Kurdistan syrien : réalité politique ou utopie ? 23 décembre 20206 mn de lecture
Arion24:Marginalisés
par les autorités de Damas depuis l’indépendance, en 1946, les Kurdes de
Syrie ont vu dans le soulèvement populaire de 2011 contre Bachar al-Assad
(depuis 2000) la possibilité de changer la donne. Avec pour modèle la
lutte armée de leurs « frères » de Turquie et l’autonomie politique
de ceux d’Irak, ils s’engagent sur deux fronts, combattant à la fois
le régime baasiste et l’organisation de l’État islamique (EI ou Daech).
Objectif : créer une instance politique autonome dans le nord de la Syrie,
chose devenue réalité sur le terrain avec la déclaration d’autonomie du Rojava
(« Kurdistan occidental ») en novembre 2013, puis la déclaration
de la Fédération démocratique du Nord-Syrie (FDNS) en mars 2016.
Des Kurdes, mais pas seulement
Il est difficile d’accéder à des données sur la
présence kurde en Syrie. En effet, la guerre civile qui y fait rage
depuis 2011 rend les statistiques peu fiables. En 2012, sur un total
de 35 millions de personnes, les Kurdes étaient ainsi répartis :
18,1 millions en Turquie, 7,87 millions en Iran, 7,16 millions
en Irak et 1,92 million en Syrie, les mêmes chiffres circulant depuis sans
trop de changement. Dans le cas syrien, le conflit et ses conséquences
humaines, avec les flux de réfugiés, rendent encore plus délicates les
estimations de populations, d’autant que le dernier recensement officiel date
de 2004. Les Kurdes sont principalement installés dans le nord du pays,
dans les régions d’Afryn à l’ouest, de Kobané et Tal Abyad au nord, de
Hassaké, Qamichli et Al-Malikiyah à l’est. Toutefois, ce territoire est
riche en communautés, notamment les Arabes, répartis un peu partout : les
Turkmènes près d’Azaz, Al-Raai et sur la côte méditerranéenne, au sud de
Kessab, et les Assyriens à Tal Tamer, impliquant autant de religions et de
langues différentes. Au total, quelque 3 millions de personnes habitent
dans cet espace.
À l’automne 2018, les Kurdes ne contrôlent pas
complètement ce territoire, notamment depuis l’incursion de l’armée turque
à Afryn en janvier. À travers le Parti de l’union démocratique (PYD),
organisation sœur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) turc créée en
2003, et sa branche armée, les Unités de défense du peuple (YPG), ils imposent
leur autorité dans le nord syrien dès 2012, les forces de Bachar al-Assad
préférant se retirer pour combattre les rebelles dans des zones plus
stratégiques et créant par la même occasion une zone tampon entre la Syrie et
la Turquie. On parle alors de Rojava, constitué des cantons d’Afryn, de Kobané
(Euphrate depuis 2014) et de Djézireh. Sous l’impulsion des Kurdes irakiens au
pouvoir à Erbil, le Conseil national kurde de Syrie (ENKS) est créé en
octobre 2011, mais il est vite dominé par le PYD. Ce dernier annonce
l’autonomie de la région en novembre 2013, ainsi qu’une Constitution deux mois
plus tard. Le texte de celle-ci est révélateur des intentions politiques
kurdes : fidèle à l’idéologie du PKK, qui s’oppose à la création
d’un État-nation kurde au Moyen-Orient, il indique que le Rojava demeure une
« partie intégrante de la Syrie » (article 12) dans l’espoir de
former une fédération postconflit. Par ailleurs, il reconnaît la diversité
ethnique, religieuse et linguistique de la Djézireh
(articles 3 et 9).
Cette vision sera la clé pour que le PYD maintienne son
autorité sur les nouvelles administrations, jusqu’à la naissance de la FDNS. En
effet, si les Kurdes restent en haut des instances de gestion et de
gouvernance, ils appellent à la réconciliation, intégrant au sein des
divers organismes toutes les communautés, notamment les Arabes, autrefois
privilégiés par le régime baasiste au détriment des autres.
Une
ambition politique
Le PYD tire cette légitimité politique de son sacrifice
au combat. Dès 2013, les groupes armés kurdes combattent les éléments
d’Al-Qaïda et de l’EI voulant s’installer dans le nord. On retiendra la
bataille de Kobané : les djihadistes de Daech marchent sur la ville en octobre 2014,
mais ils en sont repoussés en janvier 2015. Située au centre géographique
du Rojava, la ville était et reste stratégique aux yeux des Kurdes pour
instaurer leur projet d’autonomie le long de la frontière turque, de l’autre
côté de laquelle se trouve, certes, une importante population kurde, mais où
les forces d’Ankara sont en lutte contre le PKK depuis 2015. Avec cette
victoire, les YPG s’assurent le soutien occidental, notamment des États-Unis,
et, en octobre 2015, naissent les Forces démocratiques syriennes (FDS),
qui regroupent Kurdes, Arabes et Syriaques contre un ennemi commun :
les djihadistes.