Le rôle social des ordres soufis dans la région arabe
Le Soudan est le pays arabe qui soutient le
plus la stabilité communautaire et le règlement des conflits, ceci par le biais
des « comités de réconciliation » formés d’arbitres d’une très grande
sagesse. Ces comités ont pour mission de régler les conflits dans des domaines
comme l'irrigation, l'agriculture, le pâturage, l'héritage et le statut
personnel.
Aboul Fadl Al-Isnawi, expert des études
maghrébines
Les ordres soufis dans de nombreux pays
arabes et africains comme l'Egypte, le Maroc, l'Algérie, la Mauritanie, la
Libye, le Niger, le Tchad, le Mali, le Sénégal, le Burkina Faso, et le Nigeria,
jouent un rôle social qui prend différentes formes et dimensions même au sein
d’un seul Etat.
Compte tenu du rôle social croissant de certains
de ces groupes, surtout ceux qui ont un caractère extraterritorial, certains
gouvernements locaux et étrangers ont cherché à les soutenir, pour combler le
vide social laissé par certains courants de l'Islam politique. Ces derniers
utilisent le travail social pour exploiter politiquement les gens simples.
Avant de répondre à la question centrale, à
savoir sous quelles formes peut se manifester ce rôle social, quelles sont ses
limites, et surtout comment le relancer, il convient de noter que les facteurs
politiques et sociaux et les transformations subies par certaines sociétés
arabes depuis la chute des Frères musulmans en Egypte en Juin 2013, ont eu une
incidence positive considérable sur le rôle des ordres soufis dans certains
pays, notamment au Maghreb, dans certains pays d'Afrique, en Occident et au
Soudan. Les ordres soufis jouent un rôle clé dans le règlement des conflits, la
solidarité sociale et la lutte contre la pauvreté dans les régions rurales et
marginalisées.
L’objet de notre étude est d'identifier ce
rôle social des ordres soufis, de mesurer ses effets sur les courants de
l'Islam politique, et de déterminer l’impact du soutien interne et externe sur
le développement social des ordres soufis au cours des cinq dernières années.
La principale problématique consiste à répondre à la question suivante :
comment le rôle social des ordres soufis a-t-il évolué depuis Juin 2013 ?
L’étude est divisée en trois axes, le premier
porte sur la carte soufie de la région arabe, et le second aborde le rôle
social des confréries soufies. Quant au troisième axe, il traite des obstacles
et des moyens de relancer le rôle soufi.
1 La carte des ordres soufis dans la région arabe
Avant de révéler le rôle social des ordres
soufis, ses limites, et comment le développer, il convient d’abord de tracer la
carte soufie dans le Monde arabe et en Afrique, surtout que les confréries
soufies sont en état d’expansion et de morcellement permanent, ce qui fait que
leur nombre a augmenté et avoisine aujourd’hui les 300 confréries. Certaines de
ces confréries possèdent un grand nombre de partisans, et ont beaucoup
d’influence sur la vie publique, comme les Tidjani au Soudan, la Rifa'iya en
Egypte, la Rahmaniya en Algérie, la Bourhaniya en Tunisie, la Alawiya au Maroc,
la Chadéliya en Syrie, la Issawiya en Libye, et la Alawiya Al-Ghazaliya
au Yémen. Il existe aussi des confréries soufies dans certaines régions rurales
qui jouent un rôle social dans des limites géographiques très restreintes (1).
Géographiquement, les ordres soufis de la
région arabe se trouvent en Afrique du Nord, surtout l'Egypte et le Soudan,
dans les pays du Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc, Libye), en Afrique de l'Est
(Somalie) et en Afrique de l'Ouest (Mauritanie). On trouve aussi des ordres
soufis, dans des limites plus restreintes, dans la région du Golfe (Koweït,
Emirats Arabes Unis et Bahreïn), en particulier la Qadiriya et la Naqchabandiya
(2).
Il est primordial de classer ces groupes en
fonction de leur champ géographique (interterritorial ou extraterritorial)
c’est-à-dire dans les frontières de l’Etat ou hors des frontières de l’Etat et
ce comme suit :
(*) Le modèle interterritorial (dans les
limites de l'Etat):
Ici, on peut voir les ordres soufis dans une
optique très étroite en les répartissant à l’intérieur de chaque Etat. Les
ordres soufis d’Egypte peuvent porter les mêmes noms que ceux du Maroc, de
Tunisie, d’Algérie et du Soudan ou encore d'autres pays arabes et africains.
Cependant, le rôle social de ces confréries diffère d'un pays à l'autre, non
seulement à cause de l’attitude de l'État vis-à-vis d’elles, mais aussi pour
des raisons financières et économiques, et la capacité de ces groupes à
rivaliser avec les courants de l'Islam politique sur le terrain social. Nous
allons déterminer les caractéristiques des plus importants groupes soufis
arabes et africains, qui jouent un rôle social, en prenant les cas de l'Egypte,
du Soudan et du Maroc :
1- Les ordres soufis en
Egypte
Il existe 78 confréries soufies en Egypte,
réparties dans la vallée du Nil et dans les gouvernorats du delta, en
particulier Gharbiya, Charkiya et Daqahliya. Parmi les confréries les plus
répandues dans les quartiers du Grand-Caire on trouble La Azmiya, la Saa’diya,
la Rifa’iya, la Naqchabandiya, la Chéhawiya et la Chabrawiya.
Il est difficile de faire la séparation entre
ces groupes soufis et la structure tribale dans les zones géographiques où ils
opèrent, ce qui limite le rôle social du soufisme égyptien. Celui-ci s’est
limité au cours des dix dernières années au règlement de certains problèmes
sociaux, ainsi que l’instauration de la paix dans les villages et les hameaux
qui possèdent une structure tribale solide.
2- Les ordres soufis au
Maghreb
En Algérie, il y a environ 30 confréries
soufies réparties sur 9 mille Zawyas (petites mosquées). Elles réunissent 4
millions d’adeptes. Les plus célèbres sont la Rahmaniya, la Senussiya,
la Darquawiya, la Tayibiya, la Tijaniya, et la Alawiya.
Ces ordres se trouvent dans la capitale, et dans les zones proches des
frontières marocaines, en particulier les méthodes Maridiya et Tijaniya.
Quant aux ordres soufis au Maroc, ils sont aussi nombreux qu’en Algérie. En
effet, il y a un chevauchement entre les groupes soufis des deux pays. Les
confréries soufies marocaines se trouvent principalement dans les zones rurales
à l’Est. Parmi les plus influentes on trouve la Hansaliya, la Alawiya,
la Qadrawiya, la Karkariya, la Darqawiya, la Chadhéliya
et les Chabiounes (6).
L’interrelation entre les groupes soufis aux
pays maghrébins, et la concurrence entre le Maroc et l'Algérie en Afrique de
l'Ouest ont donné au soufisme marocain une caractéristique très importante, à
savoir un déploiement à plusieurs niveaux. Si ces groupes jouent déjà un rôle
social à l’intérieur des Etats, les gouvernements les encouragent à faire de
même hors des frontières, en Afrique de l'Ouest et dans les pays sahélo-sahariens,
ce qui a donné lieu à la « diplomatie spirituelle », qui est une
caractéristique importante de la politique étrangère marocaine et algérienne en
Afrique.
3- Les ordres soufis au
Soudan
Il y a au Soudan une quarantaine de
confréries soufies, réparties sur une vaste zone géographique. Chacune de ces
confréries est un centre de gravité dans son périmètre géographique. Ainsi, la Sama’iya
est très répandue au centre du Soudan et à l'ouest d’Omdurman. La Tijaniya
est répandue au Darfour, à Shendi, et à Al-Damer Al-Abyad ainsi qu’à Khartoum
et à Omdurman. La Khatmiya est en vogue dans l'est du Soudan et au nord
de Khartoum. Quant à la Qadiriya, elle est très présente au centre du
Soudan, et dans la province du Nil. Enfin, les méthodes les plus modernes,
comme la Bourhaniya, la Dandarawih et la Idrissiya, se
trouvent dans des zones éparpillées près de la frontière égyptienne.
L’imbrication de ces groupes soufis soudanais
dans les structures familiales et tribales a stabilisé et diversifié leur rôle
social, les plaçant ainsi parmi les meilleurs groupes mystiques arabes. Rassemblés
autour des sanctuaires des saints, les Soudanais ont dépassé le problème du
tribalisme. La loyauté à la famille et à la tribu est devenue une loyauté au
village et à l’emplacement géographique. Soulignons aussi le fait que le
soufisme soudanais joue un rôle dans le rapprochement entre les tribus et leur
intégration les unes dans les autres, ce qui contribue à répandre la paix parmi
les habitants des villages. Le rôle social des soufis soudanais a même réduit
le fossé entre les classes sociales, qu’il s’agisse de citoyens pauvres,
riches, éduqués, analphabètes, commerçants, agriculteurs ou artisans.
(*) Le modèle
extraterritorial et transfrontalier
Il s’agit des groupes soufis dont l’influence
va au-delà des frontières de l'Etat, c’est-à-dire qui sont répandus dans plus
d’un pays tout en restant sous la direction d’un seul cheikh. Ces groupes sont
bâtis autour d’un système administratif et hiérarchique uni. La raison pour
laquelle nous avons choisi d’inclure ce modèle à notre étude, est que celui-ci
joue un rôle social interne et externe aussi bien au sein des communautés
arabes que dans les pays occidentaux, les zones de crise et les régions pauvres
qui ont besoin d'assistance. Ces groupes soufis travaillent en coordination
avec certaines organisations de la société civile. Soulignons aussi le fait
qu’ils possèdent une grande notoriété sur le plan économique et commercial.
Certaines confréries soufies sont parvenues à
transporter leurs croyances et leur influence hors de leurs régions d’origine,
que ce soit à l’intérieur d’un pays ou dans plusieurs pays à l’environnement
politique et social différent. Elles ont étendu leur influence dans les zones à
forte densité arabe et émigrée dans certains pays. Elles constituent
aujourd’hui de véritables groupes transfrontaliers influents sur le plan
économique et social.
Parmi ces ordres transfrontiers de la région
arabe, il y a la Bourhaniya et la Dessoukiya. Leurs adeptes en
Egypte, en Libye, en Algérie, au Maroc, au Yémen, en Tunisie, en Syrie, en Jordanie
et au Soudan se sont rendus en Europe. Les deux confréries possèdent désormais
des adeptes en Suède, en Norvège, au Danemark, en Allemagne, aux Pays-Bas, au
Luxembourg, en Suisse, en Italie, en Russie, au Canada et aux Etats-Unis. Les
cheikhs de la méthode Muhammadiya Fawzawiya Karkariya, fondée par
le cheikh Mohamed Fawzi au Maroc ont réussi à se déplacer au sein des
communautés arabes en France, en Indonésie et en Espagne. Même chose pour les
élèves du cheikh Mohamed Bahaa Eddine Naqchabandi qui ont pu étendre leurs
activités en Egypte et en Syrie à la plupart des pays asiatiques, surtout
l'Asie centrale.
II – Les rôles sociaux du
soufisme
Le fait que les rôles sociaux du soufisme
soient très diversifiés ne signifie pas que ces rôles peuvent être généralisés
à l’ensemble des groupes soufis. En effet, tous les groupes soufis n’ont pas la
même fonction. Il arrive qu’un groupe assume plusieurs fonctions sociales,
alors que d'autres se limitent à une fonction spécifique.
Les différences entre les fonctions sociales
des groupes soufis sont dues à plusieurs facteurs dont le plus important est le
potentiel économique du groupe. La plupart des fonctions sociales que nous
allons aborder dépendent principalement de la capacité de chaque groupe à
s’intégrer au sein de l'environnement social et tribal, en plus de sa présence
sur le terrain. L’intégration des groupes soufis dans l’environnement tribal
leur permet de jouer le rôle de médiateur dans les litiges, et donc de
consolider la paix communautaire. Le charisme dont jouissent certains cheikhs
soufis a fait que leurs conseils et leurs opinions sont mieux acceptés par la
population. Soulignons aussi les nombreux sièges et zawiyas soufis, un fait qui
contribue à accélérer leur infiltration dans la société.
Etant donné ce qui précède, les fonctions
sociales des ordres soufis peuvent être identifiées selon les modèles suivants
:
(*) Le modèle de solidarité : la plupart des
ordres soufis dans la région arabe ont des liens avec différents groupes de
travailleurs comme les ouvriers, les paysans et aussi avec les personnes
marginalisées, que ce soit dans les villes ou les villages. En plus, ces
groupes recrutent des personnes qui souhaitent se repentir. Tous ces facteurs
ont fait qu’ils jouent un rôle de solidarité. Certains groupes ont fondé des
centres pour la mémorisation du Coran, ainsi que des orphelinats et ont créé
des fonds pour la collecte de la Zakat (l'aumône légale), afin de rapprocher
les adeptes du soufisme des autres citoyens, qu’il s’agisse de dévots, d’amis
ou de personnes recherchant simplement du travail. Certaines Zawiyas soufies
reçoivent des personnes en voyage, et d’autres ouvrent leurs portes pour
héberger temporairement des patients.
On remarque des différences en ce qui a trait
à la forme de cette solidarité sociale dans nos trois exemples (Egypte, Maroc,
Soudan). On note également un recul dans la performance des groupes soufis
égyptiens par rapport aux groupes soudanais et marocains, ainsi qu’une
diversification des méthodes de solidarité sociale chez les soufis soudanais et
marocains. L’une de leurs plus importantes méthodes consiste à soutenir les
mariages collectifs au sein des communautés pauvres et rurales. Exemple :
ce qu'a fait Abdul Rahim bin Al-cheikh Mohammed Al-Borai, l’un des plus éminents
cheikhs soufis au Soudan et dans le monde islamique. Le cheikh a fait plusieurs
œuvres de charité. Il a marié plus de cinq mille jeunes hommes et jeunes
femmes. Certains groupes soufis présentent des services sociaux comme les soins
accordés aux mineurs, l’entretien des orphelins, et des veuves et l'adoption
des enfants trouvés.
(*) Le modèle de développement: (éducation et
culture) : le rôle des soufis dans le secteur de l'éducation est très ancien.
Aujourd’hui, les soufis utilisent des moyens plus modernes. Ils ont abandonné
les madrassas pour créer les écoles soufies, comme celles créées par le
mouvement turc de Fethullah Gülen. Le mouvement a dernièrement élargi le champ
de ses activités dans les pays arabes (Egypte, Algérie, Maroc et Tunisie), afin
de fournir un nouveau modèle éducatif basé sur la modération et rejetant la
violence. Les dons fournis par les entreprises et les hommes d'affaires soufis
et par certaines Zawiyas ont permis d’accorder des bourses scolaires aux
nécessiteux en Egypte et au Soudan.
Les soufis marocains ont fait la même chose
dans la région du Sahel et d'Afrique de l’Ouest. Au Soudan, les adeptes de la
confrérie Sémaniya ont créé plus de 15 instituts pour l'enseignement du
Coran dans les zones rurales. Au Maroc et en Algérie, les ordres soufis, en
particulier dans l'ouest algérien, en Kabylie et dans la campagne marocaine,
jouent un rôle important dans l’enseignement du Coran et des autres sciences
religieuses et aussi dans l’éducation des imams.
En dépit du recul du rôle éducatif du
soufisme en Egypte à l'heure actuelle, il y a une possibilité que ce rôle soit
à nouveau relancé, surtout après la création par le Dr Ali Gomaa, l'ancien Mufti
d'Egypte, de la méthode Chadeliya Aliya. Les soufis égyptiens tiennent à
organiser les mouleds, qui sont un phénomène social. En même temps, ils
organisent des conférences pour enseigner la culture musulmane en Egypte et
dans le monde. Ils constituent ainsi un outil pour attirer de nouveaux adeptes,
et attirer certains jeunes sur le point de basculer dans la violence des
groupes takfiristes.
(*) Le modèle de règlement des conflits: Ce
modèle est le plus répandu en Egypte et au Soudan comparé aux pays du Maghreb.
En Egypte, on a vu ces dernières années les cheikhs soufis des méthodes Naqchabandiya,
Idrissiya et Danadrawiya, agir dans les zones de vendetta et de
conflits tribaux et familiaux. Ces cheikhs sont parvenus à mettre fin à la
vendetta en formant les « conseils de réconciliation », qui assistent à la
remise du linceul par le coupable à celui qui détient le droit du sang, bien
que ces efforts interviennent à la fin du processus de réconciliation, en
coordination avec la police. La solidarité des dirigeants non soufis (officiers
de police, juges ou hommes de médias) avec les dirigeants soufis ont aidé ces
derniers à jouer ce rôle. Et cela a donné du poids à ces réconciliations
conclues par les cheikhs soufis.
Le Soudan est le pays arabe qui favorise le
plus ce dernier modèle soufi sur le terrain social. Les adeptes des ordres
soufis jouent un rôle majeur pour préserver la stabilité communautaire et
régler les conflits, et ce par le biais des comités de réconciliation, qui sont
aujourd’hui rattachés à presque chaque ordre soufi. Des arbitres d’une grande
sagesse siègent dans ces comités. Les plus importants litiges réglés par ces
comités ont trait à l’irrigation, à l'agriculture, au pâturage, à l'héritage et
au statut personnel. Il y a aussi les conflits tribaux qui donnent souvent lieu
au phénomène de la vendetta. Les succès des soufis dans le règlement des
conflits s’expliquent par leur ancrage profond dans la société africaine et
leur présence dans les zones rurales.
(*) Le modèle de lutte contre les maladies
non traditionnelles (drogues et toxicomanie) : Puisque le soufisme est une
forme d’éducation de l’âme qui vise à apporter le bien et à conjurer le mal, et
étant donné qu’il représente un modèle social pur loin de tout sentiment
d’hostilité, et de culpabilité individuelle ou collective, il représente pour
beaucoup un refuge et un moyen d'éliminer les comportements nocifs comme la
toxicomanie ou le vol. Les ordres soufis ont pu au cours des années 70 et 80
convertir des tueurs, des bandits, et des voleurs en adeptes dévoués qui
bénéficient de la tolérance extrême de soufis et leurs Dhikrs incitant
au repentir.
Les soufis soudanais ont joué un rôle plus
grand dans ce domaine, en luttant contre la drogue et l'alcool, et en appelant
leurs adeptes à observer la retraite spirituelle dans les mosquées. Selon les
observateurs, un grand nombre de soudanais ont abandonné la toxicomanie et
l’alcool sous l’impulsion soufie. Abdel Rahim El-Borai, cheikh de la méthode Sémaniya
est l'un des plus importants cheikhs soufis qui ont exercé ce genre de travail
social au village d’El Zériba dans la provice du nord de Kordofan Nord, à une
distance d’environ 300 kilomètres de la capitale, Khartoum. Le cheikh a donné
des conférences et a organisé des séminaires pour sensibiliser la population
aux dangers de la dépendance et de la drogue. Grâce à lui, un grand nombre de
Soudanais ont renoncé à ces pratiques illicites.
(*) Le modèle de la fraternité nationale et
de la coexistence sociale (paix sociale):
L’ancrage du soufisme dans la société, le
fait qu’il soit indissociable des structures tribales, et sa proximité avec le
pouvoir ont fait qu’il joue aujourd’hui un rôle actif pour promouvoir la
stabilité et la coexistence entre les religions. En Egypte, par exemple, la
méthode Azmiya Masriya, dirigée par le cheikh Alaaeddine Aboul Azaeem a
fondé une association dont les membres sont des musulmans et des coptes.
Soulignons aussi que la plupart des méthodes soufies tiennent chaque année à
l’occasion du nouvel an, à visiter la cathédrale Saint-Marc d'Abbassiya (Caire),
pour répandre la paix sociale entre les musulmans et les coptes.
De même, les méthodes soufies au Maghreb, au
Soudan, et en Afrique de l’Ouest jouent un rôle important pour promouvoir le
dialogue et la coexistence pacifique entre les religions.
III Les obstacles au
soufisme et comment les surmonter
La capacité des groupes soufis à exercer
différents rôles sur le terrain social comme mentionné précédemment, reste très
moyenne si l’on tient compte du nombre important de ces groupes dans la région
arabe. Certains rôles sont remplis dans certaines régions mais pas dans
d'autres. Il y a des rôles qui sont exercés au niveau du pays dans son ensemble
(sur un grand périmètre géographique), et il y a des rôles limités et qui
restent confinés aux adeptes de la confrérie soufie. En dépit des tentatives
visant à accroître le rôle social des ordres soufis, certains obstacles peuvent
limiter ce rôle. Voici les principaux :
1. La faiblesse du soutien matériel fourni
par les régimes politiques dans les pays arabes à l’exception du Maroc. Ceci
est dû au fait que la plupart des ordres soufis dans les régions arabes ne sont
pas intégrés dans des institutions étatiques, et ne sont régis par aucune loi
qui réglemente leur travail, ce qui les expose aux troubles financiers.
Soulignons également la lenteur du soutien moral fourni par certains
gouvernements arabes. En dépit d’une volonté de donner au soufisme un rôle
social plus grand pour combler le vide laissé par les courants de l’Islam
politique, certains gouvernements craignent que les soufis ne se transforment
en un acteur social fort difficile à contrôler.
2. Le recul du soutien occidental au soufisme
dans la région arabe. Ce soutien financier légal renforce le rôle social de ces
groupes mystiques, surtout ceux qui opèrent sur le terrain de la solidarité
sociale. On remarque ainsi une baisse du soutien des Etats-Unis et de certains
pays de l'Union européenne aux soufis dans de nombreux pays arabes, surtout
après les révoltes de 2011, et l’arrivée au pouvoir des partisans de l’Islam
politique dans certains pays.
3. Certains soufis comprennent mal l’essence
du soufisme, et le considèrent comme un principe religieux qui n'a rien à voir
avec le travail social. Cette perception a limité le soufisme à des pratiques
spirituelles comme le Dhikr et autres. Cette perception doit changer par
la diffusion du soufisme scientifique qui ressuscite et développe la culture
sociale.
4. L’absence de coordination entre les
cheikhs soufis, que ce soit à l’intérieur de l'Etat ou hors de ses frontières.
Ainsi, les ordres soufis sont en concurrence entre eux et n’ont pas de position
commune vis-à-vis des problèmes de la société dans la plupart des pays arabes.
Ils se cantonnent derrière le pouvoir, et ne disposent pas de l’espace
nécessaire pour régler les problèmes communautaires, ce qui les aiderait à
attirer des fonds.
5. Un grand nombre de confréries soufies sont
confinées dans leur espace géographique étroit. Le rôle de certaines de ces confréries
ne dépasse pas les limites du village ou du hameau, d'autres n’agissent pas
au-delà de la province où ils siègent. Il y a pourtant des exceptions. Dans
certains villages d’Egypte et du Soudan, les groupes soufis jouent un rôle
important dans la réconciliation et la consolidation de la paix.
6. L’action latente de la plupart des ordres
soufis arabes, qui se manifestent uniquement dans les mouleds et lors de
certaines crises politiques. Cela est évident dans le cas égyptien et algérien,
bien que le Maroc, le Soudan et les pays d'Afrique de l'Ouest soient exclus de
cette situation.
7. L’absence de coordination entre les
groupes soufis transfrontaliers. Bien que certains groupes aient cherché à
fonder des organisations internationales de soufisme, et même une Union
mondiale des ordres soufis à Paris, la communication entre les différents
groupes fait toujours défaut. Pourtant, s’ils venaient à communiquer, ces
groupes trouveraient assurément un soutien financier de la part des communautés
arabes d’Europe, qui souhaitent enseigner à leurs enfants la pensée et les
pratiques soufies pour faire face aux courants extrémistes.
Face à tous ces défis qui limitent
l'extension et la diversification du rôle social des ordres soufis arabes, il
faut agir à plusieurs niveaux, comme suit :
Les groupes soufis doivent aller à la
rencontre des masses et sortir de leur isolement. Ils doivent devenir de
véritables réformateurs et se déployer dans les zones marginalisées au sein des
communautés musulmanes afin de mener un processus de réforme sociale et
répandre les principes de solidarité sociale approuvés par l'islam.
La nécessité d'une communication entre les
groupes soufis à travers l'échange et le transfert des expériences dans la
région arabe, et la capacité de ces groupes à se solidariser et à s’unir dans la
période à venir. La création d’un courant soufi fort et solide et dont
l’influence s’étend dans la région arabe, aidera sans doute les ordres soufis à
défendre les causes communautaires, en coordination avec les gouvernements.
Généraliser le modèle marocain en ce qui a
trait à la relation entre le soufisme et le pouvoir. Le régime marocain a
intégré le soufisme à son système de gouvernance, appelant à un retour à
l'Islam mystique qui a marqué l'histoire officielle et populaire du Maroc.
L’application du modèle marocain peut donner à l’Etat un nouvel allié
stratégique, représenté par les groupes soufis. Ces groupes peuvent s’infiltrer
au sein de la société et se procurer un rôle social dans les régions qui ont
été vidées du rôle social joué par les Frères.
Elargir la création des centres et des zawiyas
soufis, en particulier dans les zones de conflit permanent en Afrique. Ainsi,
ces centres deviendront des refuges en cas de catastrophes naturelles ou
d’épidémies. Le modèle optimal à cet égard est le modèle Tijani au Kordofan du
Sud.
Relancer le rôle des groupes soufis
extraterritoriaux et en tirer profit financièrement. Ces groupes ont des
branches dans les zones à forte densité arabo-musulmane en Europe, ce qui
représente une source sérieuse de collecte de fonds. Ces fonds peuvent être
utilisés pour lancer des activités charitables comme les soins accordés aux
orphelins, la lutte contre les épidémies ou encore le règlement des crises et
le soutien à la paix dans les zones de lutte en Afrique.
Etudier et appliquer le modèle économique
des groupes extraterritoriaux aux groupes locaux et régionaux, afin de les
aider à financer leurs activités sociales dans leurs régions respectives. Ce
modèle économique adopté par certains groupes soufis consiste à créer des
sociétés actionnaires capables de s’autofinancer sans recourir aux donations.
Ces groupes traditionnels qui n’ont aucun rôle se transformeront ainsi en
mouvements ouverts sur le monde extérieur, et capables de jouer un rôle social
et de rivaliser avec les institutions de la société civile.
En guise de conclusion, on peut dire qu’il
est nécessaire d'élargir le rôle social des ordres soufis arabes et de faire
face aux défis de la période à venir, afin que le soufisme devienne un élément
essentiel de la stratégie de remodelage du champ religieux dans la région
arabe, et se pose en alternative sûre aux groupes de l'Islam radical. La
relance du rôle social du soufisme, conduira à la réimplantation des groupes
soufis dans les régions pauvres et les zones rurales. C’est là une stratégie
efficace pour atténuer le phénomène de l’Islam militant et violent.
1 Aboul Fadl Al-Isnawi : « La problématique du rôle
politique du courant soufi après le printemps arabe ». Centre arabe des
études et des recherches, Le Caire-Egypte, sur le lien : http :/cutt.us/nqdkl
2 Source précédente
5-
Voix maghrébines : « Les méthodes soufies en Algérie…les
connaissez-vous» sur le lien : http://cutt.us/IGJ1B
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6-
Barawi Abdel Wahab : « La carte des méthodes soufies au Maghreb et
les Zawiyas répandues dans les zones rurales » sur le lien http://cutt.us/YyV4L.
7-
Aboul Fadl Al-Isnawi : « L’avenir du soufisme dans le monde arabe
après les révolutions ». Magazine Al-Siyassa Al-Dawliya, fondation Al-AHRAM- Le
Caire sur le lien http://cutt.us/Y3NOn.
8-
Abou Aqela Al-Torabi : « Le rôle des soufis dans la société » sur le
lien http://cutt.us/JZRYS
9-
Dr Mohamed Al-Taqui « Le rôle du soufisme dans la sécurité et la paix sociale
». Magazine Al Qassam Al-Arabi, Université du Penjab Lahore –Pakistan. Numéro
24 – 2017
10-
Salah Ghorab : « Les méthodes extraterritoriales soufies, conférence
sur les moyens de relancer le rôle des soufis dans la protection de la sécurité
nationale arabe ». Magazine Al-Siyassa Al-Dawliya.
11-
Source précédente
12-Dr
Mohamed Al-Taqui : « Le rôle du soufisme dans la sécurité et la
paix sociale »
17-
Site de l’imam Al-Chirazi : « Les méthodes soufies au Soudan et leur
influence sur la rue » sur le lienhttp://cutt.us/87Z1f.
18-
Voix maghrébines « Les méthodes soufies en Algérie…les connaissez-vous».
Source précédente.
19-
Aboul Fadl Al-Isnawi : Les méthodes soufies en Egypte et l’attitude de la
rue égyptienne ». Source précédente.
20-Rencontre
avec le chercheur Kamal Taqadom, l’un des dirigeants de la méthode Naqchabandiya
en Haute Egypte – Mars 2018.
21-
Dr Mohamed Al-Taqui « Le rôle du soufisme dans la sécurité et la paix ».
Source précédente.
22-
Dr Amar Ali Hassan : « Le soufisme et la politique ». Source
précédente.
23-
Abou Aqala Altrass : « Le rôle du soufisme dans la société ». Source
précédente.
24-Rencontre
avec le cheikh Alaaeddine Maadi Aboul Azaaem : « La relation entre
les soufis et les coptes » - Novembre 2014.
25-Dr
Mohamed Al-Taqui « Le rôle du soufisme dans la sécurité et la paix
sociale ». Source précédente.
26-
Atef Abdel Hamid « Les méthodes soufies (5-6) sur le lien http://cutt.us/YpBOg
27-
Khaled Saïd : « Pourquoi l’Occident soutient-il les méthodes soufies
» sur le lien http ://cutt.us/h1P19
28-Aboul
Fadl Al-Isnawi : « Les méthodes soufies et l’attitude de la rue
égyptienne ». Source précédente.
29-
Aboul Fadl Al-Isnawi : « Les méthodes soufies et l’attitude de la rue
égyptienne ». Centre des études politiques et stratégiques d’Al-Ahram.
Fondation Al-Ahram – Le Caire. Numéro 36 –Août 2017.
30-
Dr Ibn Omar Omar Obeid Allah « Le rôle de la méthode Tijaniya dans les
liaisons sociales en Afrique – Le Kordofan en tant que modèle ». Magazine
Etudes africaines –Soudan –numéro 37 – 2007.
31- Salah Ghorab : « Les méthodes
extraterritoriales soufies, conférence sur les moyens de relancer le rôle des
soufis dans la protection de la sécurité nationale arabe ». Source
précédente.