Les Arméniens de Turquie sous pression alors que le conflit fait rage au Nagorny Karabakh
Ils ont beau avoir adopté un profil bas depuis le début des combats au Nagorny Karabakh, des membres de la petite communauté arménienne de Turquie se sentent sous pression du fait du soutien inconditionnel d'Ankara à l'Azerbaïdjan face à l'Arménie dans ce conflit.
Depuis le début des affrontements le 27 septembre, l'Arménie et les Arméniens en général sont en effet visés par un discours de haine par de nombreux politiciens et des médias turcs.
"Les Arméniens autour de moi sont dévastés d'entendre depuis une dizaine de jours +Les Arméniens sont ceci, les Arméniens sont cela+. En fait, nous étouffons. Lentement, jour par jour, heure par heure. Nous étouffons sous votre haine", a écrit Delal Dink le 8 octobre dernier dans Agos, l'hebdomadaire de la communauté arménienne de Turquie.
Les mots de la fille de Hrant Dink, journaliste arménien assassiné en 2007 à Istanbul, traduisent le climat d'inquiétude et de pression au sein de la communauté arménienne du pays depuis le début des hostilités au Nagorny Karabakh entre les séparatistes appuyés par l'Arménie et l'Azerbaïdjan.
Le président Recep Tayyip Erdogan a à plusieurs reprises qualifié l'Arménie d'"Etat voyou", tandis que les chaînes turques évoquent de supposés "crimes de guerre" commis par les Arméniens, indique l'AFP.
Des convois de voitures brandissant des drapeaux d'Azerbaïdjan, klaxonnant à tout-va et lançant des slogans de haine ont fait le tour des quartiers d'Istanbul connus pour être historiquement peuplés des Arméniens.
- "Je n'allume pas la télé" -
Pour de nombreux membres de la communauté, descendante des survivants du génocide arménien de 1915 et comptant aujourd'hui environ 60.000 membres vivant essentiellement à Istanbul, ces comportements ravivent leur malaise.
"Je n'allume jamais la télé chez moi, mais je vois le discours de haine et la diabolisation des Arméniens qui y est propagée lorsque j'entre dans un magasin où les gens regardent les infos", raconte Silva Ozyerli, une Arménienne originaire de Diyarbakir, dans le sud-est du pays, et vivant à Istanbul.
"Les médias et la rhétorique de l'Etat font de nous des 'ennemis'. Je me sens prise en otage", ajoute-t-elle.
La vague de démocratisation du début des années 2000 en Turquie avait pourtant quelque peu amélioré le quotidien de la communauté arménienne, qui avait été, dans le passé, victime de nombreuses attaques et discriminations.
Pour Yetvart Danzikyan, le rédacteur en chef d'Agos, la situation est aujourd'hui "pire que dans les années 1990".
"Les chaînes télévisées et les officiels répètent sans cesse à quel point l'Arménie est un pays +terroriste+. L'Arménie est ensuite remplacée par les Arméniens dans les discours. Cela met naturellement les Arméniens de Turquie sous tension. On ne sait pas ce qui peut nous arriver dans la rue", s'alarme-t-il.
- "Traître" -
Lorsque des affrontements mineurs avaient eu lieu en juillet entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, suivis d'une accalmie qui a précédé les combats en cours, trois migrants d'Arménie avaient été attaqués et blessés par des inconnus à Istanbul, avait rapporté le journal Agos.
"La montée d'un discours nationaliste est épuisante pour la communauté arménienne qui se sent asphyxiée et acculée", ajoute M. Danzikyan.
Dans ce climat tendu, des appels pour la paix au Nagorny Karabakh deviennent inaudibles ou, pire, assimilés à une trahison.