La guerre d'Octobre 1973 ou la fin du mythe de l'invincibilité de l'armée israélienne
Richard Labévière
La « guerre du Kippour » ou « guerre du Ramadan »
ou « guerre d’Octobre » ou « guerre israélo-arabe de 1973 » a opposé une
coalition égypto-syrienne à Israël du 6 au 24 octobre 1973. Le jour du jeûne de
Yom Kippour - férié en Israël -, qui coïncidait en 1973 avec la période du
Ramadan. Les armées égyptienne et syrienne attaquèrent par surprise,
simultanément dans la péninsule du Sinaï et sur le plateau du Golan,
territoires égyptien et syrien occupés par Israël depuis la guerre de juin
1967.
Ayant misé sur le vieux principe stratégique
napoléonien de la rapidité et de la supériorité en nombre, les armées
égyptienne et syrienne percèrent les lignes israéliennes durant plusieurs
jours, allant jusqu’à menacer sérieusement l’ensemble de ses états-majors
d’occupation. In extremis, les Etats-Unis mirent en place un pont aérien afin
d’acheminer conseillers, forces spéciales et matériels pour rétablir la situation
en faveur de leur tête de pont au Proche-Orient.
Cette guerre a, surtout démystifié le dogme de
l’invincibilité de l’armée israélienne, dont de nombreux journalistes
occidentaux utilisent l’acronyme « Tsahal » qui signifie « armée de défense »,
ce qui est un parfait contresens pour une « armée d’occupation ». Elle a aussi
tordu le cou à une autre idée reçue, celle de l’excellence des services
israéliens de renseignement trop souvent présentés comme « les meilleurs du
monde ». Enfin, contrairement à la guerre de juin 1967 foncièrement aérienne,
elle a réactualisé l’efficacité opérationnelle des chars et des autres
véhicules blindés de pénétration.
En réaction au soutien américain à Israël, les pays
arabes décidèrent - le 17 octobre 1973 - d’adopter un embargo sur le pétrole à
destination des pays occidentaux, ce qui provoqua le choc pétrolier de 1973. En
Israël, cette guerre a constitué un véritable électrochoc, la population
n’ayant jamais connu jusqu’alors une crise morale aussi grave. L’image d’Israël
a commencé à se dégrader passablement dans le monde, accentuant l’isolement
diplomatique de Tel-Aviv, affectant aussi sa relation privilégiée avec
Washington. Tel-Aviv compris au moins une chose : sa suprématie technologique
ne pouvait pas tout. A partir de cette guerre, un mouvement de la société
israélienne - La paix maintenant - commença à promouvoir des campgnes
pour la recherche
d’une solution négociée. Mais - en amont - comment
s’est déroulée l’offensive ?
BLITZKRIEG
Le 6 octobre 1973 en début d’après-midi, les forces
armées égyptiennes déclenchent les hostilités en lançant leur aviation,
commandée par Hosni Moubarak, pour effectuer des bombardements en profondeur
ciblant les postes de commandement, des batteries anti-aériennes, les stations
de radars et trois aéroports israéliens. La chasse égyptienne ne perd qu’une
dizaine d’appareils.
Simultanément, un intense pilonnage d'artillerie et
des infiltrations de commandos antichars préparent la traversée du canal de
Suez, qui s’effectuent très rapidement avec une première vague de quelques 8000
soldats de missiles antichar AT-3 Sagger pour prévenir toute contre-attaque.
Les positions égyptiennes sur le canal de Suez ont été surélevées afin de
pouvoir déclencher des tirs de barrage destinés à empêcher la riposte des chars
israéliens. Contrairement à juin 1967, les unités égyptiennes ne s’avancent pas
au-delà de la couverture de leurs batteries de missiles sol- air défendant les
lignes de cessez-le-feu de 1967. Partiellement enterré, ce dispositif était
ainsi hors de portée de l’aviation ennemie.
Les Israéliens furent pris de court parce que leur
dispositif de défense consistait à défendre la ligne Bar-Lev par l’arme
nucléaire et le canal de Suez avec un dispositif de napalm empêchant toute
traversée. Le génie égyptien commença par saboter ce dernier système. Les
commandos franchir le canal à bord de bateaux pneumatiques à la rame sous la
protection d’un tir de barrage obligeant les défenseurs israéliens à se terrer
dans leurs bunkers. Les fortifications de la ligne Bar-Lev cédèrent les
unes après les autres, sau un le plus au nord.
Deuxième mauvaise surprise pour les occupants :
toute contre-attaque de blindés s’avéra impossible, les forces égyptiennes
faisant un usage massif de missiles Malyutka (code OTAN AT-3 Sagger).
Jamais dans l’histoire militaire, des forces d’infanterie n’étaient ainsi
parvenues à mettre en déroute des blindés avant cette guerre d’octobre 1973.
Troisième échec israélien : l’impossibilité d’engager leur chasse neutralisée
par l’engagement de missiles anti-aériens SA-6 Gainful. Les pertes
israéliennes furent si élevées que l’état-major central interdit à ses avions
de s’approcher à moins de 5 kilomètres du canal de Suez. Enfin, les forces
égyptiennes construisirent une vingtaine de ponts sur le canal alors que les
services du renseignement militaire israélien (Aman) avait estimé que cette
prouesse technique était hors de portée du Génie égyptien.
Le 6 octobre 1973 au soir, les Égyptiens avaient
réussi à faire traverser le Canal à 60 000 hommes et cinq divisions mécanisées.
La 18e, la 12e, et la 6e constituaient la deuxième armée, déployée, sur la rive
est du canal, entre les points faisant face à Port Saïd et Ismaïlia, tandis que
les 7e et la 19e divisions, face à une ligne joignant Ismaïlia à Suez,
constituaient la troisième armée.
L'armée égyptienne adopta alors une position
défensive, tactique plus avantageuse dans le désert, en restant dans une bande
de 15 km le long du côté est du canal, protégée par le parapluie de missiles antiaériens
placés à l'ouest du canal, qui empêchaient l'aviation israélienne d'intervenir
efficacement, et à ses blindés de manœuvrer librement. Les différentes attaques
israéliennes furent toutes repoussées et les Israéliens se virent infliger des
pertes importantes. Le désastre qui en résulta ne fut stoppé que par la
division d'Ariel Sharon qui imposa une accalmie relative. Les deux armées se
postèrent alors dans une position défensive.
Le haut commandement israélien fut totalement
débordé par les capacités opérationnelles égyptiennes n’ayant pas révisé ses
conceptions depuis la guerre de juin 1967. Le ministre israélien de la Défense
Moshe Dayan multiplia les rapports alarmistes n’hésitant pas à prédire une «
troisième destruction du Temple ».
LE TOURNANT DU 14 OCTOBRE
Le 11 octobre 1973, Anour al-Sadat voulut reprendre
l'offensive afin d'aider les Syriens en difficulté. Une crise de commandement
l'opposa alors au chef d'état-major Shazli al-Shazly. Ce dernier estimait
qu'une sortie des blindés hors de la protection du parapluie de missiles
sol-air, mettrait les chars égyptiens en danger. Une brigade blindée égyptienne
fut anéantie en menant une attaque à l'est. Tous les commandants de la deuxième
et troisième armée égyptiennes étaient hostiles au développement d'une attaque
en profondeur. Néanmoins, Sadate lança le 14 octobre une attaque concentrée.
Celle-ci se révéla un échec cuisant : 400 chars égyptiens attaquèrent 800 chars
israéliens en position défensive, soutenus par la force aérienne israélienne. Le
résultat fut le tournant de la guerre du Kippour.
Débordés depuis le 6 octobre, les Israéliens
réussirent finalement à reprendre l'initiative : 250 chars égyptiens sur 400
furent anéantis. En outre, pour développer son offensive, Sadate utilisa la 4e et la 21edivision blindée, vidant ainsi
l'ouest du canal de Suez de réserves stratégiques, ce qui déséquilibra ainsi le
dispositif général égyptien. Les généraux israéliens exploitèrent ce point
faible en traversant le canal à leur tour, commençant à liquider au sol le
redoutable dispositif égyptien de missiles SA-6 qui paralysait jusqu'alors
la quasi-totalité de l'aviation israélienne. À
partir du 15 octobre 1973, les Israéliens changèrent de tactique et
contre-attaquèrent en utilisant cette fois leur infanterie qui progresse à pied
jusqu'aux batteries de missiles sol-air et antichars.
Une division commandée par le major général Ariel
Sharon attaqua la ligne égyptienne à son point le plus faible, à la limite
entre les positions défendues par la Deuxième Armée égyptienne au nord, et la
Troisième Armée au sud. Elle ouvrit une brèche et atteignit le canal de Suez.
Une petite troupe passa le canal et constitua une tête de pont pour permettre
le passage d'un grand nombre d'hommes. Une fois les missiles antiaériens et
antichars neutralisés grâce à ces infiltrations, l'infanterie put à nouveau
compter sur le support de l'aviation et des blindés. Sans ordres, Sharon
attaqua Ismaïlia avec sa division blindée pour tenter de couper le
ravitaillement de la deuxième armée égyptienne. Il y eut alors une crise de
commandement, les supérieurs de Sharon lui reprochant ses insubordinations
répétées. Sharon court-circuita la voie hiérarchique et obtint l'autorisation
directement de Moshé Dayan.
Cettebataille d'Ismaïliadura quatre jours. Le
terrain était totalement différent du Sinaï désertique, car il s'agissait de
domaines agricoles plantés de manguiers, configuration plus favorable à une
défense d'infanterie. La division blindée 142 de Sharon, renforcée de deux
brigades blindées et une brigade de parachutistes, fut mise en échec par une
brigade de parachutistes (la 182e) épaulée par les 73e et 122e bataillons
foudre (forces spéciales), et aidée par l'artillerie d'Abou Ghazala de la
deuxième armée. En même temps, au sud les batteries de missiles côté est furent
en partie détruites. Durant cette période décisive, ravitaillement et soutien
de l’armée israélienne par les Etats-Unis furent déterminants et sauvèrent
Tel-Aviv d’une défaite totale.
PONT-AERIEN AMERICAIN
Grâce à un imposant pont aérien et une aide
américaine massive (matériels, conseillers et renseignement), Israël retrouva
son potentiel militaire en une semaine et pu lancer plusieurs contre-offensives
qui lui permirent de pénétrer profondément en Syrie et de traverser le canal de
Suez pour progresser au sud et à l'ouest en Égypte. Le Conseil de sécurité des
Nations unies - à l’initiative de Washington et Moscou avec l’aide de Londres -
demanda un cessez-le-feu pour faire place aux négociations. Alors que les
armées israélienne et égyptienne se regroupaient, les combats reprirent sur les
fronts syriens et égyptiens, malgré l’instauration d’une trêve. Les officiers
israéliens se servirent du cessez-le-feu pour encercler l'adversaire.
Léonid Brejnev envoya une lettre à Nixon dans la
nuit du 23 au 24 octobre 1973 afin qu'Américains et Soviétiques s’accordent sur
le respect du cessez-
le-feu sur le terrain. Moscou menaça les États-Unis
d'intervenir aux côtés de l'Égypte si la Maison Blanche n’agissait pas dans ce
sens. Affaibli par le scandale du Watergate, Nixon ne fut pas consulté par ses
conseillers qui prirent des mesures d'apaisement pour mettre un terme à la
crise avec l'URSS. Nikolaï Podgorny confia plus tard qu'il avait été surpris
par la peur des Américains. Les Soviétiques n'auraient probablement pas
déclenché la Troisième Guerre mondiale à cause de cette nouvelle guerre au
Proche- Orient. La réponse des États-Unis fut de baisser le niveau d'alerte du
DEFCON et de suggérer à Sadate d'abandonner sa demande d'assistance aux
Soviétiques, ce qu'il accepta le lendemain matin. Les négociations aboutirent à
un cessez-le-feu ratifié par l’ONU le 25 octobre 1973.
L'incapacité des services secrets israéliens à
prévenir de l'attaque égyptienne provoqua un véritable séisme politique, qui se
traduisit par la démission de la Première ministre Golda Meir. Un document
déclassifié publié en 2012 après la Commission Agranat révéla qu'un
agent - Ashraf Marwan - avait prévenu le directeur duMossad - Zvi Zamir - le 5
octobre 1973, de l'imminence « d’un avertissement au sujet de la déclaration de
guerre ». Mais l'information n'était pas remontée au vice-Premier ministre
Yigal Allon.
La réussite militaire initiale égyptienne, la
destruction de la ligne Bar-Lev et la profonde remise en question de la
doctrine de sécurité israélienne débouchèrent sur l'ouverture des négociations
de paix qui aboutirent à la normalisation des relations entre Israël et
l'Égypte. Celles-ci menèrent auxaccords de Camp Daviden 1978. Contre
l'engagement de ne plus attaquer Israël, l'Égypte récupéra la péninsule du
Sinaï, occupée après la guerre de juin 1967. La frontière entre l'Égypte et
Israël fut rouverte. Pour le monde en général, la principale conséquence de
cette guerre fut le choc pétrolier de 1973, lorsque l'OPEP décida de
l'augmentation de 70 % du prix du baril de pétrole ainsi que de la réduction de
sa production.
BILANS HUMAINS ET POLITIQUES
Sur le plan des pertes humaines, les chiffres
(sources occidentales) reflètent assurément le rapport asymétrique créé par l’aide
américaine fournie à l’armée israélienne en matière de technologie militaire et
de renseignement. Côté israélien : 3 020 morts et 8 135 blessés. Côté coalition
arabe (Egypte, Syrie, Jordanie et Irak) : 9 500 morts et 19 850 blessés.
Au plan politique, Tel-Aviv commençait à comprendre
sa vulnérabilité et la nécessité d’ouvrir une négociation. Les discussions qui
s’ouvrir à la fin de la guerre d’Octobre 1073 seront ainsi les premières menées
directement entre Israël et des dirigeants arabes. Pour les Egyptiens en
particulier, cet affrontement « à somme nul », permit d’en finir avec le
traumatisme de la
guerre de juin 1967 et d’engager la discussion avec
la partie adverse sur un pied d’égalité. L’une des leçon de l’histoire était
qu’Israël ne pourrait être vaincu militairement tant qu’il serait
inconditionnellement défendu par les Etats-Unis.
En Israël, plusieurs mythes s’effondraient avec
fracas : l’invincibilité de l’armée et l’infaillibilité des services de
renseignement. Quatre mois après les hostilités, un mouvement de protestation
commença à s’élever contre le gouvernement, ciblant particulièrement Moshe
Dayan. Le 2 avril 1974 furent publiés les résultats de la commission d’enquête
dirigée par Shimon Agranat. Plusieurs responsables militaires et des services
de renseignement furent limogés. Golda Meir démissionna le 11 avril 1974,
entrainant la chute de son gouvernement.
BILAN MILITAIRE
Au final, la guerre d’Octobre 1973 apparaît comme
un conflit plus équilibré et disputé que l’interprétation qui en a souvent été
dressée, même s’il faut répéter que c’est bien le pont aérien américain qui a,
finalement sauvé une armée israélienne surprise et débordée. Cette guerre a été
le premier conflit mécanisé de haute intensité depuis la fin de la Seconde
guerre mondiale. Elle a servi de champ d’expérimentation à de nombreuses armes
de nouvelle génération dont différents types de missiles anti-char et missiles
sol-air. Elle a aussi démontré que le facteur humain demeurait l’un des
facteurs essentiels des confrontations modernes.
Malgré une importance décisive des missiles, le
char et l’avion sont restés les vecteurs fondamentaux du combat mécanisé, à
condition de s’intégrer dans un système interarmes assurant soutien et
protection. Si l’aviation a joué un rôle important, surtout dans la deuxième
partie du conflit, son engagement n’a pas été aussi décisif qu’il le fût durant
la guerre de juin 1967 : en effet, ce sont les chars et les blindés qui ont
ouvert le ciel à la chasse ! La guerre d’Octobre 1973 a confirmé que la
décision ne peut s’obtenir exclusivement par la voie aérienne et qu’elle doit
favoriser une approche inter-armées, sinon inter-alliés dans une perspective
d’élargissement des opérations.
Nombre d’enseignements des percées menées par les
armées arabes en ocotbre 1973 ont été scrupuleusement étudié par les stratèges
du Hezbollah libanais. En juillet et août 2006, ces derniers devaient infliger
à l’armée israélienne l’une de ses plus cinglante défaite...