Libye : la question du départ de Sarraj au cœur des débats
« Je déclare mon souhait sincère de céder mes fonctions à un prochain pouvoir exécutif, avant fin octobre au plus tard. » Cette annonce, faite le 16 septembre, par le Premier ministre libyen Fayez el-Sarraj a rapidement fait les gros titres. Elle n’en était pas moins attendue à Tripoli, où courait déjà la rumeur plusieurs jours avant la nouvelle officielle.
Fayez el-Sarraj dispose certes de raisons notoires. Celui qui mène le gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli depuis près de cinq ans se trouve confronté à une série de pressions créant un contexte inédit. Les manifestations de Tripoli, en août dernier, entachent la réputation du gouvernement et « augmentent la pression sur Sarraj, puisqu’il fait face à des accusations de corruption de la part de plusieurs parties, dont certains officiels de la Banque centrale libyenne », souligne à L’Orient-Le Jour Samuel Ramani, chercheur en relations internationales à l’université d’Oxford.
Mais son départ, annoncé de manière solennelle lors d’une allocution télévisée, n’est peut-être pas ce qu’il prétend être, avertissent plusieurs observateurs. « Il y a un jeu de non-dits, d’ambivalences et de zone grise qui fait qu’on ne sait pas s’il va vraiment partir », estime Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye au sein de l’unité de recherche sur les conflits au Clingendael Institute, à La Haye. Selon lui, on ne pourra parler de la démission « comme d’un événement tangible, que lorsque Sarraj aura effectivement quitté ses fonctions ».
À y regarder de plus près, l’annonce envoie effectivement des informations brouillées. D’abord parce qu’il existe en Libye un historique qui consiste à utiliser la démission comme un instrument politique. En ce sens, la décision a peut-être plus de valeur pour son effet d’annonce que pour sa mise en œuvre effective. « Quand les politiciens annoncent leur démission, généralement ils restent », ironise Jalel Harchaoui. Ensuite parce que les propos de Fayez el-Sarraj laissent la porte ouverte à toutes les possibilités. « Il n’a jamais dit qu’il démissionnera, mais qu’il quitterait le pouvoir si telles et telles conditions sont remplies », remarque Tarek Megerisi, chercheur spécialiste de la Libye au European Council on Foreign Relations. Parmi les conditions : le rétablissement d’un dialogue entre les grandes factions du pays et la formation du nouveau Conseil présidentiel tripartite, tel que prévu par l’initiative onusienne d’août qui comprend la relance d’un processus de réconciliation nationale. « Mais l’autre option, presque également possible, est qu’il ne se prononce pas et maintienne un nuage de flou, faisant durer le plaisir pendant des mois », estime Jalel Harchaoui.
Gagner du temps
Pourquoi Fayez el-Sarraj, engagé depuis le 21 août dans un processus de réconciliation nationale sous l’égide de l’ONU et avec l’aval tacite de la Turquie, chercherait-il à créer cette zone de latence ? À court et moyen terme, l’annonce représente un gain politique permettant de reprendre la main. « Il prétend être sérieux, mais il pourrait simplement s’agir d’un moyen de s’extraire des problèmes dans lesquels il est empêtré », estime Tarek Megerisi. L’annonce de la démission permettrait ainsi de geler les engagements et de reprendre l’initiative. « On ne peut plus exiger la signature de pactes, envisager des accords, attendre des promesses au nom de la Libye… Plus personne ne pourra l’embêter avec des histoires d’accords économiques ou militaires, d’alliances… En faisant une conférence de presse, il recommence également à contrôler le calendrier libyen », estime Jalel Harchaoui.