Les organisations terroristes et le recrutement liquide
Hamed al-Moussallami
La défaite de Daech et l’effondrement de l’Etat islamique
ont contribué d’une part à la dislocation de l’organisation et à la recherche
d’une patrie alternative, en particulier dans les pays sécuritairement
instables, comme la Libye, la Somalie et l’Afghanistan, et d’autre part, à la
montée d’al-Qaïda et à la tentative de récupérer les membres de Daech.
L’étude portera sur la capacité d’al-Qaïda à recruter les
factions religieuses « liquides » (selon l’expression du philosophe
polonais Zygmunt Bauman), en particulier l’organisation terroriste Daech, à la
lumière des défis régionaux et internationaux. En effet, ces factions
« liquides » sont en général la cible d’un enrôlement de la part des
organisations fortes.
L’organisation al-Qaïda cherche ainsi à attirer les
éléments de Daech, et selon des sources sécuritaires algériennes, les
combattants d’al-Qaïda en Algérie sont parvenus à convaincre dix combattants de
Daech de prêter allégeance à al-Qaïda après avoir eu des entretiens avec des
prêcheurs extrémistes de cette organisation en août 2017. Cela s’est répété en
Syrie en septembre de la même année, et un site yéménite dépendant d’al-Qaïda
s’est flatté de ce qu’il a considéré comme « le repentir de nombreux
combattants de Daech ayant refusé la conception religieuse et le comportement
incorrect de ses chefs et décidé de rejoindre al-Qaïda ». Ce fut également
le cas au Nigéria, au Mali et en Somalie, où al-Qaïda a entrepris d’attirer les
derniers éléments de Daech.
En fait, la raison de la montée d’al-Qaïda et de son
retour à la tête des organisations djihadistes dans le monde, au détriment de
Daech, réside essentiellement dans sa structure et sa méthode de travail sur le
terrain :
1) Al-Qaïda
travaille « en grappes » selon le principe de l’allégeance prêtée à
l’organisation locale dans une région déterminée, en laissant celle-ci
travailler de façon décentralisée, en fonction des conditions de temps et de
lieu.
2) Daech,
au contraire, travaille de façon centralisée, d’une part en s’appuyant sur la
création d’un « wilaya » dans une zone déterminée et en y appliquant
la charia selon sa conception extrémiste, et d’autre part, par une
planification centralisée de toutes les opérations importantes exécutées par
ses branches partout dans le monde.
3) Etant
donné les actions nationales et internationales pour liquider toute
organisation cherchant à imposer un modèle théocratique à l’Etat, Daech n’a
aucun avenir sur le terrain, et cela a conduit à la montée d’al-Qaïda qui a
compris qu’elle pouvait retrouver un rôle de leader dans l’action djihadiste en
recrutant les éléments de Daech.
4) Bien que
Daech ait largement recouru aux « loups solitaires », ce phénomène
devrait se répandre aussi dans le cas d’al-Qaïda comme conséquence d’un
éventuel changement de tactique dans la méthode de travail de cette
organisation si elle parvient à absorber les éléments de Daech.
Finalement, il n’est pas possible de parler de l’avenir des organisations
terroristes « solides » et « liquides » sans aborder les
négociations secrètes entre les Talibans et le gouvernement afghan. Plusieurs
scénarios sont alors envisageables :
1) C’est
celui de la réussite de ces négociations sous parrainage américain. Dans ce
cas, les Talibans devront se débarrasser totalement d’al-Qaïda, ce qu’ils ont
jusqu’alors refusé. Une telle réussite aurait des conséquences sur toutes les
organisations djihadistes en Asie centrale et dans le monde et leur méthode de
travail, avec la possibilité d’une guerre ouverte entre les gouvernements
nationaux et les organisations terroristes, et une augmentation des opérations
des « loups solitaires ».
2) C’est
celui de l’échec des négociations, auquel cas la situation d’al-Qaïda ne
changera pas beaucoup, et elle restera dans son bastion dans l’aire
géographique contrôlée par les Talibans.
D’autre part, avec les défaites successives de Daech, et la récupération
par al-Qaïda de ses derniers éléments, cette dernière pourrait rassembler les
autres organisations terroristes sous son étendard, avec une recrudescence de
ses attaques, en particulier contre les intérêts américains. C’est pourquoi les
Américains, ayant compris cela, sont les premiers à soutenir les initiatives du
gouvernement afghan pour régler la crise afghane avec les Talibans.
3) C’est le
cas où Daech serait capable de retrouver sa capacité numérique et logistique,
après avoir quitté ses bastions en Syrie et en Irak pour des pays instables
comme la Libye, la Somalie, l’Afghanistan ou le Yémen. Avec l’éventualité du
retour de l’Etat religieux despotique.
C’est cependant le premier scénario qui est le plus
probable à court ou moyen terme, étant donné la montée de l’extrême-droite en
Europe et la volonté américaine actuelle de liquider les organisations
terroristes et de se désengager militairement de certains pays les plus touchés
par le terrorisme.