Sabah Khudeir a entendu parler de lui il y a un an et s’est transformée en inspecteur Colombo.
L’activiste égypto-américaine affirme : je ne déteste pas Ahmad mais il faut l’emprisonner, et le harcèlement est devenu une partie de la culture des jeunes. La position du procureur général est honorable, il faut appliquer la loi pour toute filleayant été menacée de viol.
Entretien : Chahinda Abdelrahim
Ahmad Bassam Zaki : il semble que cela soit le nom du harceleur le plus célèbre ces derniers temps, celui qui a fait la une des médias sociaux.
Ahmad Bassam Zaki, qui est en détention préventive après avoir été accusé d’avoir attenté à la pudeur de trois filles, a fait ses études dans des écoles internationales, avant de s’inscrire à l’Université américaine, puis à l’Université européenne. Il a commencé à être connu après que nombre de filles eurent raconté les crimes qu’il a commis contreelles, et que les médias sociaux eurent étayé leurs histoires avec des preuves et des photos. Après quoi, le Conseil national des droits de la femme a déposé une plainte auprès du procureur général Hamada al-Sawi. Et ce dernier n’ayant reçu que la plainte d’une seule fille, le Conseil a incité les filles à ne pas hésiter à se plaindre en utilisant la ligne directe ou à se présenter auprès du procureur sans tarder et dans le secret. Et après la succession des plaintes, Ahmad a été arrêté et le Parquet général a annoncé l’ouverture d’une enquête, suite à quoi Ahmad a été placé en détention préventive quatre jours, après avoir été accusé d’attenter à la pudeur de deux filles et d’en avoir menacé d’autres de publier des photos compromettantes.
L’accusé a avoué lors des enquêtes avoir fait la connaissance de 6 filles sur un site de réseaux sociaux et les avoir menacées d’envoyer des photos compromettantes d’elles à leurs familles après qu’elles eurent manifesté le désir de mettre fin à leurs relations avec lui.
Pour révéler les scandales d’Ahmad, et recueillir les témoignages de ses victimes, nous devions rencontrer Sabah Khudeir, l’activiste et blogueuseégypto-américaine.
- Tout d’abord, faites-vous connaître et parlez-nous de vos débuts.
- Je m’appelle Sabah Khudeir et j’ai 29 ans. Toute ma vie, j’ai voulu écrire sur les droits de la femme et les défendre, en parlant de la violence et du viol qu’elle subit. En Egypte, dès que vous sortez de chez vous, vous subissez des harcèlements de nombreux jeunes, et le phénomène est devenu ordinaire : c’est ainsi qu’on voit un jeune qui mange, boit et prie, puis va draguer les filles. Au début, j’écrivais sur mes pages personnelles, puis j’ai créé une page sur Facebook (End Quote) pour la poésie et l’écriture : les gens vivant en Egypte m’envoient leurs textes : leur nombre a augmenté vite, passant de 2000 la première semaine à 20000 la dernière semaine. Puis j’ai ouvert Instagram et j’ai commencé à écrire dessus et à parler des choses importantes pour moi et pour l’Egypte.
- Où êtes-vous née et quand êtes-vous venue en Egypte ?
- Je suis née en Amérique puis je suis venue en Egypte à 11 ans. Je suis restée en Egypte jusqu’à 27 ans, puis je suis retournée en Amérique, et mon arabe est faible, car je ne connaissais pas un mot d’arabe en arrivant en Egypte.
- Vous avez étudié l’écriture ou c’est un passe-temps pour vous ?
- Je l’ai étudiée dans une université américaine, et j’ai étudié la psychologie à côté, car je devais lire les livres de psychologie, pour pouvoir exprimer ce que je voulais écrire, et pour que ma pensée soit rationnelle, et pas seulement des émotions.
- Pourquoi avez-vous décidé de consacrer votre page et votre temps à la recherche, et à faire connaître Ahmad Bassam Zaki, et comment avez-vous pu recueillir toutes les histoires de ces filles ?
- Les gens ont commencé à avoir confiance en moi, car ils suivaient ma page sur Facebook depuis que j’ai commencé à écrire, car je parlais beaucoup du harcèlement et de tout ce qui arrive contre la femme en Egypte. Je parlais de notre santé mentale et comment on arrête le harceleur, du point de vue de la psychologie. Même avec Ahmad Bassam Zaki, je compatis, bien que je voie qu’il est dans l’erreur à 100%, car les gens de l’extérieur sont victimes de lui. Et en grandissant, il a fini par ne plus sentir que ce qu’il faisait était mal. Mais je ne le considère pas comme malade, car il y a beaucoup de malades qui ne font pas comme ça, je cherche seulement à le comprendre en tant qu’être humain, quels que soient ses actes. Je dis que ce qu’il a fait est mal, et qu’il doit être emprisonné, mais cela ne signifie pas que je le déteste, ou que je veux qu’il soit exécuté. Je veux que la loi égyptienne protège toutes les filles, et tout être humain, car il est avant tout un être humain, mais il fait du tort à des gens, dont la plupart ne sont pas responsables de ses problèmes
- Quand avez-vous commencé à vous intéresser à l’histoire d’Ahmad Bassam Zaki, et pourquoi ?
- J’ai entendu parler de lui pour la première fois il y a un an, un message d’un compte sur Instagram m’est parvenu, et la fille m’a dit : Sabah, je suis ce que tu écris, et un garçon à la faculté me harcèle et me suit tous les jours. Je lui ai répondu, puis la fille a disparu et ne m’a plus répondu. Deux semaines plus tard, mon amie à l’université américaine m’a raconté le cas d’une fille victime de harcèlement, qui s’est plainte à elle. Je lui ai dit que cette histoire était semblable à une autre d’une fille que j’avais connue sur Instagram, et qui avait disparu. Elle m’a dit que le garçon dont je parlais faisait partie d’un groupe formé par des étudiants de l’université américaine en 2018 et que la page s’appelait rate Auc professeurs, et une fille a publié en 2018 un texte sur cette page en disant qu’Ahmad la harcelait et qu’elle voulait se venger. Puis l’université américaine a chassé Ahmad Bassam Zaki 2018, car ses résultats scolaires étaient faibles, et il s’est inscrit à l’université européenne de Barcelone en 2019.
Mais après le confinement suite à la pandémie, Ahmad a quitté Barcelone, en mars 2020.
Après que mon amie m’a raconté l’histoire des filles de l’université américaine, à côté du message qui m’était parvenu semblable à son histoire, je me suis dit : il est impossible que toutes ces filles mentent, et l’accusent injustement, et après cela, la question fut close pour moi en 2019.
Mais le sujet se représenta à nouveau, à la fin juin 2020, une fille publia un texte sur les réseaux sociaux en disant que ce garçon Ahmad Bassam Zaki la harcelait, et elle publia sa photo en nous mettant en garde contre lui. J’ai parlé à mon amie de l’université américaine qui m’a rappelé son nom et j’ai su que c’était la même personne. Je suis restée à regarder le texte de la fille, et tous les commentaires qui lui sont parvenus, et l’une des filles ayant commenté affirmait que ce garçon l’avait violée, je lui ai dit : cette plainte est importante, peux-tu m’en dire plus : et je la croyais à cause du nombre dedétails qu’elle donnait dans son récit, au point qu’elle connaissait la maison du garçon et toutes les pièces. Je me suis donc dit : il faut le diffamer, et cette fille m’a envoyé son histoire. J’étais très fâchée et j’ai dit : ce garçon a tort, de nombreuses filles se sont plaintes de lui, puis j’ai trouvé que mon message avait été partagé plus de 50000 fois, et la même histoire à propos de lui se répète plusieurs fois, avec la façon dont il attire ses victimes.
- Quand avez-vous décidé de faire une page « police des agressions sexuelles » sur Instagram qui a publié tous les scandales d’Ahmad Bassam Zaki ?
- Ils ont collaboré avec moi et ont pris les histoires des filles de moi, les ont publiées et traduites, car je les publiais en anglais. Et nous ne connaissons pas l’identité du garçon ou de la fille qui ont eu l’idée de la page « Police des agressions sexuelles » car la famille d’Ahmad faisait un procès à celui qui publiait un texte le diffamant. Et on ne connaît pas jusqu’aujourd’hui l’identité du fondateur de la page et notre but est d’arrêter Ahmad et de le juger.
- Parlez-moi de nombre de messages qui vous sont parvenus des filles ?
- Pour le moment, plus de 50 messages, certains concernant des viols, d’autres des menaces, d’autres encore des harcèlements, il tente de les attirer chez lui ou il les menace de publier leurs photos. Il a dit en particulier à une fille : tu as une heure pour venir chez moi, sinon je te dénonce à ta sœur, et tu resteras prisonnière chez moi et feras ce que je veux. J’écoutais ces messages sonores plus de 3 heures par jour pour me convaincre que ce que je fais est juste et que je dois dénoncer cette personne jusqu’à ce qu’il aille au poste de police.
- Qu’est devenue cette fille ?
- Elle est allée hier au Parquet avec sa sœur pour témoigner contre lui, et c’est ce que nous voulons faire comprendre aux familles en Egypte, à savoir que ceux qui sont comme Ahmad Bassam Zaki continueront à menacer vos enfants tant qu’ils sentiront que vos enfants ont peur de vous.
- Après le succès de votre page et de la page « Police des agressions sexuelles », parlez-moi de la nature des messages qui vous sont parvenus ?
- J’ai reçu des messages méchants, des gens me menaçant de viol et s’en prenant à mon apparence, bien que j’aie retiré mes photos de mon compte.
- Que pensez-vous des mesures prises par le Parquet égyptien, la police et le Conseil national des droits de la femme contre Ahmad Bassam Zaki et sont-elles efficaces ?
- Bien sûr, je pense ainsi, et même les filles me racontent après être allées au Parquet qu’elles ne pensaient pas que cela serait aussi simple. Avant qu’elles aillent au Parquet, je les rassurais, en leur disant que la loi était de leur côté.
- Quelle est votre position sur les filles mineures et la façon de communiquer avec un garçon ?
- Je crois que les familles doivent sensibiliser leurs filles au danger de garçons comme celui-là, et il faut éduquer le garçon comme la fille, car la faute commence avec lui et la fille tombe dedans.
- Quelles sont les initiatives à venir que vous allez prendre dans cette affaire ?
- Je laisse cette affaire à la police et au gouvernement, car ils n’ont fait que de bonnes choses jusqu’à maintenant pour les filles, ils les aident beaucoup, et cachent leurs noms et leur identité. Lorsqu’on parle avec nos enfants, ils comprennent leurs droits et le fait qu’il y a des lois dissuasives contre tout harceleur ou violeur. Et à ceux qui disent qu’il est malade mental, je leur réponds qu’il est intelligent et sait ce qu’il fait, car il le fait en cachette en sachant que c’est mal.
- Vous ne pensez pas créer une association de rééducation psychologique de ces jeunes filles ?
- Nous avons de fait commencé à faire un groupe et des psychiatres et des formateurs se sont joints à nous, qui soignent eux-mêmes les victimes d’Ahmad Bassam Zaki sans contrepartie, et nous pensons faire de nombreuses choses à côté de cela.