Publié par CEMO Centre - Paris
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Politique anti-Covid : la France impose, l’Allemagne concerte

samedi 21/novembre/2020 - 04:09
La Reference
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Sans confinement stricto sensu et en appliquant des mesures sanitaires réévaluées démocratiquement toutes les deux semaines, l’Allemagne se démarque nettement de la France dans sa politique de lutte contre l’épidémie de Covid-19. Par contraste, les mesures françaises prises en Conseil de défense sont jugées « répressives » et « inefficaces ».

Autoritaire, la gestion française de la crise sanitaire ? Pour la presse allemande, cela ne fait aucun doute. « Un Absurdistan autoritaire », titrait l’hebdomadaire de centre gauche Die Zeit le 12 novembre, effaré devant l’obligation, en France, de remplir une attestation pour chaque déplacement ou l’interdiction de se baigner en mer.

Non seulement les règles du confinement sont jugées « répressives » et « inefficaces » par les médias allemands, mais elles sont décidées de façon « monarchique ». Le quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung pronostiquait ainsi fin septembre : « Le recours à un processus décisionnel autoritaire et unilatéral devrait s’avérer désastreux pour l’acceptation des mesures. » Le temps semble lui avoir donné raison, 60 % des Français interrogés ont enfreint les règles du deuxième confinement, commencé le 30 octobre.

« C’est normal qu’en réaction, les Français se comportent comme des enfants » 

« Le gouvernement infantilise les Français, estime Leo Klimm, le correspondant à Paris de la Süddeutsche Zeitung, auteur d’un éditorial au vitriol contre la gestion de crise françaiseC’est normal qu’en réaction, ils se comportent comme des enfants. » Début novembre, il appelait à « enterrer l’héritage de De Gaulle » et dénonçait une « faillite de l’État » et des décisions prises en Conseil de défense, où « la transparence et la démocratie sont perçues comme gênantes ».

Si les Allemands sont autant choqués par les méthodes françaises, c’est en partie parce que leur pays a choisi une stratégie bien différente face à l’épidémie de Sars-CoV-2, et qui, jusqu’ici, porte ses fruits : 3,5 fois moins de morts qu’en France, une crise économique moins forte et une adhésion bien plus grande aux mesures de restrictions. 74 % des Allemands interrogés sont satisfaits, voire très satisfaits, du travail de la chancelière Angela Merkel. En France, Emmanuel Macron ne convainc que 43 % des sondés.

Côté français, la classe politique multiplie les approximations et les contre-vérités sur l’approche allemande. Contrairement à ce qu’affirmait sur France Inter le 29 octobre le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, l’Allemagne n’a jamais pris « les mêmes mesures » que la France. Le confinement outre-Rhin n’est même pas un confinement stricto sensu : en ce mois de novembre, comme au printemps dernier, les Allemands ont parfaitement le droit de sortir de chez eux, aussi loin et aussi longtemps qu’ils le souhaitent. Ils n’ont pas non plus besoin de remplir d’attestation pour justifier leurs déplacements.

À l’assignation de la population à résidence, l’Allemagne préfère la règle de la « limitation des contacts ». Les espaces clos de rassemblements publics (bars, restaurants, équipements culturels et sportifs) sont fermés jusqu’à fin novembre, les séjours touristiques interdits. Les Allemands ne sont pas autorisés à voir plus d’un autre foyer à la fois (c’est-à-dire une autre famille ou les membres d’une autre colocation), dans la limite de dix personnes maximum. Même durant la première vague, chaque Allemand avait le droit de voir une autre personne en extérieur.

« En Allemagne, on est plus attentif aux libertés fondamentales » 

Comment expliquer ces mesures plus souples ? Pour Hélène Miard-Delacroix, professeure d’histoire de l’Allemagne contemporaine à Sorbonne Université, il ne faut pas sous-estimer les conditions dans lesquelles le pays a abordé la crise sanitaire. Mieux équipée en laboratoires et en capacités hospitalières, Berlin peut aussi compter sur les meilleurs experts mondiaux des coronavirus, comme le virologue Christian Drosten. La gestion fédérale s’est révélée plutôt efficace pour isoler rapidement les personnes contagieuses avant qu’elles ne contaminent les seniors et les plus vulnérables. Ainsi, si les Allemands ne se confinent pas, c’est notamment parce qu’ils « peuvent se le permettre », dit à Reporterre Hélène Miard-Delacroix.

Mais ce n’est pas la seule raison. « En Allemagne, on est plus attentif aux libertés fondamentales », explique l’historienne. Depuis le mois de mars, la question de l’équilibre entre le respect des libertés individuelles et les mesures de restriction est au cœur du débat public. Pas un jour ne se passe sans qu’un responsable public ou la presse ne l’évoque. Avec un mot-clé : la proportionnalité. Les mesures ne doivent pas attenter aux libertés au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre le but visé. Ainsi, interdire les rassemblements semble justifié pour éviter la transmission du virus ; interdire à la population de sortir de chez elle paraît en revanche excessif.


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