L'expansionnisme turc et la crise libyenne
En février dernier, la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid 19 a contraint la Turquie à différer son plan de mesures de représailles et de chantage contre l’Europe qu’elle avait commencé à appliquer en ouvrant ses frontières avec la Grèce à plusieurs milliers de migrants clandestins. La défense résolue des forces de sécurité grecques, aidées localement par des civils déterminés à s’opposer pendant plusieurs jours à la violation de leurs frontières a permis de contenir l’assaut interrompu par la crise sanitaire touchant la Turquie à son tour. Les migrants qui avaient été massés à la frontière grecque ont alors été retirés et ramenés dans leurs camps pour y être traités sur le plan sanitaire.
A ce succès contre la pandémie s’ajoute celui remporté militairement en Libye par les troupes turques et leurs miliciens syriens régulièrement acheminés au cours des derniers mois. C’est ainsi que l’aide militaire importante apportée aux forces gouvernementales libyennes a obligé le Général Haftar, pourtant soutenu par l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Émirats, la Russie et la France, à battre en retraite pour défendre Syrte.
Fort de ces succès, M. Erdogan, qui rêve toujours de faire revivre l’Empire ottoman, ne cache plus ses ambitions de conquête territoriale. C’est ainsi que des plans d’invasion de la Grèce et de l’Arménie ont été récemment actualisés et que la volonté de s’emparer des îles grecques de Chios, Samos et Lesbos par migrants interposés est ouvertement déclarée.
Des accords de coopération militaire avec l’Azerbaïdjan et l’Iran ont été renforcés et des manœuvres hostiles et quotidiennes de l’armée de l’air et de la marine turques sont relevées en Méditerranée orientale pour défier les forces de Frontex et même de l’OTAN à laquelle appartient pourtant la Turquie.
Un incident grave a ainsi opposé la flotte turque à la frégate française Le Courbet qui tentait d’intercepter un cargo qui violait l’embargo sur les armes qui s’applique sur la Libye. Le bâtiment français a dû s’esquiver et renoncer au contrôle du cargo pour éviter la menace de deux navires turcs ayant engagé leur procédure de tir, le bâtiment français ayant été pris pour cible par leurs radars de tir.
La France n’a réagi que par une déclaration molle de notre ministre des Affaires étrangères, alors que le président de la République aurait dû faire convoquer l’ambassadeur de Turquie en raison de ce comportement agressif considéré comme un acte de guerre destiné par ailleurs à permettre la violation délibérée de l’embargo sur les armes touchant la Libye. Cette absence de réaction forte, que ce soit de la France, de l’Union Européenne (UE), des Etats-Unis ou de la Russie, profite au président turc qui réussit ainsi à s’imposer militairement en Méditerranée orientale.
Aujourd’hui, cet activisme militaire turc inquiète très sérieusement les pays riverains de la Méditerranée à tel point que certains ont commencé à réagir.
Ainsi, quelques jours après la récente visite du Premier ministre grec en Israël pour renforcer leurs accords de coopération, le chef d’état-major de l’armée grecque a mis en garde M. Erdogan en déclarant publiquement que son pays ne tolèrera aucune violation de sa souveraineté.
L’Egypte, de son côté, a fixé une ligne rouge en Libye en menaçant la Turquie en cas de tentative d’engagement d’une opération militaire vers Syrte. Le Président égyptien n’a pas hésité à menacer M. Erdogan d’intervenir militairement, si nécessaire, fort du soutien de la France, de la Russie et des monarchies du Golfe, à l’exception du Qatar.
Quant à Chypre, elle est redevenue une cible de la stratégie expansionniste turque. Elle fait actuellement l’objet d’une invasion lente et insidieuse par migrants interposés, comme en Grèce. Elle devrait cependant pouvoir compter sur une réaction des Américains et des Britanniques car ils la considèrent comme leur porte-avions en Méditerranée orientale.
Conforté par ses derniers succès et renforcé dans ses ambitions visant à terme la renaissance de l’Empire ottoman d’une part, l’islamisation de l’Europe d’autre part, le président turc, M. Erdogan, est en train de prendre pied en Afrique du Nord où il s’appuie notamment sur les réseaux des Frères musulmans. Ses gains tactiques actuels s’inscrivent dans sa stratégie globale d’islamisation de l’Europe qu’il compte bien entreprendre ou poursuivre en utilisant les migrants. Il ne faut pas oublier qu’un million de migrants sont actuellement en Libye en attente et prêts à être envoyés en Europe prise dorénavant en tenaille. Il est clair qu’en renforçant son implantation en Libye, il pourra lancer une nouvelle vague migratoire simultanément sur deux axes, Turquie/Grèce et Libye/Italie-France, quand il le décidera. A l’évidence, la Turquie agit contre les intérêts et la sécurité de l’Europe et devient un ennemi, d’autant plus que M. Erdogan ne se privera pas pour tout faire à partir de la Libye pour envenimer la situation au Mali et dans toute la région du Sahel. La France est là directement visée. Et le président turc est d’autant plus dangereux que ses succès actuels sont obtenus au moment où sur le plan intérieur la récession économique, l’inflation galopante et l’usure de son régime le placent sur la défensive.
Comme à son habitude, l’UE est inaudible sur une crise majeure qui concerne pourtant sa propre sécurité. Elle est incapable d’anticiper et de protéger ses frontières et ses citoyens. L’invasion migratoire de 2015 aurait pu être déjouée dès le début de l’année 2011 (« printemps arabe »). Pendant plus de quatre ans l’UE aurait pu prendre des dispositions pour se protéger de l’attaque sans précédent déclenchée à l’été 2015 par l’Etat islamique avec lequel la Turquie n’a cessé d’œuvrer en Irak et en Syrie. Mais elle est incapable de tirer les enseignements des crises précédentes.
L’OTAN quant à elle affiche une position attristante tant elle semble inexistante dans cette crise. Hormis le fait qu’elle ne devrait plus exister depuis la dissolution du Pacte de Varsovie après la fin de la Guerre froide, elle en est restée à cette période et la Russie reste son ennemie. Il y a une certaine logique car elle est en réalité un outil dévoué aux intérêts des États-Unis pour qui la Russie est restée l’ennemi prioritaire. Le président turc profite de cette situation, persuadé que les États-Unis n’interviendront que si leurs intérêts étaient menacés. Or, la Turquie reste encore pour l’instant un de leurs alliés dans cette région.
Le président russe, Vladimir Poutine, doit, lui, se frotter les mains en assistant à ce spectacle désolant opposant des membres de l’OTAN. Il attend probablement son heure comme il l’avait fait en Syrie.
Aujourd’hui, la situation semble présenter quelques similitudes avec celle de 1938 avec l’Allemagne. A quels renoncements sommes-nous donc prêts pour sauver la paix ?