Donald Trump face au Capitole : ce moment où tout a basculé
Le Monde: Que
restera-t-il de ce 6 janvier 2020 ? Dans quelques années, les petits
Américains apprendront certainement que ce jour-là, leur démocratie a vacillé.
On leur montrera les images de ces militants bigarrés investissant le
Capitole : le chef indien « new age » et son casque à cornes, les signes QAnon en pagaille, les pancartes « Biden est un
pédophile », les potences et même une guillotine… Mais l'image la plus
marquante de cette journée est peut-être à chercher quelques minutes plus tôt.
Juste avant que la foule donne l'assaut.
En début d'après-midi, des dizaines de
milliers de partisans du président sont déjà massés sur le Mall, le célèbre
parc qui s'allonge du Potomac jusqu'aux marches du Capitole. Il fait à peine
plus de 5 degrés dans la capitale fédérale, mais il en faut plus pour
refroidir leurs ardeurs. Trump est à la tribune. Comme souvent, il harangue la foule. « Descendez
jusqu'au Capitole ! Nous allons acclamer nos braves sénateurs et élus (…)
et nous n'acclamerons probablement pas tellement certains d'entre eux, parce
que nous ne reprendrons pas notre pays en étant faible. »
Rarement le concept de populisme n'aura été
aussi bien illustrée. Le tribun est seul dehors ou presque – il n'y a que sa
famille et son fidèle bras droit Rudy Giuliani à ses
côtés. Il sourit encore, car il est au milieu de ses supporteurs. Lui les
appelle le peuple. Ses opposants « Un panier de pitoyables » (« a
basket of deplorables », selon la formule employée en
septembre 2016 par Hillary Clinton et qui a
fait date). Ce qui les unit : la haine des élus et des médias
« traditionnels ». Tous ceux qui se trouvent justement de
l'autre côté du Mall et qui s'apprêtent à entériner la défaite de leur
champion. Sénateurs, élus démocrates ou républicains traditionnels, chaînes de
télé, agences de presse… l'ensemble de l'establishment est là, au bout de
l'allée, seulement abrité par les institutions et l'un de ses monuments les
plus célèbres.
L'affrontement est inévitable. La plupart
sont venus de loin, sans doute n'avaient-ils jamais vu en vrai le Capitole.
Certains d'entre eux ont pris le même avion que Mitt Romney, le sénateur
de l'Utah et ancien candidat à la présidentielle, qui est l'un des républicains
les plus critiques de leur champion. « Traître, traître ! » lui
ont-ils lancé au moment d'embarquer vers Washington.
Les traîtres sont évidemment aussi les médias.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, CNN et MSNBC, deux des plus grandes
chaînes du pays, n'ont pas diffusé le discours de Trump sur le Mall. Elles sont
en direct « plein pot » sur ce qui se passe à l'intérieur du Congrès.
Seule Fox News opte pour l'écran coupé en deux pour montrer ce qui se passe
aussi à l'extérieur du bâtiment. Mais le ton a changé, même sur Fox. L'histoire
d'amour entre la télé conservatrice et le président fantasque est terminée.