Barrages sur le Nil : le nécessaire accord entre l’Égypte et l’Éthiopie
Le 21 juillet dernier, le gouvernement éthiopien criait victoire. La première phase de remplissage du grand barrage de la Renaissance (Gerd) a bel et bien eu lieu en dépit de l’absence d’accord avec le Soudan et l’Égypte, les deux pays en aval du fleuve. Quelque 4,9 milliards de mètres cubes d’eau ont été stockés dans le barrage hydroélectrique dont la construction s’achève sur le Nil Bleu.
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À terme l’immense réservoir de 1 800 m de long et 175 m de haut aura une capacité de 74 milliards de mètres cubes et les seize turbines une puissance de 5 150 mégawatts, faisant du Gerd la plus grande production hydroélectrique d’Afrique.
L’Égypte effrayée à l’idée d’une pénurie d’eau – alors que le Nil est son unique source d’approvisionnement – n’a finalement pas eu à pâtir de ce premier remplissage, comme en avait convenu le géologue égyptien Abbas Al Sharaqi dans les colonnes du quotidien Egypt Independent le 24 juillet.
Crues
Et pour cause, des pluies torrentielles d’une exceptionnelle intensité se sont abattues sur l’Éthiopie et le Soudan voisin pendant la saison des pluies, qui ont facilité le remplissage, et ont malheureusement provoqué des crues du Nil Bleu et du Nil Blanc et des inondations dévastatrices au Soudan en août et septembre dernier.
Avant que l’Éthiopie ne s’enfonce dans la guerre civile, le premier ministre Abiy Ahmed, avait continué à défier l’Égypte en promettant de poursuivre le remplissage, avec un objectif de 18,4 milliards de mètres cubes pour l’été 2021. Cette phase sera-t-elle aussi indolore pour l’Égypte ?
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Dans la revue Nature du 16 octobre dernier, des scientifiques anglais et américains ont étudié les différents scénarios pendant les années de remplissage, puis pendant l’exploitation du barrage, selon qu’il s’agira d’années humides comme lors de la période 1955-1965, d’années « moyennes » telle celles de 1943-1952 ou d’extrême sécheresse comparables aux années 1978-1987.
Non seulement les années humides ou moyennes ne posent pas de réel problème à l’Égypte, mais l’Éthiopie pourra produire de l’électricité et le Soudan bénéficiera de débits du Nil plus réguliers. C’est évidemment la perspective d’une sécheresse pluriannuelle, « inévitable à un moment donné dans le futur », soulignent les auteurs, qui impose de planifier à l’avance cette phase critique entre les États, pour coordonner la gestion des deux méga-barrages du Nil, le Gerd éthiopien, et le barrage égyptien d’Assouan.
Le risque de la « panique hydrique »
En période de remplissage une telle sécheresse obligerait l’Égypte à puiser dans le réservoir d’Assouan et connaîtrait un déficit dès la cinquième année, au lieu de la septième sans le Gerd. Inversement, en phase de fonctionnement du Gerd, les lâchers d’eau du barrage réduiraient la pénurie de l’Égypte pendant quatre ans, mais les deux réservoirs finiraient par être quasiment épuisés.
L’Égypte perd peu à peu son bras de fer sur le barrage sur le Nil
À défaut d’une bonne concertation entre les deux États, les auteurs craignent que la sécheresse ne crée « une panique hydrique » lorsque les Égyptiens verront le niveau du réservoir d’Assouan baisser. La panique de l’eau est similaire à la panique financière, font-ils valoir. Elle entraîne la thésaurisation de ressources rares (tels qu’argent, carburant ou denrées alimentaires) et devient très difficile à gérer.