La Turquie au Moyen-Orient : du “néo-ottomanisme” à l’aventure syrienne
Au cours de la décennie 2000, la Turquie a réussi, grâce à son dynamisme économique et son activisme diplomatique, à s’affirmer comme un acteur incontournable du système international. Cette montée en puissance s’est accompagnée de l’affirmation du pays dans son environnement moyen-oriental. La Turquie s’est activement engagée, sur les plans à la fois économique, politique et socioculturel, s’érigeant en pôle d’attraction de la région.
Cette évolution contraste avec le divorce historique qui a longtemps caractérisé les rapports entre la Turquie et le monde arabe. En effet, pendant la majeure partie du XXe siècle, tout opposait Ankara et les pays arabes. D’un côté, souhaitant construire un État moderne calqué sur le modèle occidental, le fondateur de la république, Mustafa Kemal Atatürk, avait choisi de tourner le dos au monde arabe et de débarrasser la Turquie des influences orientales. De l’autre, de par son alignement sur le camp occidental pendant la guerre froide et son intégration à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), la Turquie apparut aux yeux des États arabes comme l’auxiliaire des États-Unis et le cheval de Troie de l’Occident dans la région.
L’engagement de la Turquie au Moyen-Orient dans les années 2000 représente donc une rupture avec les pratiques passées. Cet engagement s’est manifesté sur le plan politique et diplomatique par la pacification des relations bilatérales avec les États arabes et, sur le plan économique, à travers l’application de nouvelles mesures favorisant une intégration des économies et une interdépendance turco-arabe. Sur le plan socioculturel, les échanges entre Arabes et Turcs se sont multipliés, comme en témoignent l’essor du tourisme ou aussi la popularité des feuilletons turcs au Moyen-Orient. D’anciens ennemis la Turquie et les pays arabes sont devenus des partenaires.
Ce retour de la Turquie en Orient a été expliqué par les analystes soit par l’identité “islamiste” du parti au pouvoir, l’AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi, Parti de la justice et du développement), soit par le “néo-ottomanisme”. Ce concept correspond à la résurrection d’un réflexe impérial en Turquie qui la pousserait à reconstruire une sphère d’influence au Moyen-Orient, dans les territoires ayant jadis fait partie de l’Empire ottoman.
Ces explications ne sont pas dénuées de sens. Elles offrent néanmoins une analyse réductrice des motivations d’Ankara dans la région. En réalité, l’engagement de la Turquie au Moyen-Orient est lié à l’affirmation de celle-ci comme puissance émergente et à la redéfinition de son rôle géostratégique dans un monde post-bipolaire.