Double explosion de Beyrouth : aider le Liban meurtri
L’apocalypse dans un pays déjà à genoux.
Aucun mot ne suffit à décrire l’énorme déflagration qui a ravagé Beyrouth,
mardi 4 août en fin d’après-midi. Corps ensanglantés, hôpitaux dépassés,
immeubles soufflés à des kilomètres à la ronde, voitures défoncées… La
catastrophe qui a causé la mort de plus de 100 personnes et en a blessé près de
4 000 autres selon un bilan provisoire, serait, selon le président
Michel Aoun, liée au stockage sans précaution dans un entrepôt du port de
2 750 tonnes de nitrate d’ammonium. Hautement explosif, ce produit,
utilisé comme base dans de nombreux engrais azotés, est à l’origine de la
catastrophe de l’usine AZF de Toulouse, le 21 septembre 2001.
Les explosions de Beyrouth « ressemblaient
à un terrible attentat », a cru pouvoir affirmer Donald Trump
après avoir rencontré des militaires américains, contredisant la thèse de
l’accident mise en avant par les autorités libanaises. Quelle qu’en soit la
cause, le gigantesque champignon orange et gris qui s’est élevé au-dessus du
port de Beyrouth évoque implacablement l’implosion d’un système et la faillite
de structures politiques censées permettre la reconstruction du Liban déjà
dévasté par la guerre civile des années 1975-1990. La fin de l’interminable
conflit n’a pas interrompu la descente aux enfers d’un pays autrefois qualifié
de « Suisse du Proche-Orient » en raison de ses
merveilles touristiques et de la sécurité de ses banques.
Sortir d’une impasse quasi existentielle
2020 devait être l’année de la célébration
du centenaire de la création du pays du Cèdre, placé sous mandat français
en 1920 et indépendant depuis 1943. Le millésime restera comme celui des
catastrophes. Longtemps coffre-fort des élites de la région mais aussi
réceptacle sanglant des innombrables rivalités du Proche-Orient, le Liban a
plongé lorsque son système bancaire, objet de la prédation de ses élites
politiques, s’est écroulé, provoquant l’effondrement de la monnaie
nationale et une hausse astronomique des prix des produits de première
nécessité. Beaucoup de Libanais peinent désormais à manger à leur faim. Même
les classes moyennes, autrefois prospères, sont ravagées, oscillant entre
colère et désir d’émigration. La déflagration du 4 août, les morts, les
souffrances et les destructions frappent un pays déjà en état de choc.
Les manifestations de rue de l’automne
2019, au cours desquelles des dizaines de milliers de Libanais de toutes
confessions ont clamé leur dégoût de dirigeants gangrenés par la corruption et
réclamé la fin du communautarisme, ont fait croire, un temps, à un sursaut.
Mais elles se sont étiolées, victimes de l’inertie du système et de la pandémie
due au coronavirus. Le système politique, censé assurer une juste
représentation des communautés religieuses – chiite, sunnite, chrétienne, druze
–, est en réalité basé sur un partage du pays entre des chefs de clan
indéboulonnables, souvent anciens chefs de milices armées, incapables de s’entendre
et plus soucieux du maintien de leurs privilèges que du bien-être de la
population.
Mosaïque de cultures et de religions, lieu
de pluralisme dans une région déchirée, pont entre l’Orient et l’Occident, le
pays du Cèdre est un bien précieux qu’il faut absolument défendre. La France y
envoie un détachement de la sécurité civile et plusieurs tonnes de matériel
sanitaire, et Emmanuel Macron a exprimé sa « solidarité
fraternelle ». Les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni mais
aussi l’Iran et le Qatar ont proposé leur aide. La solidarité internationale
doit s’exercer à plein, non seulement pour panser les nouvelles plaies du
Liban, éternel terrain de rivalités entre puissances étrangères, mais pour
aider ce pays pas comme les autres à sortir d’une impasse quasi existentielle
et à se réinventer