En Libye, le retour inopiné de Khalifa Haftar dans le jeu politique
Pourquoi Mohammad Menfi, fraîchement élu à la tête du
Conseil présidentiel libyen, a-t-il rencontré son ancien rival, le maréchal
Khalifa Haftar, aussi prématurément ? Quel est le sens de cette visite, et que
dit-elle du rapport de forces qui se joue actuellement en Libye ?
La rencontre a en effet surpris les observateurs. D’abord
parce qu’elle arrive très tôt après l’élection du nouveau gouvernement d’union
nationale à Genève dans le cadre du Forum du dialogue politique libyen (FDPL),
vendredi 5 février. Le président élu a en effet choisi de réaliser sa première
rencontre officielle avec un interlocuteur libyen, en l’occurrence le maréchal
Haftar, dans un village à l’est de Benghazi. Tout un symbole, alors
qu’« on aurait pu s’attendre à ce que Menfi fasse cette première visite à
Tripoli, où se trouve la base qui l’a élu et soutenu », remarque Mohammad
Eljarh, expert libyen et cofondateur du centre de recherche Libya Outlook for
Research and Consulting.
« Une visite significative, pour le meilleur et pour
le pire », estime ce dernier, pour qui l’événement marque le retour de
l’homme fort de l’Est libyen au cœur de la vie politique après y avoir été
marginalisé suite à sa défaite militaire en juin dernier contre les forces du
gouvernement d’union nationale de Tripoli, soutenu par les Turcs. « Nous
devons désormais faire avec un Haftar qui a retrouvé un niveau d’influence
similaire à ce qu’il avait avant l’offensive de Tripoli. »
La visite a certes suscité des réactions mitigées parmi
les observateurs libyens, certains estimant que le choix présidentiel marque la
reconnaissance de l’influence de M. Haftar ; d’autres que le choix du timing
est de mauvais augure pour la suite. Mais qu’on l’apprécie ou pas, ce choix est
le signe d’une nouvelle alliance qui s’est manifestée pour la première fois à
Genève la semaine dernière. Lors du dernier tour des élections du FDPL,
vendredi, les délégués représentants Haftar ont choisi de voter pour la liste
du candidat Menfi contre la liste concurrente, soutenue par les États-Unis et
l’Égypte, d’Aguila Saleh, président de la Chambre des représentants à Tobrouk,
et de Fathi Bashagha, actuel ministre de l’Intérieur du gouvernement de
Tripoli. Le soutien de M. Haftar à la liste de M. Menfi s’explique par la
rivalité interne au camp de l’Est, où Aguila Saleh et Khalifa Haftar rivalisent
pour obtenir l’exclusivité de la représentation régionale. En soutenant la
liste opposée, Khalifa Haftar espère donc écarter son concurrent.