En Turquie, l’aura perdue de Recep Tayyip Erdogan
Accroupi,
la tête ceinte d’un chapeau de prière, le président turc Recep Tayyip Erdogan
récite des versets du Coran dans la nef de Sainte-Sophie, la basilique
byzantine d’Istanbul, passée, à sa demande, du statut de musée à celui de
mosquée.
Ce vendredi 24 juillet, le service est ensuite mené
par Ali Erbas, le chef de la direction aux affaires religieuses (Diyanet).
Celui-ci prêche sabre en main pour illustrer « le droit de l’épée » hérité
de Mehmet II, le sultan ottoman qui prit la ville et la « Grande
Eglise » aux Byzantins, en 1453. « Nous avons un nouveau
message à transmettre au monde », avait averti le
président quelques jours plus tôt.
Cette posture de défenseur de l’islam sunnite est celle
qu’il affectionne le plus. Ce vendredi d’été, sa jubilation n’a pas de limites.
Ne vient-il pas de réaliser son « plus grand rêve » de
jeunesse, ramener son pays à ses racines islamiques ?
A l’extérieur de Sainte-Sophie, des centaines de milliers
de fidèles, venus de toutes les régions de ce pays de plus de 83 millions
d’habitants, laissent éclater leur joie, exhibant des affiches sur lesquelles
le président trône aux côtés du « Conquérant » Mehmet II. La
prochaine étape, promet-il, sera « la libération de la mosquée
Al-Aqsa » à Jérusalem.
Contre-révolution politique et culturelle
Cela fait dix-sept ans que sa haute silhouette – 1,85 m
sous la toise – écrase la vie politique nationale. Il a mis le pouvoir
judiciaire à sa botte, décimé l’armée, déclaré la guerre à la société civile.
Son but : imposer sa contre-révolution, politique et culturelle. Pour y
parvenir, il a inondé de signes et de préceptes religieux l’espace public, les
établissements d’enseignement, les institutions d’Etat, où les confréries islamiques ont désormais pignon sur
rue.
Bien décidé à rejeter l’héritage de Mustafa Kemal
(1881-1938), dit « Atatürk », fondateur de la Turquie moderne, Recep
Tayyip Erdogan veut en finir avec l’orientation pro-occidentale voulue par ce
dernier dans les années 1920-1930. Les militants de son Parti de la justice et
du développement (AKP, islamo-conservateur) critiquent à l’envi « la
colonisation volontaire » du pays. Selon eux, la
véritable identité turque a été trahie à l’époque de la fondation de la
République, en 1923, au profit d’une assimilation de façade qui a fait du
pays un vassal de l’Occident. « Fermer la parenthèse
du kémalisme », tel est leur objectif.