Les ressorts de l’engagement de la Turquie en Libye
Sur fond de tragédie humanitaire, neuf ans après l’intervention militaire de l’OTAN dans le cadre de l’opération Unified Protector (mars-octobre 2011), la Libye demeure déchirée par la guerre civile. A l’ouest, Fayez al-Sarraj est à la tête du gouvernement d’union nationale (Government of National Accord, GNA), basé à Tripoli et reconnu par les Nations unies. A l’Est, le général Khalifa Haftar contrôle plus de 80% du pays, ainsi que les ressources en pétrole et en gaz, mais aussi une grande partie des réserves d’eau. Toutefois, il ne contrôle pas les grandes villes de Tripolitaine et donc une fraction considérable de la population.
Dans ce contexte, la Turquie, dont l’influence en Libye perdure depuis 1551 (année de l’annexion du pays à l’empire ottoman par le sultan Soliman le Magnifique), tente de protéger ses intérêts en soutenant le gouvernement de Fayez al-Sarraj. Ce dernier est lui-même issu de la minorité turque libyenne kouloughlie (kuloǧlu). Afin d’assurer coûte que coûte la survie du régime face à l’avancée des troupes du général Haftar, le gouvernement turc lui apporte un soutien aux plans militaire et sécuritaire.
Ces évolutions interrogent sur les motivations profondes qui sous-tendent la politique menée par la Turquie en Libye.
Dans un pari risqué, la Turquie considère – à l’instar d’autres puissances – que ce sont les rapports de force qui détermineront l’avenir de la Libye et permettront de parvenir à un règlement du conflit. Elle estime donc que le renforcement de son soutien au régime libyen est susceptible de changer définitivement la donne sur le terrain en provoquant, dans un premier temps, un rééquilibrage aux plans militaire et politique.
Cet engagement pose plusieurs problèmes : il n’est tout d’abord pas certain que la Turquie soit en mesure de répondre aux demandes du gouvernement de Tripoli, dont la volonté est de faire reculer militairement les forces du général Haftar. Cet engagement comporte ensuite le risque d’une confrontation directe avec les soutiens d’Haftar, notamment les Russes, même si des mesures de déconfliction ont probablement été mises en place entre les présidents Erdoǧan et Poutine. Par ailleurs, le soutien turc aux réseaux fréristes libyens présente un risque de déstabilisation au Maghreb, en particulier en Tunisie. Enfin, l’accord maritime conclu entre la Turquie et la Libye est porteur d’un risque de déstabilisation régionale en Méditerranée orientale, tant la question des hydrocarbures est sensible.