La Libye au cœur d’une passe d’armes entre la France et la Turquie
Emmanuel Macron a accusé Recep Tayyip Erdogan de «jouer un jeu dangereux» dans la crise libyenne en livrant armes et miliciens malgré l’embargo. Ankara a aussitôt répliqué. Entre les deux alliés de l’Otan, rien ne va plus.
Entre la France et la Turquie, ce n'est pas (encore) la guerre, mais la crise s'aggrave de jour en jour. Dans les mots comme dans les actes, inédits entre deux partenaires d'une même alliance, l'Otan. Ce lundi soir, Emmanuel Macron a accusé le régime de Recep Tayyip Erdogan de « jouer en Libye un jeu dangereux ». La riposte turque n'a pas tardé, le porte-parole de son ministère des Affaires étrangères assurant ce mardi que c'est la France qui « joue à un jeu dangereux », et qu'elle porte une « responsabilité importante dans la descente de la Libye dans le chaos ». Ankara vient d'arrêter quatre Turcs suspectés « d'espionnage » au profit de la France.
De quoi s'agit-il? Depuis la chute du colonel Kadhafi en 2011, à la suite d'une révolte populaire et d'une intervention militaire couverte par l'ONU mais initiée par la France, le pays reste plongé dans le chaos. Deux camps se mènent une guerre sans merci. D'un côté, à Tripoli, celui du Gouvernement d'union nationale (GNA) du Premier ministre Fayez al-Sarraj, appuyé notamment par des milices de tendance islamiste, reconnu internationalement par l'ONU et soutenu par la Turquie et le Qatar. De l'autre, celui du maréchal Haftar, homme fort de l'est du pays, soutenu par l'Egypte, les Emirats arabes unis, la Russie… et par la France, selon certaines accusations toujours démenties.
« Nous n'avons déployé aucun moyen ni force d'aucune sorte pour soutenir une partie ou l'autre », répétait dernièrement un haut responsable du ministère des Armées, assurant que Paris cherche à faire prévaloir « une solution politique ». Sur le terrain, après avoir échoué à conquérir la capitale libyenne, le maréchal Haftar se trouve désormais menacé dans son propre fief, malgré le renfort des mercenaires du groupe Wagner, une société privée militaire russe.
Ces revers seraient dus en bonne part au soutien militaire turc au GNA, en violation par Ankara de l'embargo de l'ONU sur les livraisons d'armes. Les services français de renseignement auraient des preuves, dûment fournies au siège onusien de New York, d'acheminement à plusieurs reprises de matériel de guerre (chars, drones, missiles antiaériens, etc.), de conseillers militaires turcs et de miliciens syriens sur le sol libyen.
« Le procédé habituel, c'est un cargo qui charge en Turquie, indique pour destination officielle le port tunisien de Gabès, puis se déroute vers Misrata en Libye », ajoute la source militaire française.
Une inspection navale manque de dégénérer
Ce manège a donné lieu à un grave incident naval en Méditerranée. Le 10 juin, la frégate française « Courbet » approche un cargo turc suspect, qui a coupé – illégalement – toute liaison radio. Aussitôt, le « Courbet » est « illuminé » par le radar d'une frégate turque d'escorte, manœuvre ouvrant la voie à un tir de missile ou de canon.
Selon des sources militaires, les marins turcs se trouvaient d'ailleurs en tenue et position de combat. Le bateau français renonce alors à une inspection. « Un acte extrêmement agressif, très grave entre alliés, il faut que l'Otan fasse respecter ses règles en son sein », demande Paris, qui dispose « de belles photos et vidéos sur l'action turque ».