Guerre en Libye : qui d’autre que l’Europe pour stabiliser la région ?
Parmi les acteurs stratégiques de la Méditerranée orientale, qui a véritablement intérêt à stabiliser de la Libye ? Les États-Unis ? Ils sont absorbés par d’autres préoccupations. Les Russes ? Leur position reste ambiguë : une Méditerranée tendue est une Méditerranée où ils peuvent agir. Les Turcs, quant à eux, poussent leur avantage pour se constituer une sphère d’influence et une zone d’intérêt économique – et surtout pour bousculer les rapports de forces locaux. Ils n'hésitent d'ailleurs pas à hausser le ton face à la France, alors que les deux pays s’accusent mutuellement de se livrer « à un jeu dangereux » en Libye.
En fait, seuls les Européens souhaitent véritablement la stabilisation et la fin d’une guerre civile entamée en 2014. Il en va de leurs intérêts et de la protection de leur territoire. Mais en auront-ils la volonté ? La Libye est un test pour l’autonomie stratégique européenne tant annoncée.
Un état de conflit armé ne se stabilise que de trois façons : soit par la victoire totale d’un des adversaires en présence ; soit par un équilibre stratégique accepté par les belligérants et sanctionné par un traité d’armistice puis de paix ; soit, enfin, par l’équilibre des forces. Autrement dit, une guerre trouve son issue soit dans une Pax Romana où l’un des adversaires domine, anéantit ou absorbe l’autre ; soit dans les Traités de Westphalie par lesquels, en 1648, les États européens constatent l’incapacité de chacun à établir un empire ; soit par un équilibre de la terreur comme durant la Guerre froide.
Une guerre civile dilatée en conflit régional
En Libye aujourd’hui, les perspectives de stabilisation du conflit paraissent aussi éloignées qu’au début de la reprise des hostilités en 2014. En effet, aucun des belligérants n’est capable de s’imposer et de rétablir par ses propres forces « le monopole de la violence légitime » et l’unité du pays. La Libye reste plus que jamais clivée entre tribus rivales et entre groupes d’intérêt en compétition.
À l’est, le gouvernement dit de Tobrouk, dominé par le général Haftar, a subi une série de défaites durant les premiers mois de 2020, malgré le soutien très actif des Émirats arabes unis et de la société militaire privée russe Wagner ; à l’ouest, le gouvernement dit GNA (pour Government of National Accord) de Fayez al-Sarraj est loin d’avoir remporté une victoire complète au premier semestre malgré l’appui des forces armées turques.
Attisée par les ingérences extérieures, la deuxième guerre civile de Libye n’a pour perspective que la prolongation indéfinie des offensives et des contre-offensives qui s’enchaînent depuis 2014. Ne serait-ce pas avant tout parce qu’aucune des puissances régionales en présence n’a objectivement intérêt à une stabilisation… sauf les Européens ?
Comment la Turquie est passée à l’offensive
Le retour stratégique de la Turquie dans la région ne vise pas une résolution de la crise libyenne.
En autorisant, début janvier 2020, les forces armées turques à se déployer en Libye en appui au gouvernement GNA, le Parlement de Turquie et président Erdogan poursuivent un agenda stratégique où la stabilisation et l’unité du pays ne sont que secondaires. Les objectifs économiques sont évidents et consacrés par la convention passée avec le GNA pour l’exploitation des ressources en hydrocarbures de la Libye.
Sur le plan stratégique, l’intérêt de la Turquie est de passer de la défensive en Syrie à l’offensive en Méditerranée orientale, notamment pour faire contrepoids à l’omniprésence russe à ses frontières, au nord comme au sud. Enfin, au niveau politique, la présidence Erdogan offre à une partie de sa population une satisfaction de fierté nationale dans une période de crise économique et d’isolement international.