Quels intérêts turcs en Méditerranée ?
Certaines régions de la
planète ont connu des évolutions géopolitiques notables dans le sillage de la
crise planétaire de Covid-19. En effet, des États ont su habilement profiter de
la pandémie pour pousser leurs pions stratégiques.
C’est le cas de la Turquie, en Méditerranée, qui organise des exercices
militaires sur des zones de prospection d’hydrocarbures off-shore mais qui a
aussi engendré une série d’accrochages diplomatiques avec la France - également
membre de l'OTAN - autour de l’épineux dossier de la guerre en Libye et des
alliances et inimitiés qui en découlent. Quel jeu joue la Turquie en
Méditerranée centrale et orientale ?
Pour en parler, nous recevons Jenny Raflik, professeure d'Histoire contemporaine à l'Université de
Nantes, spécialiste notamment de l'OTAN, Bayram Balci, directeur de l'Institut
français d'études anatoliennes à Istanbul et Jalel Harchaoui, chercheur à l'Institut des relations internationales de Clingendael aux
Pays-Bas.
La solitude de la France face à la Turquie au sein de l'OTAN
Seulement huit membres ont soutenu la France dans
l’accrochage avec un navire militaire turc en Méditerranée. Dans le même temps,
une série de coïncidences chronologiques laissent penser que la Turquie a été
plutôt soutenue dans l’enquête confidentielle diligentée par l'alliance. Dans
ce rapport de force, on peut comprendre la faiblesse de la position française
au sein de l’OTAN au regard de ses déclarations fracassantes mais aussi par le rôle stratégique incontournable
de la Turquie, au carrefour des problématiques contemporaines : Russie,
Iran, Syrie. Ainsi, le pays abrite sur son territoire des installations
militaires essentielles et possède la deuxième armée de l’alliance – derrière
les États-Unis.
Jenny Raflik
"Pour rompre son isolement, la
Turquie se montre agressive"
L’activisme belliqueux de la Turquie prend ses racines
sur un mal-être et un sentiment de marginalisation dans ses relations avec les
pays occidentaux notamment après l’échec humiliant de son adhésion à l’Union
européenne. Aujourd’hui, le pays est difficile à gérer et c’est pourquoi les
européens doivent trouver une issue diplomatique et conserver un dialogue
constructif afin de parvenir à « récupérer la Turquie » dans le giron
occidental. C’est dans l’intérêt des deux parties notamment sur le sujet de la
migration.
Bayram Balci
La diplomatie européenne a besoin de trouver des moyens
inédits pour faire face à cette nouvelle géopolitique de la provocation.
Jenny Raflik
La France a raison de percevoir la Turquie comme un
adversaire pour ses intérêts nationaux notamment en Afrique. Toutefois, en
Libye, la Turquie n’a pas le mauvais rôle. Elle a simplement saisi une
opportunité pour réaliser un corridor rêvé entre le sud-ouest turc et le
nord-est libyen après la défaillance des diplomaties occidentales. Par exemple,
on peut regretter l’alliance française avec les Émirats arabes unis en dépit de
leur violation manifeste de l’embargo sur les armes et leur rôle décisif dans
le déclenchement des hostilités : c'est plutôt la France qui sera mal
jugée par les livres d'Histoire.