Publié par CEMO Centre - Paris
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Derrière l’intervention turque en Libye, la convoitise du gaz en Méditerranée orientale

dimanche 05/juillet/2020 - 10:54
La Reference
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Pourquoi la Turquie se lance-t-elle dans un conflit qui s’éternise dans un pays qui ne lui est pas frontalier et dont les soubresauts dramatiques ne menacent en aucune manière ses intérêts nationaux ? La réponse est à chercher en mer

Réuni en séance exceptionnelle, jeudi 2 janvier, le Parlement d’Ankara a accepté la proposition du président turc Recep Tayyip Erdoğan d’envoyer des troupes et du matériel militaire en Libye – dont des drones Bayraktar TB2 de dernière génération – afin de prendre part au conflit qui oppose le Gouvernement d’entente nationale (GNA) dirigé par le Premier ministre Fayez al-Sarraj au maréchal auto-proclamé Khalifa Haftar à la tête de l’Armée nationale libyenne (LNA). Une armée hétéroclite soutenue par l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis et, selon le président turc, bénéficiant aussi de l’apport des mercenaires russes du groupe Wagner – ce que Moscou dément. 

Au prix de lourdes pertes, le GNA, réfugié dans Tripoli, résiste depuis huit mois aux assauts de la LNA. C’est lui qui a « invité » la Turquie à venir à son secours.

Préalablement, Erdoğan a fait le voyage à Tunis pour rencontrer le nouveau président Kais Saied, l’informer de sa décision de soutenir le GNA et, semble-t-il, pour préconiser l’instauration d’un cessez-le-feu et l’ouverture de négociations entre les belligérants.

Toute la question est de savoir ce qui motive la Turquie de se lancer dans un conflit qui s’éternise dans un pays qui ne lui est pas frontalier et dont les soubresauts dramatiques depuis l’intervention franco-britannique de 2011 ne menacent en aucune manière ses intérêts nationaux. La réponse est à chercher en mer.

Car si le sultan d’Ankara se lance dans une nouvelle aventure militaire, ce n’est pas d’abord pour satisfaire son tropisme néo-ottoman, ni, corollaire de cette inclinaison ultranationaliste, pour dissimuler les difficultés que rencontre son économie.

C’est principalement pour pouvoir étendre ses revendications territoriales en Méditerranée orientale et avoir accès au gaz qu’elle recèle. 

D’un commun accord, le 27 novembre, Sarraj et Erdoğan ont redessiné les frontières maritimes incluant des zones revendiquées par Chypre et la Grèce, prétextant que celles-ci avaient empiété sur le plateau continental libyen. Les blocs d’exploitation et de prospection chypriotes du gaz se situant au sud de la République de Chypre, c’est une façon pour la Turquie d’espérer accéder à une part d’un potentiel gâteau. 

En réponse, le Conseil européen a condamné Ankara, considérant que « le protocole d’accord entre la Turquie et la Libye sur la délimitation des juridictions maritimes en mer Méditerranée viole les droits souverains », notamment de la Grèce, et « est contraire au droit de la mer ». Le Conseil européen a réaffirmé « sa solidarité avec la Grèce et Chypre en ce qui concerne ces actions de la Turquie ». 

Un sous-sol riche en ressources

En fait, l’affaire remonte à 1974, année où la partie nord de Chypre a été occupée par les forces turques. Un territoire érigé en République turque de Chypre du Nord, non reconnu par la communauté internationale, à la différence de la partie grecque dénommée République de Chypre, membre de l’Union européenne depuis 2004. 

L’île est donc coupée en deux par la ligne Attila avec, au nord, une population en majorité turque ainsi que 30 000 soldats stationnés sur un tiers du pays et, au sud, une population à majorité grecque sur les deux autres tiers. 

La détermination d’Ankara à modifier la zone économique exclusive (ZEE) à son bénéfice tient à la richesse du sous-sol. Ces dernières années y ont été découverts d’importants gisements gaziers – rien que pour le gisement Calypso, on évoque plus de 6 milliards de mètres cubes de gaz, soit l’équivalent de dix années de la production russe. 

D’autre part, suite à des contrats passés avec l’Anglo-Néerlandais Shell, l’Américain Noble et l’Israélien Delek, les autorités de Nicosie attendent du champ gazier d’Aphrodite des recettes estimées à plus de 8 milliards d’euros sur dix-huit ans.

Chypre, dont les ressources sont limitées au tourisme et à la culture multimillénaire de cépages originaux, n’entend pas voir cette manne lui échapper. Pour multiplier les explorations et, à terme, l’exploitation de ce nouvel Eldorado, elle a aussi passé des accords avec l’Américain Exxon Mobil, le Français Total, l’Italien ENI.

L’Union européenne, souhaitant s’affranchir le plus possible des approvisionnements russes, ne peut que considérer avec intérêt ces hypothèses d’extraction et, en juillet, a pris des sanctions contre le trublion turc pour ses activités gazières au large de Chypre, diminuant de près de 146 millions d’euros les fonds européens dont il aurait pu bénéficier en 2020.

Une militarisation croissante 

Pour sa part, se portant aux côtés de la République de Chypre dans ses différends territoriaux et énergétiques avec la Turquie, le Congrès américain a levé un embargo datant de 1987 sur la vente d’armes à Nicosie et a condamné Ankara pour ses propres activités de forage au large de l’île, ajoutant ainsi un nouveau différend à ceux qui entachent déjà les relations turco-américaines – controverse sur le rôle des Kurdes de Syrie, achat des S-400 à la Russie en attendant peut-être des avions Soukhoï Su-35 et Su-57, menaces d’Erdoğan de fermer les bases de l’OTAN à İncirlik et Kürecik, utilisées plus particulièrement par les forces américaines, etc.

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