« Joe Biden sera focalisé sur la protection des classes moyennes américaines »
Laurence Nardon, spécialiste des Etats-Unis à l’Institut français des
relations internationales, Pascal Lamy, ancien commissaire européen et
ex-directeur de l’OMC ont croisé leurs regards sur l’évolution de la société et
de la politique américaine avec ceux du conseiller économique de l’ambassade de
France à Washington, Renaud Lassus, et du professeur de finance à l’université
de New York, Thomas Philippon.
Thierry Philippon : Le premier point positif, c’est évidemment que l’on soit
débarrassé de Trump. Le deuxième, c’est le taux de participation très élevé, y
compris parmi les électeurs de Trump. Il est toujours préférable que les gens
votent pour exprimer leur colère, plutôt que de la garder pour eux. Au niveau
national, il y a eu clairement une décision de se débarrasser de Trump, mais
pas de donner les clés aux démocrates. Dans un certain nombre d’Etats, des
électeurs ont voté pour Biden pour la présidence et, en même temps, pour un
sénateur républicain. Les gens restent fondamentalement centristes sur beaucoup
de sujets.
Pour les républicains, c’est un échec
politique majeur. Le président sortant s’est fait virer. Mais il a clairement
ouvert la voie à une forme de populisme qui résonne dans la population. Tous
les candidats à la droite du Parti républicain se disent que leur stratégie
optimale est de récupérer les électeurs de Trump au moins dans l’optique d’une
primaire républicaine. Cela veut dire que nous allons continuer à entendre les
messages trumpistes néfastes, car un certain nombre de gens se positionneront
dans l’optique de la primaire républicaine de 2024.
Pascal Lamy : Trump est une version très spécifique du populisme. Les
Américains ont construit leur système politique pour limiter le pouvoir. Le
logiciel de la Constitution américaine est très libéral au sens du XVIIIe siècle,
antiroyauté : tout sauf un roi. Trump est la version hollywoodienne de ce
système.
Il suscite, dans une partie de la
population américaine, des émotions qui font que l’on se sent avec lui. Les
gens se disent : « Ce type-là, il ne nous regarde pas comme ces
démocrates qui n’arrêtent pas de nous donner des leçons sur ce qu’il faut
faire, pas faire, sur ce qui est bien ou pas bien. Ce type-là, il est avec
nous, il est comme nous. » Je ne suis pas sûr qu’on va trouver un autre Trump,
tout comme l’on n’aurait probablement pas trouvé un autre Mussolini ou un autre
Hitler, qui sont quand même les références historiques auxquelles on pense. Il
suffit de relire ce que les gens pensaient de Mussolini ou d’Hitler à leurs
débuts.
- L’avenir du Parti
républicain
L. N. : Il y a des courants au Parti républicain. Le
courant modéré est absolument inaudible aujourd’hui, parce qu’il a été
complètement vaporisé par Trump depuis cinq ans, mais il pourrait renaître de
ses cendres. Il représente les classes moyennes blanches peu ou pas diplômées,
qu’on appelle souvent dans la sociologie américaine « la classe
ouvrière ». Elle a été très séduite par Trump en 2016, parce que,
pendant des décennies, elle s’est sentie trahie par les démocrates qui ne
s’intéressaient qu’aux minorités ethniques, encore plus pauvres qu’elle, et aux
élites éduquées sur les côtes du pays.