Chaos en Libye : pourquoi la situation est explosive
Neuf ans après l’intervention militaire occidentale ayant abouti à la chute
de Kadhafi, le pays, ravagé par la guerre civile, constitue une poudrière aux
portes de l’Europe.
Pendant que, sur le terrain, les combats se poursuivent en Libye, la tension monte
entre les pays impliqués dans le conflit. Le vote récent du Parlement égyptien ouvrant la voie à une intervention
militaire souligne à quel point ce dossier est explosif. Voici quelques clés
pour comprendre les raisons du chaos libyen et les menaces qu'il représente.
Une guerre civile qui n'en finit pas
Depuis l'intervention militaire occidentale menée en 2011 par la France, le
Royaume-Uni et les Etats-Unis, qui a abouti à la chute du colonel Muammar
al-Kadhafi, mort en octobre, apparemment lynché par des miliciens, la Libye est
plongée dans un chaos permanent. Théâtre d'un conflit « de basse intensité »,
comme disent les spécialistes, le pays de près de 7 millions d'habitants est
plus fracturé que jamais, entre régions, cités-Etats et tribus rivales, et la
proie des ambitions concurrentes de puissances extérieures. « Un crève-cœur
quand on songe que l'opération Harmattan devait apporter la démocratie et la
prospérité dans ce pays possédant les plus importantes réserves pétrolières
d'Afrique », se désole un diplomate français.
Un Etat éclaté ? A l'ouest, la Tripolitaine est aux mains du Gouvernement
d'accord national (GAN), reconnu par les Nations unies, dirigé par le Premier
ministre Fayez el-Sarraj siégeant à Tripoli, la capitale. A l'est, en
Cyrénaïque, l'homme fort est le maréchal dissident Khalifa Haftar, dans son
fief de Benghazi. Cet ex-proche de Kadhafi, qui vécut 20 ans en exil aux
Etats-Unis avant son retour à la chute du régime, déclencha dès 2016 une
offensive contre le gouvernement de Sarraj, jugé proche de milices islamistes.
Après une série de victoires, Haftar essuie depuis plusieurs mois revers sur
revers, échouant à prendre Tripoli et désormais menacé dans la ville verrou de
Syrte.
Le poids des grands acteurs extérieurs
Deux principales puissances sont à la manœuvre, la Turquie et la Russie.
Toutes deux s'affrontent aussi en Syrie, et Jean-Yves Le Drian, chef de la
diplomatie française, dit craindre une « syrianisation de la Libye ».
Le régime de Recep Tayyip Erdogan, qui a fait de sa suprématie en
Méditerranée orientale une priorité, apporte un soutien crucial au GAN. Il lui
fournit armes et munitions, drones, matériel pointu de guerre électronique,
achemine des conseillers militaires, mais aussi des miliciens syriens : de 2000 à 7000 anciens combattants islamistes contre le régime de
Bachar al-Assad gonfleraient ainsi les troupes de Sarraj. Le tout en violation
l'embargo de l'ONU sur les livraisons d'armes à la Libye.
Mais le camp Haftar n'est pas en reste, ayant bénéficié de l'envoi d'un
millier de mercenaires russes de la compagnie de sécurité privée Wagner,
réputée proche du Kremlin. Des chasseurs bombardiers MiG et Soukhoï venus de
Russie seraient basés à l'est, mais la force Wagner, tenue en échec par les
troupes de Sarraj, s'est en partie repliée.
La déroute militaire d'Haftar a entraîné l'entrée dans le jeu d'un
troisième grand acteur, l'Egypte. Grand rival d'Ankara, engagé dans une
politique d'endiguement des Frères musulmans, le régime du maréchal Abdel
Fattah al-Sissi, inquiet pour sa « sécurité nationale » face à la
déstabilisation du voisin libyen, où vivent et travaillent de très nombreux
Egyptiens, menace d'intervenir militairement si les forces du GAN franchissent
la « ligne rouge » de Syrte. Le 20 juillet, le Parlement égyptien a voté son
feu vert à une possible intervention de son armée, l'une des plus puissantes du
Levant.