Libye : Un soutien non sans ambition pour la Turquie
Depuis la tentative infructueuse de coup d’état en juin 2016, Erdogan souhaite accroître son influence dans la région. Comme le démontre l’intervention des forces armées turques, la Libye constitue dans cette démarche un enjeu majeur, tant d’un point de vue politique qu’économique.
En effet, Ankara et le GNA ont signé un accord de partage par lequel les deux pays s’octroient des ressources gazières offshore en Méditerranée. La Turquie garantit ainsi ses approvisionnements énergétiques, mais s’approprie dans le même temps des eaux revendiquées par la Grèce et Chypre. De plus, cet accord entrave également le projet de gazoduc EastMed censé exploiter les réserves offshore au large de Chypre pour approvisionner l’Europe et Israël. Seulement, l’indignation manifeste de ces pays importe peu pour Erdogan qui doit maintenant leur accorder sa permission pour exploiter des eaux qui ne sont pas censées lui appartenir.
Erdogan compte également rétablir son influence dans la région en encourageant une nouvelle fois ses entreprises à investir massivement sur le territoire libyen. En effet, face à l’instabilité grandissante, les entreprises turques implantées en Libye avaient été contraintes de fuir le pays et c’est l’équivalent de 20 milliards de dollars de contrats qui s’étaient envolés avec la chute de Kadhafi.
…en se confrontant à d’autres puissances, alliées ou rivales.
Après la chute de l’Empire ottoman dans les années 1920, la Turquie s’est lancée dans une phase d’occidentalisation sous l’impulsion de Mustafa Kemal. L’alphabet de référence du turc passe de l’arabe au latin et la Constitution de 1924 proclame la laïcité. Membre de l’OTAN, la Turquie dépose également en 1987 sa candidature à l’Union européenne. Mais depuis quelques années et en particulier depuis le putsch avorté de 2016, la Turquie s’émancipe et trace sa propre voie. Bâtie sur l’héritage d’un empire qui a jadis menacé le coeur de l’Europe, la Turquie d’Erdogan compte redorer son blason et réaffirmer son autorité.
Elle s’oppose d’abord aux États-Unis qui accueillent sur leur sol le prédicateur turc Fethullah Gülen qu’Erdogan accuse d’avoir fomenté le coup d’état. Face au refus de l’administration Trump de le livrer aux autorités turques, une escalade diplomatique s’en est suivie entre les deux États. Elle a contribué à la dévaluation de la lire turque en 2018, premier revers de la politique d’Erdogan.
La tension est également palpable avec l’Union européenne qui a ajourné ses négociations d’entrée, au vu de la « dégradation de l’État de Droit » en Turquie. L’UE a par ailleurs imposé des sanctions économiques pour avoir enfreint les eaux chypriotes. « Vous pouvez prendre cela à la légère, mais les portes [de l’Europe] seront ouvertes et les membres [de l’État Islamique] vous seront envoyés » a rétorqué un Erdogan hostile, qui retient des combattants de l’EI sur son territoire.
La position turque sur le dossier libyen illustre une fois encore cette opposition systématique aux puissances régionales. En soutenant vigoureusement le GNA, Erdogan s’oppose à la France, aux EAU et à la Russie pourtant alliés sur d’autres enjeux. Elle s’attire inévitablement les foudres de la communautés internationale, Emmanuel Macron ayant dénoncé « l’ingérence » turque en Libye (bien que la France soit elle-même impliquée). Néanmoins, le gouvernement turc fait fi de ces divers remontrances, qui constituent au contraire le moteur essentiel à son affirmation.
Par le déploiement de ses troupes en Libye, la Turquie entend donc défendre ses intérêts et s’imposer en Méditerranée. Profitant d’une puissance militaire conséquente, Ankara prend le contre-pied des autres puissances; elle souhaite prouver aux yeux du monde qu’elle est désormais une nation incontournable dans la région. Si cette politique ébranle les relations diplomatiques de la Turquie avec ses alliés, elle a le mérite de lui apporter un rayonnement politique conséquent sur la scène internationale.