Erdogan et la politique de l’histoire en Libye
Le président Erdogan déploie des forces en Libye. Comme en Syrie ? Pas exactement. La Turquie a voulu s’impliquer dans la crise syrienne autant qu’elle a été victime de sa géographie. Erdogan fait le choix de l’expansionnisme en Libye et en Méditerranée pour garder le pouvoir. La politique de l’histoire est au cœur de sa stratégie internationale. Pour justifier une présence militaire en Libye, il convoque le passé ottoman.
En réponse à la question posée par l’opposition : « Qu’avons-nous à faire en Libye ? », il développe une lecture présentialiste du passé : les Ottomans sont de retour ; ils étaient attendus. C’est un empire à reconstituer, au moins dans les espaces conquis par les sultans. Plusieurs arguments sont développés.
Le premier argument est anticolonial. D’une part, la Turquie se lance en Libye pour lutter contre un « nouveau Sèvres ». Signé en 1920, ce traité avait réduit l’Empire ottoman à un Etat croupion. Ankara mobilise le complexe de Sèvres, ô combien fondateur de la Turquie moderne, pour organiser une riposte en légitime défense face à un complot des puissances coloniales roum et leurs alliés d’hier (Chypre, la Grèce) et d’aujourd’hui (Israël, l’Egypte de Al-Sissi et les Emirats arabes unis). En 1912, les provinces libyennes furent cédées à l’Italie par un traité à Lausanne. C’est aussi à Lausanne que fut signé, en 1923, le traité fixant les frontières actuelles de la Turquie. Le président turc joue sur les résonances entre les deux Lausanne.
Le second argument est néo-ottoman. La Libye fut ottomane. Pourtant, la Libye, ce n’est pas la Bosnie, l’Albanie ou la Macédoine, le cœur de l’Empire dès le XVe siècle. Les Ottomans ne contrôlèrent la Cyrénaïque et la Tripolitaine que sur ses côtes, et tardivement : seulement à partir du milieu du XVIe siècle. Peu de temps : en 1711, une dynastie semi-autonome, les Karamanli, s’imposa. En 1835, les Ottomans reprennent le contrôle de la région.