Liban : un État sous tension
L’éclatement de la crise du coronavirus a accéléré la dégradation de la situation socio-économique du Liban. En état de quasi-faillite, la société civile, appuyée sur les systèmes caritatifs communautaires et les partis politiques, a fait preuve d’une résilience qu’il convient de saluer. Cependant, la hausse rapide des contaminations depuis le début de l’été 2020 laisse craindre une sérieuse dégradation de la situation à l’automne.
Le 4 août 2020, l’incendie d’un entrepôt dans le port de Beyrouth abritant plus de 2 750 tonnes de nitrates d’ammonium provoquait une violente explosion au cœur de la capitale libanaise. D’une ampleur sans précédent, la catastrophe a causé la mort de près de 200 personnes et des milliers de blessés et laissé 300 000 Libanais sans-abris.
Devant l’ampleur des pertes, estimées à plus de 15 milliards de dollars sur le plan matériel, les Libanais sont massivement redescendus dans la rue pour demander le départ de l’ensemble des leaders politiques. Si le président Aoun refuse de quitter le pouvoir, craignant que la vacance du pouvoir n’entraîne le pays dans une spirale de violences, le Premier ministre Hassan Diab a démissionné le 10 août.
Contraint par la pression populaire aussi bien qu’internationale, le pouvoir est désormais sommé de faire la preuve de sa détermination à mettre en œuvre les réformes structurelles dont le pays a besoin, au risque de voir la crise sanitaire et socio-économique se transformer en une crise politico-sécuritaire majeure.
La pandémie de coronavirus, un catalyseur
Le 21 février 2020, le premier cas d’infection au coronavirus était identifié au Liban chez une patiente revenant d’Iran. Alors que les cas se multipliaient en Iran, dans le Golfe mais aussi au Maghreb, le gouvernement libanais a dès le 15 mars pris la décision de fermer les frontières terrestres avec la Syrie ainsi que les ports et les aéroports du pays.
Dès la mi-mars, le gouvernement libanais a décrété une mobilisation générale pour faire face à l’urgence sanitaire qui a conduit à la cessation de l’activité de la majorité des commerces, restaurants, hôtels et autres centres de loisirs du pays. Les rassemblements ont été interdits et seuls les services publics et les activités indispensables au ravitaillement de la population ont continué de fonctionner.
Si les mesures mises en œuvre par le gouvernement et les différents entrepreneurs communautaires ont permis de contenir un temps la dissémination du virus, elles ont eu un impact considérable sur la situation socio-économique déjà très précaire du pays.
L’arrêt de l’économie libanaise a ainsi mené à une contraction du PIB de presque sept points, alors que l’année 2019 s’était terminée par une stagnation économique (source : FMI). Or, chaque mois de confinement coûte environ 2,5 milliards de dollars à l’économie libanaise. La crise sanitaire mondiale devrait réduire à peu près à néant les espoirs de profit liés à la saison touristique. En deux mois, l’arrêt de l’activité économique aurait causé la perte d’au moins 200 000 emplois, de nombreuses faillites, sans compter la disparition des emplois informels dans les transports, la construction, la restauration et l’hôtellerie, etc.
En dépit de ses limites capacitaires, le système hospitalier, public et privé, a réussi à faire face tant bien que mal aux besoins. La pénurie de devises que connaît le pays depuis octobre 2019 limite dangereusement les capacités des institutions sanitaires à importer les équipements et médicaments nécessaires à la protection des personnels soignants et à la prise en charge des patients. La détérioration des finances publiques n’avait déjà pas permis à l’État de verser aux hôpitaux leurs dotations annuelles fin 2019.
L’afflux de blessés après l’explosion du port a saturé les infrastructures hospitalières beyrouthines et la reprise des manifestations pourrait accélérer la circulation du virus. Ces difficultés sont susceptibles de mettre le système de soins en forte tension en cas de recrudescence du virus à l’automne.
Des structures de soins ad hoc ont, par ailleurs, été mises en place par les partis politiques et organisations communautaires au niveau des municipalités, soulignant les limites des autorités gouvernementales. S’appuyant sur ses structures caritatives et profitant de son implantation étendue, le Hezbollah s’est révélé particulièrement actif dans ce domaine, avec l’ouverture de dizaines de centres de test dans l’ensemble du pays.
En l’absence de consensus politique national, le gouvernement n’a pas été en mesure de distribuer l’aide de 145 dollars prévue pour les 43 000 familles libanaises les plus pauvres du pays. Une aide qui, pour la plupart des foyers, s’avère pourtant indispensable.
Les nombreux réfugiés syriens et palestiniens installés au Liban, dont une partie n’a pas d’existence légale, ne sont de surcroît pas bénéficiaires de ces allocations. Plus d’un million et demi de réfugiés syriens vivraient au Liban, dont seulement 950 000 recensés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). La pandémie est venue renforcer la vulnérabilité de ces populations difficilement accessibles pour les organisations caritatives nationales et internationales.
La crise a également placé dans une situation de grand dénuement les quelque 250 000 travailleurs immigrés africains et asiatiques présents dans le pays. Si certaines ambassades, comme celles des Philippines, ont organisé le rapatriement de leurs ressortissants, la grande majorité de ces immigrés, sans passeport, n’a pu compter, dans l’infortune, que sur l’aide de leurs coreligionnaires.