En Libye, l’émergence d’une société civile protestataire rebat les cartes politiques
Ce sont des scènes auxquelles les Libyens
n’avaient plus assisté depuis bien longtemps. Cortèges de manifestants,
banderoles déroulées et slogans criés contre la corruption, le coût de la vie
ou la défaillance des services publics : ces images d’une société civile
en plein réveil sont en train de se substituer aux clichés de milices surarmées
qui ont tant contribué à façonner la réputation extérieure d’une Libye réduite à ses seules convulsions militaires. Depuis
le 23 août, des protestations – principalement de jeunes gens – ont éclaté
à Tripoli, Misrata et Zaouïa, en Tripolitaine (ouest), avant de s’étendre à
Benghazi, Tobrouk ou Al Marj, en Cyrénaïque (est).
Si certains groupes armés sont intervenus
pour tenter de mater le mouvement – Human Rights Watch (HRW) a dénoncé
24 arrestations à Tripoli entre le 23 et le 29 août, tandis que la
mission des Nations unies pour la Libye a déploré la mort d’un manifestant à
Al Marj le 12 septembre –, ces mobilisations ont pu se déployer avec
une aisance relative tant les mots d’ordre des marcheurs recoupent les
préoccupations de la population. Un nouveau courant d’opinion semble ainsi
émerger en Libye, en rupture avec les acteurs politico-sécuritaires qui ont
fait main basse sur le pays depuis son enlisement dans la guerre civile à
partir de 2014.
Ses griefs sont principalement de nature
socio-économique – pénurie d’eau, d’électricité et de biens de consommation,
inflation, etc. –, mais la mauvaise gouvernance dénoncée pose en filigrane la
question de la confiscation du pays par un cartel de milices et les réseaux
politiques associés tant à l’ouest qu’à l’est. « Au-delà des
microclimats et des contextes locaux, les dynamiques de fond sont
communes, analyse Virginie Collombier, chercheuse à l’Institut
universitaire européen de Florence. Ces mouvements sont dirigés contre les
élites politiques, qui, absorbées par leurs jeux de pouvoir, sont incapables de
fournir à la population les services de base. »