Publié par CEMO Centre - Paris
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Chirazisme et Khomeynisme : Causes du conflit et perspectives d'avenir

mardi 02/octobre/2018 - 08:06
La Reference
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Ahmad Samy Abdel Fattah

 

Les relations entre le Chirazisme et le Khomeynisme ont connu des hauts et des bas au gré des évènements politiques en Iran et dans la sous-région. Le régime de Shah – usant de son autorité  – était un facteur de rapprochement entre les deux parties. Le désir d'expansion des Chirazistes dans les pays arabes a aussi conduit à la coopération avec l'autorité du savant afin de bénéficier de ses moyens militaires.

Après la destitution du Shah, les relations entre les deux parties se sont tendues lorsque Ruhallah Khomeini s'est autoproclamé  tuteur jurisprudentiel de tous les chiites du monde et leur a imposé son avis en le considérant comme contraignant et impossible d'y déroger.

Pour asseoir son autorité, Khomeini a réduit au silence tous ceux qui s'opposaient à lui et refusaient de lui vouer obéissance y compris les partisans du Chirazisme. Mais ces derniers n'ont pas apprécié la manœuvre car ils tenaient absolument à leur autonomie idéologique qu'ils considèrent porteuse d'une idée différente de celle prônée par la révolution iranienne. Ils ont par conséquent refusé l'autorité contraignante qui leur était imposée.

Paradoxalement, ils ont approuvé l'obligation de suivre ''le Conseil Consultatif des Savants'' comme moyen de concilier le concept de consultation islamique et la démocratie occidentale, répondant ainsi aux désirs des chiites iraniens qui s'étaient révoltés contre l'autorité du Shah.

Le régime iranien n'a pas tardé à opprimer toute personne refusant le concept d'autorité du savant car ce refus est perçu comme une menace contre l'autorité religieuse de Khomeini.

La présente étude expose les motifs de dissension entre le Khomeynisme et le Chirazisme et les conséquences de cette dissension sur chacune des parties ainsi que les outils de chacune d'elles pour faire face à l'autre.

 

Primo: Définition du Chirazisme

 

Le Chirazisme est une faction du chiisme duodécimain qui a commencé comme courant religieux suivant la doctrine de Mahdi Al Chirazy dans les années 1960 sous l'appellation du ''Mouvement des apôtres''. Du fait de son autonomie idéologique et de la sacralisation exagérée des rites religieux, ce mouvement s'est heurté à l'opposition des références religieuses à Karbala et à Nadjaf.

Les partisans du Chirazisme ont commencé à se répandre  dans un certain nombre de pays,après la révolution iranienne de 1979. Ce mouvement migratoire a connu une nette accélération après l'instauration du concept d'autorité du savant par Ruhallah Khomeini.

Au début des années 1980, le mouvement a créé le ''Front Islamique de  Libération de Bahreïn'' puis ''l'Organisation de la Révolution Islamique dans la Péninsule Arabique'' d'où s'est détaché un bras militaire au nom de ''Hezbollah du Hidjaz'' avec pour objectif d'exporter la révolution iranienne en Arabie Saoudite.

Les origines iraniennes de certains leaders de ce courant ont facilité l'arabisation des idées révolutionnaires issues de la révolution iranienne de 1979. Ce qui a accéléré la fusion entre l'activisme et l'idéologisme.

Ainsi, il est possible de dire que les chirazistes ont réussi à produire un discours idéologique bien en avance par rapport aux fondamentalistes chiites iraniens qui s'appuient uniquement sur la révolution comme moyen de changement. Plus tard, l'inimité fera surface entre les deux factions car la révolution iranienne – dans le but de dominer tous les chiites du monde- a fini par considérer le Chirazisme comme un obstacle qui l'empêcherait de se présenter comme le seul modèle  politique et idéologique.

 

La taxe du 1/5e

 

A l’instar de tous les autres courants chiites, le Chirazisme dépend aussi des fonds collectés des fidèles à qui il est imposé de payer au guide spirituel 1/5e de ses bénéfices. Ces fonds constituent la principale source  pour assurer le soutien financier de ses éléments.

En dépit de sa forte présence dans les pays arabes comme le Liban, la Syrie et le Yémen, il n’existe pas pour autant de statistiques fiables sur leur nombre exact. Mais leur influence est perceptible dans le danger qu’ils représentent pour le concept d'autorité du savant’’, à travers les spots de sensibilisations véhiculés par le Khomeynisme dans le but de salir leur image et réduire leur capacité à enrôler davantage de chiites.

Il importe de signaler que la chaîne de propagande externe iranienne ‘’Al Aalam’’, a diffusé un documentaire sur le rôle négatif du Chirazisme  au Liban à travers le Hezbollah, et ses idées extrémistes allant jusqu’à les assimiler aux terroristes.

De son côté, le Chirazisme possède également plusieurs chaînes de télévision qui font la promotion de son idéologie. On peut citer ‘’Al Anwar’’, ‘’Fedak’’, Ahl El Beyt en arabe’’, ‘’La Référence’’ et ‘’Al Hady’’

 

Secundo : les motifs de dissension

 

Les divergences entre le Chirazisme et le Khomeynisme ont une dimension non seulement politique mais aussi religieuse et idéologique. Malgré leur accord sur la nécessité d’exporter les idéaux de la révolution iranienne vers les pays environnants, le Khomeynisme considère que le Chirazisme représente une réelle menace pour son hégémonie.

Nous pouvons analyser la relation entre les deux courants qui est passée d’étroite à conflictuelle, comme suit :

1. La décentralisation des activités externes.

Le Chirazisme a profité de la guerre Iran-Irak (1980-1988) pour se positionner comme le véritable mécanisme politique pour l’exportation de la révolution iranienne.

Les divergences ont commencé à voir le jour, lorsque le Chirazisme a orchestré, en 1981, un coup d’Etat qui n’a pas abouti au Bahreïn sans l’aval des autorités iraniennes alors que celles-ci appuyaient les entraînements militaires des éléments du mouvement Chiraziste au Bahreïn.

L’échec de ce coup d’Etat a embarrassé l’Iran qui a vu son ambassadeur au Bahreïn expulsé sous prétexte qu’il était au courant de la tentative de coup d'Etat. Le Khomeynisme a immédiatement compris que le Chirazisme n’obéit pas à la politique centrale établie par l’autorité du savant.

En dépit du fait que la tentative de coup d’Etat ait eu lieu seulement 5 mois après la création du Conseil de Coopération du Golfe, cet incident a fait prendre conscience du fait que l’on cherche à exporter vers les pays membres, la révolution iranienne. Que la politique de militarisation des conflits dans les pays arabes que l’iran attise, confirme sa présence militaire dans la sous-région, et que les divergences avec le Chirazisme ne se trouvent pas au niveau de l’exportation de la révolution mais plutôt au timing et à la non obtention d’une autorisation préalable.

2. Le refus du concept d'autorité du savant par le Chirazisme.

Le Chirazisme réfute catégoriquement le concept d’autorité du savant et le considère comme une sorte de despotisme pire que le despotisme politique. Raison pour laquelle le Chirazisme soutient l’idée de Conseil Consultatif des savants même si avant la révolution, le mouvement n’était pas favorable à cette idée. Mais l’attitude autoritaire de Khomeini a poussé le mouvement à remettre en cause le concept  d'autorité du savant.

Le refus par Khomeini de lui assigner un rôle politique et religieux en Iran après la révolution, pourrait également être une des raisons de la dissension. Au lieu d’un rôle de leadership auquel il aspirait, Chirazi a plutôt été nommé comme imam de la prière du vendredi dans le gouvernorat de Khuzestân, ce qui provoqua la frustration de Chirazi.

 

Le Conseil Consultatif des savants

 

Le concept de Conseil Consultatif des savants, repose sur le principe d’élire un certain nombre de savants qui se concerteront sur les décisions qu’il y a à prendre. Ce qui procure à tous les savants élus, un même niveau d’importance religieuse.

Selon  cette théorie, Chirazi estime que les décisions prises par chacun des savants n’incombent qu'à ses propres partisans. Ce qui signifie que l’avis de Khomeini n’est pas contraignant pour les autres guides spirituels chiites qui suivent d’autres savants dans d’autres pays.

Dans le même ordre d’idée, Mohammad Mahdi Chirazi a réclamé l’égalité de tous les savants quelles que soient leurs positions et leurs opinions politiques. Cette réclamation termine de saper les fondements d’un leadership mondial voulu par Khomeini. Voilà pourquoi l’Iran a adopté une position conflictuelle avec le Chirazisme.

3. Les divergences idéologiques chiites.

Les divergences idéologiques ont joué un rôle très important dans l’élargissement du fossé entre le Chirazisme et le Khomeynisme. Ce dernier s’était érigé en modèle politique pour l’ensemble des musulmans en cherchant à phagocyter les sunnites iraniens en colère du fait de l’adoption du chiisme duodécimain comme religion de l’Etat par Khomeini.

Et pour détendre l’atmosphère, Khomeini a fait introduire dans la Constitution iranienne, le droit des sunnites des 4 écoles de pratiquer leurs cultes, outre d’autres types de mesures visant à stabiliser les relations entre les chiites et les sunnites. A titre d’exemple, le Khomeynisme a interdit l’impression d’un livre intitulé ‘’Bihaar Al anwaar’’ (Les océans des lumières) jugé diffamatoire à l’égard des califes bien guidés. Ce qui suscita la colère des Chirazistes qui considèrent la diffamation des compagnons comme un des piliers de leur doctrine.

Dans le même ordre d’idée Khomeini a limité la pratique de certains rites du Chirazisme lui ôtant ainsi ses ressources financières et spirituelles.

Le Chirazisme adore exagérer dans la sacralisation des évènements religieux tout comme il aime jouer sur la fibre de la culpabilité, dans le but de séduire les chiites très pratiquants. Et l’interdiction de ces pratiques est un coup dur pour le mouvement.

Cette exagération s’expliquerait par le fait que le Chirazisme est très attaché à son idéologie, aime manifester son amour pour les ‘’Ahl El Beyt’’ de manière ostentatoire et instrumentalise les rites religieux à des fins politiques.

4. La liquidation des savants du Chirazisme.

Khomeini s’est attelé à liquider toute personne s’opposant à son idéologie sans tenir compte du rôle que la personne a joué dans la révolution iranienne de 1982. Ainsi, le ministre des affaires étrangères du tout premier gouvernement après la révolution, Sadeq Qotb Zada, a été arrêté pour tentative d’assassinat de Khomeini. Et Zada a avoué que la référence religieuse Kazem Chariatamdari, opposé à l’autorité du savant, était son complice. Chariatamdari fut assigné à domicile avant d’être obligé d’apparaître à la télévision sans son turban pour demander le pardon de Khomeini.

Chirazi n’appréciant pas ce traitement infligé à Chariatamdari s’est séquestré chez lui en guise de solidarité avec ce dernier, ce qui contribua aussi à l’élargissement du fossé entre Cherazi et Khomeini.

 

Tertio : les aspects du conflit entre les deux factions :

 

L’arrestation de Hussein Chirazi – qui avait assimilé Khomeini à Pharaon dans un de ses prêches - dans la ville iranienne de Qom en février 2018, est l’une des manifestations de la fracture entre les deux parties.

Auparavant, Mohammad Rida Chirazi avait aussi été arrêté et torturé à mort dans les geôles iraniennes en 2008, selon certaines sources proches de lui.

Le régime iranien avait également assigné à domicile, le fondateur du mouvement Mohammad Mahdy Chirazi, jusqu’à sa mort en 2001.

De grandes manifestations ont eu lieu devant le consulat iranien à Nadjaf et à Karbala pour protester contre le concept d'autorité du savant. L’ambassade d’Iran à Londres n’a pas non plus été épargnée par les partisans du courant chiraziste qui ont descendu le drapeau iranien de la Chancellerie.

Le Chirazisme affronte le concept d'autorité du savant sur deux fronts dont l’un repose sur le refus d’accepter un régime politique iranien dépendant d’un savant tandis que le second consiste à écarter du régime, tout ce qui est sacré.

Il importe de signaler que les pays arabes ont tiré profit du conflit entre le Khomeynisme et le Chirazisme qui a adopté un discours plutôt conciliant avec les régimes arabes. En guise d’exemple, on peut citer le retour en Arabie Saoudite d’Hassan Siffar et qui a entamé le dialogue avec les autorités. Il a clairement condamné les attentats contre les forces de sécurité saoudiennes en novembre 2016, prouvant ainsi le changement de cap dans ses opinions politiques.

Ainsi, l’on pourrait affirmer que le conflit entre les deux mouvements a provoqué des troubles chez les chiites qui aspirent à liquider le Chirazisme qui menace la survie du Khomeynisme.

Même si ces dissensions n’ont pas encore disloqué l’Iran au niveau idéologique, elles constituent tout de même un pas pour l’opposition idéologique en Iran et ce, grâce au Chirazisme.

 

Quarto : l’avenir des relations entre le Chirazisme et le Khomeynisme.

 

Il est probable que les relations restent tendues entre les deux mouvements du fait de l’entêtement de chacun d’eux. Le Chirazisme considère l’autorité du savant comme une forme de despotisme politique qui instrumentalise la religion pour sa propre existence tandis que le Khomeynisme estime que le Chirazisme est un moyen de tarir les sources de sa puissance idéologique.

Toutefois, l’amélioration des relations entre les deux parties  peut être envisagée de deux manières, l’une théorique consistant à accepter la notion d’autorité du savant par les Chirazistes, l’autre pratique consistant à accorder aux partisans du Chirazisme, des postes politiques et à leur permettre de jouer un rôle social.

Cependant le rapprochement entre les deux parties est encore loin non pas seulement à cause de l’oppression dont est victime le Chirazisme mais parce que l’idée d’intégrer politiquement et socialement les adeptes de ce mouvement par le Khomeynisme, n’est pas pour l’heure envisageable.

En outre, les Khomeynistes craignent que les adeptes du Chirazisme ne profitent de la liberté dont ils jouiront après la réconciliation pour faire ressentir leur présence dans les institutions étatiques et se préparer pour une nouvelle confrontation dans l’avenir.

La centralisation du pouvoir au niveau du Guide Suprême de la révolution en Iran, rend encore le rapprochement très difficile. Le Khomeynisme ne tolère aucune contradiction fut-elle au niveau cultuel, loin de la politique. Ce qui signifie que l’autonomie idéologique du Chirazisme est une sérieuse menace contre le régime iranien.

L’Iran ne pourra jamais envisager un rapprochement avec le Chirazisme que lorsque ce mouvement cessera effectivement de constituer une menace pour le régime dans sa politique d’expansion dans les pays du Proche-Orient. Mais il n’est pas exclu que l’Iran se rapproche du Chirazisme afin de l’instrumentaliser dans le but de brouiller les cartes pour les puissances internationales dans la sous-région.

Le Chirazisme peut effectivement constituer une menace idéologique pour le régime iranien en adoptant des discours hostiles à l’autorité du savant. Ce qui diminuera les capacités de l’Iran à enrôler de nouveaux éléments pour ces milices dans la région. Mais l’exclusion dont est victime le Chirazisme dans les pays, constitue un véritable obstacle pour la réalisation de cet objectif.

Pour les pays arabes, le Chirazisme n’est pas une menace seulement parce qu’il envisage d’exporter et de transposer la révolution iranienne, mais aussi parce que ce mouvement est intolérant à l’égard de ses opposants et de ce fait, pourra provoquer des affrontements internes.

Dans le même ordre d’idée, le Chirazisme peut ébranler le régime iranien s’il s’allie au mouvement des Moudjahidines du peuple d'Iran que dirige Mariam Radjawy, n’eut été les divergences idéologiques entre les deux mouvements; le Chirazisme aspire à instaurer un régime théocratique tandis que les Moudjahidines du peuples veulent instaurer un régime démocratique.

Il incombe donc aux pays arabes de mettre de côté la rigidité par laquelle, ils traitent les factions chiites et de penser plutôt à accorder un soutien palpable à ces factions à l’intérieur même de l’Iran dans le but de provoquer des tensions internes au sein du régime iranien.

En dépit de la peur des pays arabes de soutenir le Chirazisme à cause de la sécurité nationale arabe, l’amplification de la menace iranienne pourrait jouer un rôle déterminant dans le rapprochement entre les régimes et le Chirazisme.

Les pays arabes ne doivent non plus omettre les tentatives de rapprochement entre le Chirazisme et l’opposition laïque car la formation d’un front unique conformément aux principes nationaux entre les deux parties constitue l'alternative à présenter après l’effondrement du régime de l’autorité du savant.

L’idée de former une opposition chiite basée à l’extérieur est d’une importance capitale notamment lorsque cette opposition est en mesure de présenter une alternative idéologique comme l’a fait le Chirazisme en créant le concept de Conseil Consultatif des savants.

L’idée de transformation du Chirazisme d’un courant adepte d’une référence religieuse à un mouvement d’opposition structuré, est un véritable défi pour les puissances régionales. Et pour que ceci se concrétise, il incombe au Chirazisme de donner plus d’importance à l’action politique qu’à l’aspect religieux sous prétexte que l’interdiction du culte du Chirazisme requiert une action politique qui contraindrait le Khomeynisme à respecter les droits de pratique religieux pour les autres factions chiites.

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