Publié par CEMO Centre - Paris
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La Turquie en Libye : le rêve néo-ottoman d’Erdogan

vendredi 26/juin/2020 - 09:21
La Reference
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Quelle mouche a donc piqué l’incontrôlable président turc islamiste Recep Tayyib Erdogan pour s’embourber encore plus en Libye, alors qu’elle a à son actif plusieurs interventions ? Son armée occupe déjà depuis 1974 une partie de Chypre (état membre de l’Union européenne) ; elle est engagée depuis 1984 dans une guérilla sans fin contre ses irrédentistes kurdes dans l’Est anatolien ; elle est présente illégalement dans le Nord de l’Irak où elle a installé plusieurs bases d’appui pour pourchasser, dit-elle, les dirigeants du PKK retranchés depuis des décennies dans la région montagneuse imprenable de Qandil à partir de laquelle ils dirigeraient la guérilla à l’intérieur de la Turquie et dans le Nord syrien ; elle occupe depuis 2011 une vaste partie du territoire syrien dans la région d’Idlib, d’Alep et la région frontalière Nord-Est.

Certes, l’ingérence turque en Libye ne date pas d’aujourd’hui. Faut-il rappeler le jeu perfide joué par Erdogan, en 2011, quand il s’est retourné brusquement contre son ancien « ami » Mouammar Kadhafi, pour apporter son soutien aux milices islamistes de Misrata, de Benghazi et de Tripoli. Cela en étroite coordination avec le Qatar, sponsor des Frères musulmans et des mal nommés Printemps arabes en Tunisie, en Égypte, en Syrie, au Yémen et même en Occident.

En courant au secours de Faïez El Sarraj, le chef du gouvernement dit d’Union nationale, à la légitimité contestée, puisqu’il est l’otage des milices terroristes de Misrata et de Tripoli, et que le territoire qu’il contrôle se réduit jour après jour comme peau de chagrin, Erdogan s’arroge le droit de s’immiscer dans une guerre civile qui oppose plusieurs factions rivales depuis l’éclatement de ce pays à la suite de la calamiteuse intervention militaire de l’Otan en 2011. En signant, le 27 novembre dernier, un accord maritime contesté avec ce même Faïez Sarraj, qui donne à la Turquie l’accès à des zones économiques riches en hydrocarbures revendiquées par la Grèce et par Chypre, Erdogan a pris le risque de mettre de l’huile sur le feu et même de provoquer une guerre régionale aux conséquences encore plus désastreuses que celles de 2011.

A peine cet accord économique illégal passé, qui a fait l’unanimité contre lui, y compris en Libye même où des voix s’élèvent pour dénoncer ce bradage des richesses du pays, un autre arrangement, militaire celui-ci, a été annoncé permettant à la Turquie d’intervenir, en fragrante violation des résolutions du Conseil de sécurité de l’Onu. Si le flou continue à entourer les modalités de cette aide militaire et logistique annoncée, force est de constater que les ingérences turques dans ce pays n’ont pas cessé depuis 2011. A l’époque la Turquie, avec la complicité de l’Otan et du Qatar, en particulier, avait utilisé certains ports libyens, particulièrement Misrata, pour acheminer des armes et des combattants islamistes vers la Syrie via les ports turcs et même le Liban. Ce trafic avait été révélé au grand jour avec l’arraisonnement par la marine libanaise – aidée par la Finul – des deux navires Lutfallah II et MV Grande Siciliaen en avril 2012 avec, à leur bord, plusieurs containers d’armes destinées à la rébellion syrienne. Leur chargement était composé, selon l’armée libanaise « de mitrailleuses lourdes, d’obus, de roquettes, de lance-roquettes et d’explosifs ». Les commanditaires de ce trafic étaient qataris et turcs, avec la complicité de certains agents libanais.

Le scénario syrien : on prend les mêmes et on recommence !

Les rebelles syriens – qu’il vaut mieux qualifier de mercenaires au service de la Turquie et du Qatar – sont aujourd’hui « invités » à renvoyer l’ascenseur à leurs bienfaiteurs. Selon plusieurs sources, au sein de cette rébellion, mais aussi des médias occidentaux qui avaient toujours soutenu l’opposition syrienne qualifiée de « modérée » et les Frères musulmans, près de 500 combattants syriens islamistes ont d’ores et déjà été envoyés en Libye pour se battre contre l’Armée nationale libyenne commandée par le maréchal Khalifa Haftar. Ils seraient payés 1800 dollars par mois. Ces combattants proviennent de l’Armée syrienne libre (ou ce qui en reste), comme la Brigade des faucons du Levant (Liwa Suqour al-Cham), la Légion du Levant (Faylaq al-Cham), ou la Division Sultan Mourad…Toutes ces brigades sont inféodées idéologiquement et organisationnellement aux Frères musulmans et portées à bout de bras par Ankara. Mais le recrutement et l’envoi de ces mercenaires en Libye pour servir de chair à canon n’ont pas été du goût de tous. Certains d’entre eux ont préféré déserter alors que des scissions ont commencé à apparaître au sein de ces organisations. Ils se sentent trahis par leur mentor turc qui, sous prétexte d’aider leur « révolution », a transformé leur pays en ruines.

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