Du sud des Etats-Unis à la France, des statues déboulonnées pour une histoire partagée
Les statues meurent aussi. Du sud des Etats-Unis à la France en passant par le Royaume-Uni,
la déferlante iconoclaste déclenchée par le meurtre de George Floyd donne une
actualité inattendue au titre du fascinant documentaire anticolonialiste tourné
en 1953 par Alain Resnais et Chris Marker. Dans le sillage d’un mouvement inédit de mondialisation
de l’antiracisme, les monuments honorant des figures de la traite négrière ou
de ses défenseurs, pour lesquels les « vies noires » ne comptaient
pas, sont soudain ciblés comme autant de symboles inadmissibles et d’obstacles
au vivre-ensemble.
Réalisé à l’aube des décolonisations, le
court-métrage de Resnais et Marker dénonçait la récupération de l’« art
nègre » par le colonisateur blanc. Prémonitoire, il expliquait en quoi le
regard porté sur les statues africaines dépend de la culture et de l’histoire
de ceux qui les contemplent. Les temps ont changé et les statues, dont les
manifestants réclament la « mort » aujourd’hui, représentent non pas
une culture dominée, mais l’histoire même des dominants. Ceux qui en exigent la
disparition ne sont pas des colonisés, mais des citoyens de pays démocratiques
de toutes origines, qui se sentent injuriés par ces monuments, au regard de
leur histoire et au nom de leur exigence d’égalité.
Qu’il s’agisse du général Robert Lee dont
le monument va être démonté à Richmond (Virginie), d’Edward Colston, négrier
dont la statue a été abattue, dimanche 7 juin par les manifestants à
Bristol (Angleterre), ou de la campagne, en France, pour retirer celle de
Colbert qui trône devant l’Assemblée nationale à Paris, les personnalités
visées sont autant de figures d’une histoire glorieuse devenue honteuse. Les
enjeux sont communs : faire cesser la souffrance engendrée par des
hommages blessants, permettre l’appropriation par les descendants des victimes
d’une histoire complexe jusque-là écrite par les vainqueurs, faciliter
l’émergence d’un récit partagé, acceptable par tous.