Les États-Unis ont réitéré jeudi leur appel à un règlement politique de la guerre civile en Libye, et imposé des sanctions à des Libyens soupçonnés d'alimenter le conflit en menant un trafic de pétrol
Pendant que, sur le terrain,
les combats se poursuivent en
Libye, la tension monte
entre les
pays impliqués dans le conflit. Le vote récent du Parlement égyptien ouvrant la voie à une intervention
militaire souligne à quel point ce dossier est explosif. Voici quelques clés
pour comprendre les raisons du chaos libyen et les menaces qu'il représente.
Une guerre civile qui n'en
finit pas
Depuis l'intervention
militaire occidentale menée en 2011 par la France, le Royaume-Uni et les
Etats-Unis, qui a abouti à la chute du colonel Muammar al-Kadhafi, mort en
octobre, apparemment lynché par des miliciens, la Libye est plongée dans un
chaos permanent. Théâtre d'un conflit « de basse intensité », comme disent les
spécialistes, le pays de près de 7 millions d'habitants est plus fracturé que
jamais, entre régions, cités-Etats et tribus rivales, et la proie des ambitions
concurrentes de puissances extérieures. « Un crève-cœur quand on songe que
l'opération Harmattan devait apporter la démocratie et la prospérité dans ce
pays possédant les plus importantes réserves pétrolières d'Afrique », se désole
un diplomate français.
Un Etat éclaté ? A l'ouest,
la Tripolitaine est aux mains du Gouvernement d'accord national (GAN), reconnu
par les Nations unies, dirigé par le Premier ministre Fayez el-Sarraj siégeant
à Tripoli, la capitale. A l'est, en Cyrénaïque, l'homme fort est le maréchal
dissident Khalifa Haftar, dans son fief de Benghazi. Cet ex-proche de Kadhafi,
qui vécut 20 ans en exil aux Etats-Unis avant son retour à la chute du régime,
déclencha dès 2016 une offensive contre le gouvernement de Sarraj, jugé proche
de milices islamistes. Après une série de victoires, Haftar essuie depuis
plusieurs mois revers sur revers, échouant à prendre Tripoli et désormais
menacé dans la ville verrou de Syrte.
Le poids des grands acteurs
extérieurs
Deux principales puissances
sont à la manœuvre, la Turquie et la Russie. Toutes deux s'affrontent aussi en
Syrie, et Jean-Yves Le Drian, chef de la diplomatie française, dit craindre une
« syrianisation de la Libye ».
Le régime de Recep Tayyip
Erdogan, qui a fait de sa suprématie en Méditerranée orientale une priorité,
apporte un soutien crucial au GAN. Il lui fournit armes et munitions, drones,
matériel pointu de guerre électronique, achemine des conseillers militaires,
mais aussi des
miliciens syriens :
de 2000 à 7000 anciens combattants islamistes contre le régime de Bachar
al-Assad gonfleraient ainsi les troupes de Sarraj. Le tout en violation
l'embargo de l'ONU sur les livraisons d'armes à la Libye.
Mais le camp Haftar n'est pas
en reste, ayant bénéficié de l'envoi d'un millier de mercenaires russes de la
compagnie de sécurité privée Wagner, réputée proche du Kremlin. Des chasseurs
bombardiers MiG et Soukhoï venus de Russie seraient basés à l'est, mais la
force Wagner, tenue en échec par les troupes de Sarraj, s'est en partie
repliée.
La déroute militaire d'Haftar
a entraîné l'entrée dans le jeu d'un troisième grand acteur, l'Egypte. Grand
rival d'Ankara, engagé dans une politique d'endiguement des Frères musulmans,
le régime du maréchal Abdel Fattah al-Sissi, inquiet pour sa « sécurité
nationale » face à la déstabilisation du voisin libyen, où vivent et
travaillent de très nombreux Egyptiens, menace d'intervenir militairement si
les forces du GAN franchissent la « ligne rouge » de Syrte. Le 20 juillet, le
Parlement égyptien a voté son feu vert à une possible intervention de son
armée, l'une des plus puissantes du Levant.
Le rôle ambigu de la France
Pour avoir soutenu
politiquement le maréchal Haftar au nom de la lutte contre le djihadisme, la
position de la France est délicate. A plusieurs reprises, Emmanuel
Macron a dénoncé le
« jeu dangereux » d'Erdogan et demandé à ce « que cessent les ingérences
étrangères et les actes unilatéraux de ceux qui prétendent gagner de nouvelles
positions à la faveur de la guerre ». En clair, Paris, comme son allié
égyptien, veut « fixer » les positions des belligérants et ramener les
protagonistes à la table des négociations
entamées début 2020 à Berlin. « Et il faut garantir un mécanisme pour que chaque partie libyenne
reçoive sa juste part des ressources pétrolières », insiste un conseiller
élyséen. De fait, le français Total et son rival italien Eni convoitent ces
richesses, ce qui complique encore la donne.