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Le rôle politique du soufisme, sa nature, son évaluation et son avenir

dimanche 30/septembre/2018 - 08:40
La Reference
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Par Noura Bendari

 

Le mouvement soufi a joué à ses débuts un rôle prédicationnel et spirituel probant en appelant à l’élévation de l’âme vis-à-vis du luxe et des plaisirs de ce bas-monde et à l’évitement de sa sédition. Outre cette tâche religieuse, les ordres soufis jouèrent un autre rôle prépondérant au sein de la communauté, celui politique qui a émergé lorsqu’il connut une grande affluence d’adhérents. Ce qui lui permit d’influencer les structures des États, en particulier dans la vie politique.

Le soufisme est devenu un acteur influant dans l'équation politique. En effet, les adeptes du soufisme participèrent à la lutte contre le colonialisme dans de nombreux pays du monde, contribuèrent à la confrontation des croisades, aux révolutions arabes, celle de 1952 en Egypte notamment, sans oublier les révolutions qualifiées de «printemps arabe». En outre participèrent-ils aux processus démocratiques conséquents, notamment la reformulation des constitutions, la création des nouveaux partis politiques et la participation aux échéances électorales, ainsi que la confrontation des organisations terroristes.

Malgré la tendance du soufisme à s’impliquer davantage à l’action politique, il lui reste encore des défis à relever pour à mieux s’imprégner de manière adéquate dans ce domaine.

En effet, la présente étude traite du rôle politique du soufisme, en essayant de répondre à un certain nombre de questionnements, entre autres de quel rôle s’agit-il ? Le soufisme a-t-il réussi ou échoué lorsqu'il a joué ce rôle? Qu'en est-il de la tâche politique future du soufisme? En tant que courant de pensée, le soufisme est-il bien qualifié ou non pour prendre le leadership politique ?

I.                  DE LA NATURE DU ROLE POLITIQUE DU SOUFISME

Le rôle politique du soufisme se résume en un certain nombre d'éléments qui montrent comment l'impact de ce courant de pensée est un rempart important et potentiel dans les articulations de la vie politique des pays où il a eu à jouer ce rôle. Et ce à travers plusieurs axes cités ainsi qu’il suit:

a.     De la rédaction des Constitutions

Certains ordres soufis ont participé à la rédaction des constitutions dans certains pays, celles-ci étant une référence juridique et politique de chaque système. Et lorsque les soufis s’impliquèrent dans la construction de ces fondamentaux, cela représente donc une évolution remarquable du moment où ils sont un acteur politique actif, à l’instar des Naqshbandis (grand ordre soufi en Turquie), qui ont joué un rôle important dans la rédaction de la Constitution turque de 1982.

En outre, l'ancien président de la Turquie Mustafa Kemal Atatürk a identifié la position des autorités turques envers les groupes et ordres soufis. Position qui était marquée par la convivialité et le respect mutuel, qui se refléta d’ailleurs dans la Constitution de 1924, laissant aux groupes soufis une grande marge de liberté et sans aucune restriction légale.

b.    De la création de partis politiques

Selon certains courants soufis dans plusieurs pays, il faut s’impliquer dans la vie politique, pour pouvoir influencer la société et confronter les autres courants notamment salafistes et fréristes. Tout comme la multiplicité des ordres soufis aiguise l’appétit d’un grand nombre des partis politiques à les approcher, parce qu’ils ont la grande capacité de rassembler la foule dans les zones particulièrement pauvre.

En Afrique, en particulier au Soudan, le soufisme fort de sa quarantaine d’ordres reconnus, est représenté dans la scène politique à travers un certain nombre de partis politiques, notamment le parti nationaliste Al-Oumma dirigé par Sadiq al-Mahdi qui est la branche politique de la confrérie Al-Ansar, elle aussi issue de la révolution Mahdie. Le Parti de l’Union démocratique, issu de la confrérie al-Khatimiyya figure aussi parmi les formations politiques à arrière base soufie, tout comme Al Oumma et Al-Moatamar Al-Watani (la Conférence nationale).

Par-dessus le marché, un groupe de symboles soufis ont déclaré le 2 août 2017 leur décision de création d’un parti politique soufie au Soudan ; et ce sera une grande première dans le Monde islamique qu’une formation politique se définisse explicitement par le soufisme à travers son nom. Ses crédos seraient l’implémentation de la démocratie, du nationalisme, de la justice, des valeurs de liberté et d'égalité entre les citoyens. Outre la volonté de maîtriser les courants terroristes, servir l'intérêt de la nation et la participation et la transition pacifique de la gouvernance.

L’Egypte aussi a connu cette participation politique des soufis à travers les partis qu’ils ont créés pour participer aux élections législatives après la révolution de janvier 2011. Cela eut lieu quelques jours seulement après l’éviction de Moubarak, quand dix-huit cheikhs soufis menés par les cheikhs Mohamed Alaa din Abu Al Azayim et Mohammed Abd al-Khaliq Chabrawi, leur intention de créer un parti politique pour la première fois sous le nom de La Tolérance sociale, pour prouver leur existence face aux courants salafistes qui commençaient à dominer la scène islamique en Egypte.

Respectivement en septembre et octobre 2011, les partis politiques de la Libération égyptienne et An-Nasr. Le premier qui est purement soufi est dirigé par Ibrahim Zahran.

c.      De la participation des confréries soufies aux révolutions

Les confréries soufies ont contribué aux révolutions dans leur pays, pour prouver leur rôle politique et leur influence dans la société. Dans la révolution l'Algérie, par exemple, ils se sont montrés pragmatiques notamment de la façon dont Sidi Ahmed Ouyahia l’a structuré. Il a fait rejoindre environ 30 étudiants soufis le Front de libération nationale (FLN) et l'Armée de libération nationale (ALN) en 1956 contre l'occupation française de l'Algérie, et a suspendu l’enseignement pendant la révolution 1857 contre le colonialisme français.

En Egypte, certains soufis ont participé à plusieurs révolutions qui se sont produits tout au long de l'histoire égyptienne, notamment de la révolution de 1919 jusqu'à la révolution de 2011 et 2013 en passant par celle de 1952.

Selon le Cheikh soufi Ahmed Tidjani ce courant de pensée a enregistré depuis la nuit des temps jusqu’à nos jours une participation de taille dans les affaires politiques. La plus récente est la révolution janvier 2011 quand les jeunes soufis ont rompu le silence vis-à-vis de ce qu'ils appelaient «les crimes commis par le régime Moubarak». Leur participation à cette révolution a eu un impact remarquable, créant un mouvement national et une cohésion de tout le peuple égyptien.

Ils étaient nombreux également à prendre part à la révolution du 30 juin 2013. Les plus célèbres confréries soufies à y participer sont la tariqa Al Chebrawiyya. Ils avaient une infime conviction que si les Frères musulmans réussissaient à échapper de cette révolution tout serait basculé pour les soufis.

d.    Du djihad anti-Croisades et anticolonialisme

Les ordres soufis ont une longue histoire du djihad contre l'ennemi et dans la lutte contre les colonisateurs. Le cheikh Ahmad Badawi, auquel est lié la tariqa al Badawiya, a combattu  la croisade contre l'Egypte et l'injustice mamelouke. Ses prouesses lui a d’ailleurs fallu des dictons dans le folklore égyptien en guise de reconnaissance de son rôle.

Outre les livres d’Ahmadiyya al badawiyya qui ont soulevé son rôle dans l’équipage des soldats et la libération des prisonniers, et sa contribution aux combats contre les Croisés près de la ville de Mansoura. Il a même pris en otage Louis IX, roi de France à l'époque. Les prouesses soufies étaient remarquables à Mansoura et dans d'autres villes.

Leurs prises de position contre l'occupation italienne en Libye, et dans de nombreux pays musulmans, étaient également notoires. Notamment sous les ordres des Cheikh Omar Mukhtar et Mohammed Idris al-Sanusi.

En Algérie, Abd-el-Kader Ben Mohi, leader de la tariqa Al-Qadiriya, les ordres Rahmaniyah Senussiyya, et Darquaouiyyah At-Tayyibat ont aussi et grandement contribué à la lutte contre le colonialisme français, tandis que les tidjanites, eux, soutenaient l'administration coloniale. Au départ de l’occupation française et après l’accès de leur pays à l’indépendance, la plupart des soufis se sont livrés à la vie politique.

e.      De la lutte contre le terrorisme

Le soufisme reste une arme de l’Islam pour contrer les tentatives du fanatisme et de l'extrémisme, qui sont fondés sur l'ignorance, sans se rendre compte de la véritable signification de la religion. La raison pour laquelle tant de pays, comme le Maroc, l'Algérie, l'Egypte et le Sénégal travaillent de commun accord pour fournir un soutien à certains ordres soufis, pour les aider à mettre fin à la violence au nom de l'Islam, anéantir le terrorisme et limiter les idées extrémistes. Ces Etats pensent que la pensée soufie pourrait jouer un rôle majeur, en particulier pour contenir l’enthousiasme de certains jeunes pour le djihad.

Le rôle que joue le soufisme en Algérie est l’exemple palpable d’une collaboration anti-extrémisme de cette confrérie avec l'Etat. En effet, le pouvoir algérien, notamment le Président Abdelaziz Bouteflika, octroie un soutien moral aux ordres soufis, pour combattre les idées extrémistes. Pour ce faire, le gouvernement algérien a lancé deux chaînes de télévision, et deux stations de radio spécialisées dans la diffusion de doctrines de la pensée soufie en Algérie. Celles-ci servent de tribunes médiatiques pour ces ordres pour se les aider à diffuser leurs idéaux.

Outre l’invitation sur les chaînes de télévision algériennes de de la plupart des cheikhs soufis, pour discuter de diverses questions politiques, religieuses et mystiques. Cela est dû à la conception du pouvoir algérien du fait que le soufisme ait la capacité de combattre le terrorisme dans le pays. Ce courant de pensée constitué d’une trentaine d’ordres étant largement diffusé en Algérie, et gérant environ 1600 zawiya environ. Les ordres soufis ont également créé en Algérie un Institut Africain en 2013 pour lutter contre le terrorisme. L’établissement a déjà fait sortir 300 imams de diverses nationalités africaines, leur mission essentielle étant de faire face à l’extrémisme dans les pays côtiers.

 

II.               DE L’EVALUATION DU ROLE DU SOUFISME

Eu égard à ce qui précède, le soufisme se redéfinit comme un acteur politique important, qui a choisi le renforcement de la structure sociétale et le soutien au régime en place. D’où les soutiens matériels reçus de certains dirigeants notamment en matière de siège pour leur permettre de mieux asseoir leur autorité culturelle au sein de la société. Au Sénégal, par exemple, les soufis ont réussi à se frayer une bonne place au sein du système gouvernemental, parmi lesquels on trouve les chefs d’Etat ou les chefs d’Etat qui écoutent attentivement les besoins des dirigeants soufis. C’est donc pourquoi les cheikhs soufis ont une grande influence dans la politique du pays. C’est d’ailleurs grâce au pouvoir soufi que le premier président du pays, Léopold Sédar Senghor, a pu asseoir la légitimité de son règne, en dépit de son appartenance à la minorité catholique roumaine.

La plupart des chefs d’Etat se sont appuis sur les ordres soufis  notamment l’actuel président Macky Sall. La puissance des cheikhs mourides de Touba et tidjanites de Kaolack leur a permis d’évincer l'ancien président Abdou Diouf accusé de mener le pays vers un laïcisme prédateur anti-spirituel. Tout comme ils ont réussi à remplacer l'ancien président Abdoulaye Wade bien qu’il se définisse comme un disciple soufi.

Alors que les dirigeants soufis se sont imprégnés de la politique au Sénégal, dans d’autres pays, en Egypte notamment, les ordres soufis ont du mal, même appuyé par leurs partis politiques, à se frayer une place dans la scène politique. Leur participation aux différentes révolutions, celles du 11 janvier 2011 et du 30 juin 2013 ne leur a procuré aucun gain politique direct. Cela serait dû au manque d'expérience sur la concurrence politique à cause de leur soutien, selon l'Histoire, aux dirigeants politiques en place. 

Il y a quelques raisons qui montrent que l'influence du soufisme dans la rue égyptienne ou arabe, abstraction faite du Maroc et du Sénégal, a fortement chuté, notamment, à cause de son incapacité de se repositionner après la chute des Frères musulmans en Egypte depuis 2013.

Egalement sa faiblesse en Libye, au Yémen et en Syrie l’a obligé à sortir de l'équation politique et militaire dans ces pays. Outre le manque de soutien du pouvoir dans certains pays en raison de leur impact limité dans le processus politique, face à d'autres courants religieux.

Le ronronnement du soufisme derrière le pouvoir en place est dans la plupart des pays y a freiné leur parcours politiques. De la lutte pour l’indépendance pendant la période coloniale dans certains pays, les ordres soufis se sont en effet cantonnés au suivisme presque absolu de la politique de l'Etat. Ce qui a conduit au déclin de son influence en les cadrant dans le seul rôle de suivi des instructions des gouvernants plutôt que d'être un acteur indépendant dans l'environnement social. Cela s’applique aux ordres soufis des pays arabes qui ont connu les révolutions ou non. Les régimes au pouvoir s’en sont servis à l’échelle locale ou internationale, pour remettre l’équilibre social et politique.

Par conséquent, le fait que certains ordres soufis fassent semblant de s’impliquer dans l'action politique, créer les partis politiques, participer aux élections ou se doter des sites et comptes électroniques sur les réseaux sociaux, ne signifie en aucun cas qu’ils un réveil de leur sommeil politique qui dure pendant des décennies.

 

III.           DE LA VISION FUTURISTE DU ROLE POLITIQUE DU SOUFISME

En considération de ce qui précède, il convient de constater que les soufis ont exercé un rôle politique important, et malgré le succès de ce rôle dans certains pays, en particulier au Sénégal, ou l'échec dans d'autres pays comme l'Egypte. En effet, il faudrait observer certains facteurs qui pourraient expliquer l'avenir du rôle politique soufi. Il s’agit notamment de:

a.     Du soutien financier

Le courant soufi est confronté, dans certains pays, aux problèmes liés au soutien moral et matériel, notamment dans la plupart des pays arabes où les ordres soufis ne sont pas intégrés dans les institutions de l'Etat, ni ne sont régis par la loi. En plus de la crise financière qui accroupissent certains de ces pays. Ce qui influerait sur l’implication politique ou non du courant soufis.

Il y a également lieu de mentionner ici le soutien financier aux ordres soufis en provenance des pays occidentaux, notamment les États-Unis et certains pays de l'Union européenne, qui les considèrent comme partenaires pacifiques, donc essentiels, dans la lutte contre les organisations extrémistes.

b.    De l’intégration et de la coopération

Les aspects de l'intégration et de coopération des ordres soufis récemment observés, particulièrement en Egypte et en Libye, quand les confréries Al Azmiyya et Al Saadiyya (en Egypte) ont condamné de manière ferme, la profanation des mausolées soufis en Libye, affecteraient certainement le rôle soufi politiquement. Cela pourrait donner une voix audible à ce courant.

c.      De l’obéissance aux régimes politiques en place

Sans toutefois se camper dans un suivisme absolu, l'implication soufie dans certains pays dans les systèmes politiques conduirait probablement à l'émergence d’un courant influent de première classe dans la structure sociétale qui essaye de combiner la vision religieuse aux aspects de l’action politique, parce que leur manque d'expérience politique et leur obéissance aux régimes en place influencerait à leur venir politique.

d.    Du rôle religieux et politique

L’établissement d’un organigramme définirait clairement le rôle religieux et politique des dirigeants soufis dans leurs sociétés respectives, afin qu'ils ne soient pas affectés de manière significative par les changements temporels du pouvoir dans certains pays.

En tenant compte de ce qui précède, nous constatons que le soufisme noue une relation étroite avec le pouvoir résultant du rôle politique fort qu’il a joué au départ. C’est d’ailleurs cette stupéfaction que certains cheikhs soufis ont voulu balayer d’un revers de la main par rapport à leur action politique. Le soufisme étant synonyme de l’ascétisme vis-à-vis des tentations de cas bas-monde, y compris donc les postes politiques. Dans sa nature le soufisme s’attèle au service de l’autre et à défendre ses droits. Ce qui est par effet de conséquence au cœur de toute action  politique. Ce qui par ricochet fait de l’implication politique soufie une action logique. La raison pour laquelle le soufisme a, dans des pays comme la Turquie et le Sénégal particulièrement, réussi à s’arrimer au sommet de la pyramide du pouvoir. En Turquie, Recep Tayyip Erdogan qui se définit comme soufi naqshbandi est élu président de la République. Tel était le cas au Sénégal pour ce qui est de l’ancien président Abdoulaye Wade qui pour sa part se réclame comme partisan d’al Mouridiyya. Malgré tout cela les soufis ont du pain sur la planche, dans certains pays, à se doter de suffisamment de l’expérience requise pour mieux se positionner politiquement.

 

 

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