avec les autres pays. Le plan prévoit aussi l’élaboration d’une nouvelle législation pour lutter contre le financement du terrorisme, et faciliter la confiscation des biens provenant des activités criminelles. Par ailleurs, la Commission européenne a adopté en janvier 2015 de nouvelles mesures de traitement des informations dans l’Espace Schengen où les citoyens européens peuvent se déplacer librement. Ces mesures comprennent l’autorisation d’un échange rapide des informations entre les autorités chargées d’appliquer la loi, les services de sécurité et les garde-frontières, dans les pays membres, et en particulier s’agissant des individus soupçonnés de relations avec le terrorisme. Le Commission indique aussi que les nouvelles mesures renforcent les efforts des pays membres pour trouver les cartes d’identité des personnes qui projettent de s’enrôler dans des groupes terroristes à l’extérieur du l’Union européenne, ce qui contribue dans une large mesure à une surveillance plus efficace des frontières. C’est ce que la Commission cherche à réaliser en coopération avec les pays membres, pour renforcer la sécurité des frontières dans un cadre légal de façon à affronter les menaces terroristes »[viii].

2)   Le Parlement européen

La Commission des libertés et des droits fondamentaux au Parlement européen a approuvé en décembre 2015 la création d’une base de données relative aux voyageurs par avion quittant l’Union européenne ou s’y rendant. Et cela après des discussions et des divergences entre les représentants des pays de l’Union qui ont duré près de cinq ans, du fait des craintes relatives au problème de la confidentialité des données. Jusqu’à ce que se produisent les attaques terroristes de Paris qui ont fourni les justifications à ces mesures, surtout que nombre d’institutions et de gouvernements européens y ont vu la nécessité de trouver une solution globale et efficace au problème du suivi des mouvements des terroristes. L’accord stipule ainsi la conservation des données relatives à tous les voyageurs par avion en Europe pendant six mois dans des bases de données que les autorités compétentes pourront consulter dans le cadre d’enquêtes sur le terrorisme et les crimes transfrontaliers. Et en février 2018, les membres du Parlement européen ont voté au sein de la commission des Affaires étrangères en faveur d’un projet de résolution prévoyant de nouveaux moyens pour empêcher l’arrivée des fonds aux terroristes et insistant sur la nécessité d’échanger les informations de renseignements dans le cadre d’une meilleure coordination entre les pays membres, et de suivre de plus près les opérations financières. 55 membres ont voté en faveur des nouvelles suggestions, un parlementaire s’y est opposé, et 5 députés se sont abstenus. L’auteur du projet, le parlementaire Javier Nart, a affirmé : « Nous avons adopté une nouvelle méthode visant à empêcher le transfert des fonds aux groupes terroristes ». Et la suggestion la plus remarquable à ce propos est peut-être la création d’une plateforme d’informations commune et d’un centre de coordination des services de renseignements, de vérification des cartes de paiement inconnues, d’enregistrement des discussions et des actes semblables et de surveillance des fonds reçus par les centres culturels et les lieux de culte. Et en janvier 2018, un vote a été organisé au sein de la Commission des libertés civiles du Parlement européen sur une suggestion relative aux casiers judiciaires prévoyant la création d’une base de données centrale nouvelle pour les ressortissants de pays extérieurs à l’Union europénne, dans le but de parfaire le système européen d’informations relatives aux casiers judiciaires, utilisé par les pays membres pour échanger les informations sur les condamnations antérieures[ix]. La suggestion a été adoptée par 47 voix pour et 6 contre.

3)   Le Conseil des ministres de l’Intérieur et de la Justice de l’Union européenne : le Conseil des ministres de l’Intérieur et de la Justice de l’Union européenne a décidé en novembre 2015 de permettre à la justice pénale de répondre plus fermement à l’extrémisme violent qui mène au terrorisme. Les ministres ont indiqué dans le communiqué final publié à l’issue des discussions sur cette question qui ont eu lieu à Bruxelles que l’extrémisme conduit au terrorisme, ce qui pose de nombreux défis auxquels il faut faire face au niveau judiciaire, par une coordination commune conformément aux traités. Les ministres se sont mis d’accord sur la nécessité de suivre une méthode multisectorielle et pluridisciplinaire pour affronter avec efficacité l’extrémisme violent et le terrorisme, en prenant en compte les divers aspects de la question comme la prévention, l’enquête, le jugement, la condamnation, la réadaptation et la réintégration. Le Conseil des ministres de l’Intérieur et de la Justice a également décidé d’améliorer la coopération en renforçant l’utilisation des moyens permettant de faire face au trafic d’armes à feu pour combattre le terrorisme.[x]  

4)   La police européenne (Europol) : l’Agence Europol qui a commencé ses activités en juillet 1999 est l’une des agences européennes les plus importantes chargées d’appliquer les lois et de protéger la sécurité en Europe en fournissant un soutien aux pays membres de l’Union européenne dans les domaines de la lutte contre les grands crimes internationaux et le terrorisme. Elle travaille en étroite collaboration avec les services de sécurité des pays de l’Union européenne et de certains pays extérieurs à l’Union, comme l’Australie, les Etats-Unis, le Canada, ou la Norvège. Elle présente des services aux agences de renseignements pour prévenir les crimes, enquêter à leur propos lorsqu’ils surviennent, et poursuivre et arrêter leurs auteurs. Ceux qui travaillent à Europol viennent de diverses branches sécuritaires européennes dont les services de police ordinaires, la police des frontières et la police des douanes.[xi] L’opération la plus récente réalisée par Europol a eu lieu en avril 2018, lorsque l’agence a frappé avec force la propagande de l’organisation Daech sur Internet : les spécialistes de l’Internet dans les pays européens, le Canada et les Etats-Unis ont alors visé les sites Internet de l’organisation dont l’agence d’information Amaq considérée comme son porte-parole officiel. Europol a coordonné son attaque avec toutes les parties concernées et a réussi à mettre la main sur les preuves et les serveurs numériques. De son côté, le directeur d’Europol, Rob Wainwright, a affirmé que la dernière opération des 24 et 25 avril 2018 avait grandement réduit la capacité de Daech à diffuser sa propagande et à pousser les jeunes vers l’extrémisme. L’unité d’orientation par l’Internet pour lutter contre le terrorisme en Grande-Bretagne a dirigé l’opération de détermination et de réorientation des sites Internet utilisés par les djihadistes de l’organisation, selon le communiqué d’Europol.[xii]

5)   Formation de l’Euroforce : c’est une force spéciale qui peut intervenir par terre et par mer, pour des considérations sécuritaires et humanitaires approuvées par le commandement général de cette force, constituée en 1996 par une décision des quatre pays européens riverains de la Méditerranée : la France, l’Italie, le Portugal et l’Espagne. Elle est constituée de forces terrestres et navales dont la mission est de protéger la sécurité et la stabilité des frontières sud de l’Europe.[xiii]

6)   Création de l’Agence Frontex : c’est un organisme indépendant spécialisé chargé de coordonner la coopération opérationnelle entre les pays membres dans le domaine de la protection des frontières. C’est l’Union européenne qui l’a instituée en 2004, dans le cadre du renforcement de la surveillance des frontières européennes pour limiter l’immigration clandestine. Sa mission principale est d’améliorer la coopération opérationnelle entre les pays membres dans le domaine de la gestion des frontières extérieures et d’aider ces pays à former leurs gardes-frontières, à développer les recherches liées au contrôle des frontières extérieures et à leur surveillance, à aider les pays membres dans des circonstances qui exigent un renforcement du soutien technique et opérationnel aux frontières, et à fournir aux pays membres le soutien nécessaire dans l’organisation des opérations de retour communes[xiv].

 

Troisièmement : les défis que doit affronter l’Union européenne

On peut résumer ainsi les défis que doivent affronter les institutions de l’Union européenne, et qui entravent les efforts sécuritaires et de renseignements pour affronter le terrorisme :

1)   Crise des combattants de retour : les chiffres divergent concernant le nombre des combattants européens dans les rangs des organisations terroristes, et il est estimé à un minimum de 4000 combattants, répartis entre la Russie, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Belgique, la Suède et d’autres pays européens. D’autres estimations indiquent que ce nombre atteint 90000 combattants étrangers. Ce qui est sûr, c’est que la difficulté à connaître leur nombre avec précision complique sérieusement la tâche de les affronter et de réduire leur danger pour la sécurité et la stabilité européennes, ce qui représente un défi pour les services de sécurité et de renseignements européens, surtout concernant les nouvelles générations appelées par Daech « les lionceaux du califat », c’est-à-dire les fils de ses combattants, que Daech compte utiliser comme « loups solitaires » à leur retour dans leurs patries d’origine. Cela a été confirmé par les rapports d’Europol publiés en juin 2018, qui indiquent que les attaques terroristes contre des cibles européennes ont plus que doublé en 2017. Et l’Agence a mis en garde contre une une intensification de ces attaques suite à la défaite de Daech au Moyen-Orient. Ils affirment aussi que davantage de combattants étrangers chercheront à rentrer en Europe. C’est pourquoi les gouvernements occidentaux craignent de devenir à leur tour la cible du terrorisme, avec le retour de milliers de terroristes qu’ils avaient encouragés à partir pour la Syrie, et qui risquent de diffuser la pensée extrémiste parmi les jeunes, et de perpétrer des attaques et des crimes dans les villes européennes qui connaissent dans une large mesure la liberté et la stabilité.[xv]

2)   Divergences dans les politiques européennes de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme : des divergences existent entre les législations nationales des pays et celles des institutions européennes. C’est pourquoi le projet de résolution proposé par le Parlement européen en février 2018 concernant les moyens nouveaux d’empêcher le financement des terroristes a appelé le Conseil de l’Europe, la Commission européenne et le Service européen pour l’action extérieure à se mobiliser à divers niveaux dont les plus importants sont : le renforcement de l’échange d’informations préventives, la coordination entre les institutions financières, les services de police et de renseignements, et les organes judiciaires, par le biais d’une plateforme européenne de renseignements financiers pour lutter contre le terrorisme, qui pourrait être gérée par Europol. Elle comprendra une base de données sur les transactions suspectes, l’établissement d’une liste des individus et entités travaillant dans le cadre d’organisations obscures ou connues pour leurs transactions suspectes, et  et leurs pratiques frauduleuses, le renforcement de la surveillance des organisations pratiquant le commerce illicite, la contrebande, la falsification et la fraude, l’imposition aux banques d’un contrôle des cartes de paiement prépayées, pour garantir que leur rechargement ne se fasse que par les virements bancaires et les comptes bancaires, la surveillance des lieux de culte et d’enseignement, des centres et des associations caritatives et culturelles, en cas de forte suspicion d’un lien entre eux et les groupes terroristes. Et enfin, l’amélioration de la surveillance des moyens traditionnels de virement des fonds, et la question de savoir si les monnaies virtuelles, numériques et autres contribuent au financement du terrorisme et doivent être soumises aux règles de l’Union européenne.[xvi]

3)   Faiblesse de la coordination sécuritaire entre les pays de l’Union européenne : en effet, selon Europol, de nombreux pays membres de l’UE n’ont pas été connectés aux bases de données créées par l’Agence qui estime que 5000 citoyens de l’Union européenne sont partis combattre en Syrie et en Irak, tandis que 2786 seulement ont été enregistrés dans ses bases de données. De même, plus de 90% de ces combattants viennent des pays membres de l’UE, et l’Agence appelle donc à un meilleur échange d’informations de renseignements entre ses membres.[xvii]

4)   Le lien entre les crises du Moyen-Orient et les menaces terroristes en Europe : l’Union européenne a besoin d’une stratégie complète pour affronter les changements survenus au sud de la Méditerranée, suite à l’augmentation des conflits de la Syrie à la Libye, et la guerre contre le terrorisme qui en a résulté. Outre le problème des réfugiés qui a révélé un défaut dans l’action institutionnelle européenne, et a mis les symboles du système de valeurs européennes à l’épreuve. En effet, la plupart de ceux qui ont planifié et exécuté les attaques de Paris et de Bruxelles sont nés en Europe et portent la nationalité de leur pays de naissance. Ce qui met en exergue la crise de la citoyenneté qui a poussé les Européens d’origine arabe, africaine ou asiatique à se replier sur leur identité religieuse ou ethnique. C’est ainsi qu’apparaît, dans les grandes villes européennes et leurs banlieues, l’échec social d’une catégorie de jeunes marginalisés et non intégrés, dont certains considèrent la religiosité comme un moyen d’oublier leur passé de délinquants. Ils passent ainsi du monde du crime et des drogues aux réseaux terroristes, en se dirigeant vers ce qu’ils considèrent comme les terres du djihad de l’Afghanistan à la Bosnie et l’Algérie, puis à l’Irak et à la Syrie. Et la proclamation du califat par Daech en 2014 et sa prise de contrôle de vastes territoires proches de l’Europe ont été un moyen d’attirer des jeunes à la recherche d’aventures, ou croyant à une idéologie sans valeur[xviii].

Conclusion : il ne fait pas de doute que les politiques de l’UE en matière de sécurité et de renseignements contribuent à limiter les risques des menaces terroristes pour les pays de l’Union. Et parmi les mesures les plus importantes prises récemment figure l’adoption par le Parlement européen en avril 2018 d’une suggestion de la Commission européenne visant à davantage de transparence financière pour améliorer les performances de la lutte contre le financement du terrorisme et empêcher le blanchiment des fonds et le crime organisé. De même, le Conseil de l’Europe et le Parlement européen ont annoncé en juin 2018 qu’une solution politique avait été trouvée à propos de la suggestion de la Commission européenne concernant le renforcement du système de Schengen d’échange d’informations entre les renseignements, les gardes-frontières et la police, de façon à garantir une meilleure surveillance de ceux qui traversent les frontières de l’UE et d’aider la police à arrêter les terroristes liés à Daech. Il reste cependant des défis à relever pour supprimer les obstacles à l’application de ces politiques dans les pays de l’Union, comme l’insuffisance de la coordination entre eux pour affronter les menaces terroristes ou le manque de motivation dans l’application des législations de l’Union et la préférence donnée aux législations nationales.

 

 

 

 



[i] Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, 12/3/2015, https://bit.ly/2NfsySY

[ii] Jassem Mohammad, La lute contre le terrorisme au niveau international : nombreuses résolutions et mécanismes d’application inexistants, 26/10/2015. https://bit.ly/2NdihX8

[iii] Pour se reporter au texte de la résolution du Conseil de sécurité numéro 2178 du 26/10/2015, voir : oc.asp?docnumber=S/RES/2178(2014

[iv] Paris approuve le traité du Conseil de l’Europe pour sanctionner les combattants terroristes étrangers, 10/8/2017. https://bit.ly/2Olv3HP

[v] La France: le Parlement approuve de façon definitive la loi anti-terroriste controversée, 18/10/2017, https://bit.ly/2OA3mLk

[vi] Dr Mubarak Ahmad, Le nouvelle stratégie britannique de lutte contre le terrorisme, 12/8/2018. http://www.almarjie-paris.com/3229

[vii] Hassan ar-Rimahi, Le Plan Merkel de liquidation du terrorisme… comment Berlin a-t-il fait face à l’augmentation des combattants étrangers? 25/8/2018, https://bit.ly/2y7dPUo

[viii] Abdallah Mustapha, Mesures européennes anti-terroristes, 25/8/2017, https://bit.ly/2O18fxu

[ix] Abdallah Mustapha, Le Parlement européen: une plateforme de renseignements financiers pour combattre le financement du terrorisme, 22 février 2018, https://bit.ly/2IvyIgG

[x] Abdallah Mustapha, Mesures européennes anti-terroristes, idem.

[xi] Renforcement du role de l’Agence Europol dans la lute contre le terrorisme, 2/9/2018. https://bit.ly/2IymJzf

[xii] La police européenne frappe les médias faisant la propagande de l’Etat islamique, 27/4/2018  http://www.bbc.com/arabic/science-and-tech-43925882

[xiii] La Politique de l’Union européenne pour faire face à l’émigration clandestine, 24/4/2017, https://www.politics-dz.com/community/threads/sias-alatxhad-alurubi-fi-muagx-alxgr-ghir-alshryi.6838/

[xiv] Idem.

[xv] Jassem Mohammad, Le Terrorisme en Europe… les stratégies et politiques anti-terroristes ont-elles réalisé leurs buts ? 2/7/2018, https://bit.ly/2DJ9AVd

[xvi] Abdallah Mustapha, Le Parlement européen: une plateforme de renseignements financiers pour combattre le financement du terrorisme, idem.

[xvii] L’Union européenne … Face à face avec le terrorisme, 27/3/2016.

[xviii] Khattar Abou Diyab, Les attaques de Bruxelles: l’échec politique et sécuritaire de l’Europe, 26/3/2016, https://bit.ly/2zVjz5I

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