Publié par CEMO Centre - Paris
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Intérêts mutuels: Quelle est la position du pouvoir politique face au soufisme dans les pays arabes

vendredi 05/octobre/2018 - 06:00
La Reference
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Intérêts mutuels: Quelle est la position du pouvoir politique face au soufisme dans les pays arabes ?

 

Les relations entre les soufis et le palais royal au Maroc, se sont développées aux temps des Rois Hassan II et Mohammed VI. Ce dernier considère le soufisme comme une véritable force populaire qui garantit la stabilité des familles et leur soutien aux autorités politiques. C’est pourquoi il soutient financièrement les soufis.

  Aboul Fadl Al-Isnawy, expert en études du nord du Maroc

Les relations entre le soufisme et les régimes politiques dans les pays arabes, sont basées sur les intérêts réciproques. Depuis des décennies, les politiques ont toujours tenté d’attirer les adeptes du soufisme pour bénéficier de leur soutien politique et du maintien de la stabilité sociale, et parfois pour servir de rempart contre les mouvances religieuses rigoristes et fanatiques. Le soufisme de son côté bénéficie d’une assistance matérielle  – subventions du gouvernement par l’entremise d’un ministère en charge des affaires religieuses – étant donné que dans certains pays, le soufisme est régi par des lois que sont chargés d’exécuter des Conseils élus, à travers une assistance morale consistant à permettre l'apparition dans les médias publics des adeptes du soufisme, ainsi que la célébration des séances d’adoration et des mouleds dans l’espace public.

Même si les relations entre les deux parties se basent sur une mutualité des intérêts, c’est le pouvoir politique qui demeure la partie la plus puissante. Pourquoi, à l’exception du Maroc, les tendances soufies ne bénéficient-elles pas d'accord avec les gouvernements depuis les révolutions arabes de 2011, afin qu’elles recouvrent leur  place  dans les sociétés arabes ? Et quelles seront la forme et l’orientation de ces relations dans le futur ?

  Positions similaires

La forme des relations entre le soufisme et les régimes arabes ces derniers temps, révèle des points similaires pour tous ces pays dont certains veillent à consolider les relations avec le soufisme pour des raisons de circonstances suite aux révolutions de 2011. Il est possible de prouver l’existence des points similaires dans les relations entre les régimes qui se sont succédé et le soufisme en se servant, comme exemple, des quatre régimes arabes différents aussi bien par leur longévité que par leur forme et les références du parti au pouvoir. On retiendra l’Egypte comme modèle où les régimes politiques ont changé plus d’une fois notamment après les révolutions, le Maroc comme modèle de système politique différent, le Soudan comme modèle ayant un parti politique à référence religieuse et l’Algérie comme modèle de longévité du régime avec Abdel Aziz Bouteflika.

 

(*) Le modèle égyptien

Les rapports avec le soufisme n’ont pas changé, en Egypte, du président Gamal Abdel Nasser jusqu'au président actuel Abdel Fattah Al-Sissi, même si les raisons ne sont pas les mêmes. La position de l’ex-président Hosni Moubarak n’est pas très différente de celle de son prédécesseur Anouar Sadate. Du temps de ce dernier, le soufisme régnait sur la scène religieuse égyptienne. Tous les responsables veillaient à prendre part aux célébrations des mouleds organisées par les soufis. Le président Sadate soutenait le soufisme au point qu’il a écrit un article pour le magazine du soufisme lors de son lancement. Pendant le règne de Moubarak, le soutien au soufisme s’est diversifié en assistance matérielle – quoique modique – qui s’est traduite par la création du Conseil Suprême du Soufisme par la loi 18/1978 en vertu de laquelle, une partie des fonds de la caisse des vœux était allouée aux mouvances soufies ; et en assistance morale qui consiste à couvrir par les médias publics, les célébrations des soufis et la participation des autorités publiques auxdites célébrations.

Pendant le règne de Gamal Abdel Nasser, la position du régime était plus rigoureuse. Le président tenait d’une main de fer les mouvances soufies afin de profiter d’elles au maximum. Avec le président actuel, le modèle est plus proche des dix dernières années de Moubarak même si on remarque une légère augmentation des soufis dans les institutions de l’Etat à l’instar du Parlement. Ainsi les relations entre le régime et les mouvances soufies sont basées sur l’apport du régime en soutien moral pour redorer le blason du soufisme dans la rue égyptienne et combler le vide laissé par la confrérie des Frères musulmans.

(*) Le modèle marocain

En dépit des similarités qu’on observe dans les relations entre le soufisme et les pouvoirs politiques dans les pays arabes, il faut relever que le modèle marocain est le plus développé du fait qu’il évolue simultanément dans les deux aspects de soutien, moral et financier sous forme de dons. Il est évident que les relations entre le palais royal et les mouvances soufies ont connu une nette amélioration des temps des Rois Hassan II et Mohammed VI. Considérant le soufisme comme une force populaire qui garantit la stabilité, le Roi Mohammed VI a entrepris de  financer les mouvances soufies comme on finance les partis politiques.

L’on peut dire que la profondeur des relations entre le palais royal et les mouvances soufies et les aides dont jouissent ces dernières depuis ce qu’il est convenu d’appeler le printemps arabe en 2011, ont donné des résultats positifs très rapides que les observateurs ont confirmés dans la position de la mouvance "Al Boudchichiya" qui avait demandé à ses adeptes à voter en faveur de la Constitution de 2011.

 

(*) Le modèle algérien

De tous les présidents algériens qui l’ont précédé, Bouteflika est celui qui a eu les liens les plus étroits avec les mouvances soufies, du fait que lui-même est adepte de la mouvance "Al Darqawiya Al Habriya", en vogue dans la région de Tlemcen, sa terre natale. Il est également rapporté par certains observateurs qu’il aime prendre les bénédictions des soufis et que, peu avant les élections présidentielles de 1999, il a effectué une retraite spirituelle d’une semaine  dans la région d'Adrar au nord de l’Algérie, suite aux recommandations d’un cheikh de la ville de Nadroma à Tlemcen.

Les rapports particuliers de Bouteflika avec les mouvances soufies ont suscité un soutien considérable du soufisme de la part des leaders politiques, des militaires, des policiers, des leaders des partis politiques (Le Front de Libération Nationale - FLN - au pouvoir et le Parti du Rassemblement National) Le soutien qu’accorde le gouvernement aux mouvances soufies sont d’ordre moral – permission d’une large visibilité dans la société – et d’ordre matériel : rénovation des lieux de culte soufis.

 

(*) Le modèle soudanais

En dépit de l’absence d’une assistance morale ou financière du gouvernement en faveur des mouvances soufies, il a été constaté ces derniers temps, un changement positif de la position des autorités face aux mouvances soufies notamment après leur allégeance précoce au président El-Bachir pour les élections présidentielles de 2020. En mars 2018, le président El-Bachir avait rencontré certains de leurs cheikhs afin de les remercier pour cette allégeance et leur annoncer le soutien du gouvernement en faveur des soufis qu’il considère comme le modèle islamique le plus modéré.

 

  Justifications claires

Les justifications fournies par les régimes arabes dans leur soutien aux mouvances soufies, sont très proches les unes des autres. Le soufisme considéré comme le courant le plus puissant face aux groupes islamiques et comme lobbys sociaux très puissants pouvant être exploités en faveur des régimes par la promotion de leurs politiques et garantir ainsi l’allégeance des tribus qui constituent la base populaire du soufisme dans les pays arabes.

En Egypte, les mouvances soufies ont soutenu le président Moubarak dans sa lutte contre les groupes islamistes, alors que le président Sadate les encourageait à affronter toute sorte de danger venant des forces politiques et sociales qu’il considérait comme menace pour l’Etat. Le président Nasser les a utilisées pour parvenir aux couches sociales les plus démunies en zone rurale, pour combattre les Frères musulmans et comme base de propagande populaire pour soutenir sa politique extérieure du panarabisme. Les justifications du président Al-Sissi ne sont pas différentes de celles de ses prédécesseurs. La plus importante de ces justifications est de diffuser une notion modérée et équilibrée de la religion face au fanatisme et au terrorisme.

Au Maroc, le Roi les soutient pour acquérir la légitimité à combattre les mouvements fanatiques, outre la promotion de sa politique  intérieure et extérieure étant donné que les mouvances soufies constituent une force diplomatique spirituelle très influente dans les sociétés environnantes. Le Roi s’appuie sur les mouvances soufies pour concurrencer les autres pays de l’Afrique de l’Ouest.

En Algérie, la justification est de créer un phénomène social autour du régime politique en plus de la lutte contre les courants fanatiques et extrémistes qui avaient fait sombrer l’Algérie dans un bain de sang depuis 1992.

 

  Scénarios possibles

De manière générale, il semble que les mouvances soufies n’ont pas établi de plan spécial en vue de se développer et d’approfondir leurs relations avec le pouvoir politique dans les pays arabes, en dépit du fait que les circonstances actuelles s’y prêtent favorablement sachant que ces pays font face aux groupes religieux qui les traitent de mécréants et cherchent à les combattre, et que certains dirigeants s’attellent à faire évoluer le discours religieux prônant la modération et le juste milieu qui constituent la base de leurs visions idéologiques et sociales.

A la lumière de ce qui précède, l’on peut juste prédire qu’il n’y a que deux scénarios possibles pour les mouvances soufies dans leurs relations avec les régimes politiques des pays arabes.

  Premier scénario : La continuité et la stagnation de la nature des relations entre les mouvances soufies et les régimes. Si les mouvances soufies ne tirent pas profit des circonstances actuelles – à causes de leurs différends et leurs divergences – pour s’approcher davantage des pouvoirs politiques pour une meilleure collaboration, il est fort probable que ces mouvances finissent par être ignorées par les autorités ou que les assistances dont elles bénéficient soient réduites car il sera constaté leur échec à combler le vide laissé après les groupes islamistes extrémistes. Ce qui se passe en Egypte depuis la révolution du 30 juin 2013, est l’illustration parfaite de ce scénario. La carte d’expansion du soufisme a positivement changé depuis lors, mais ce changement a été de courte durée. Le soufisme a retrouvé sa place centrale dans le Grand-Caire.

 

  Second scénario : La baisse du niveau des relations entre les deux parties, puis la réduction de l’aide financière et morale en faveur du soufisme dans certains pays arabes. Ce scénario de dégradation du soufisme – pas dans tous les pays arabes mais dans certains – conduirait à une prise de position négative de la part des régimes, notamment en Egypte où il est censé se produire car le soufisme ne joue plus le rôle de promoteur des politiques de l’Etat qu’il jouait auparavant.

 

 

En conclusion, l’on peut dire que les circonstances actuelles sont les meilleures que peuvent saisir les mouvances soufies en vue d’améliorer leurs relations avec les régimes politiques dans les pays arabes, et d’en profiter aussi bien moralement que financièrement d’autant plus que la plupart de ces régimes ont déjà  émis des messages très clairs à l’attention des soufis sur la nécessité d’apaiser les réclamations sociales et de combattre l’idéologie extrémiste.

 

 

 

 

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