La Libye sous tutelle turco-russe
Pendant que les Américains regardaient ailleurs et que
les Européens essayaient de se mettre d’accord, la Russie et la Turquie se sont
partagé la Libye. C’est, à peine simplifié, ce qui vient de se passer dans ce
pays méditerranéen crucial pour la sécurité de l’Europe, qui se retrouve soumis
à une partition de facto : à l’ouest, la Tripolitaine, où les forces
mobilisées par le président turc Erdogan ont permis au gouvernement d’accord
national (GAN) de Faïez Sarraj de repousser l’offensive du maréchal Khalifa
Haftar et de reprendre le contrôle de la région, et, à l’est, la Cyrénaïque,
sur laquelle règne le maréchal rebelle, replié sur Benghazi après l’échec de
son assaut sur Tripoli. Soutenu par l’Egypte et les Emirats arabes unis, il
bénéficie, lui, de l’appui militaire de la Russie.
La chute, le 5 juin, du dernier
bastion du maréchal Haftar en Tripolitaine a marqué la fin de son offensive
lancée le 4 avril 2019 pour tenter de s’imposer à la tête du pays. Il
s’en est fallu de peu qu’il y parvienne, à la tête de ses troupes
autoproclamées Armée nationale libyenne (ANL), avec l’aide précieuse des
mercenaires russes, membres du fameux groupe Wagner, dont le nombre a pu
dépasser le millier. Mais Faïez Sarraj s’est trouvé un allié plus puissant
encore, Recep Tayyip Erdogan, auquel il a encore rendu visite à Ankara le
4 juin. C’est à la Turquie, à ses drones et aux quelque 7 000 hommes
de milices syriennes qu’elle a fait venir d’Idlib que le GAN doit son salut.
Voici donc la Libye, comme la Syrie, sous
tutelle turco-russe. Ce tournant dans l’histoire de ce pays, ravagé par les
luttes entre milices locales et groupes islamistes depuis la révolution qui a
renversé le colonel Kadhafi en 2011, est une mauvaise nouvelle pour
l’Union européenne. Elle l’est notamment pour la France, qui s’est montrée
bienveillante à l’égard du maréchal Haftar, dans lequel elle voyait le meilleur
rempart contre le terrorisme islamiste, mais dont elle a sous-estimé la
stratégie de conquête. Paris regarde aujourd’hui avec inquiétude la Turquie
prendre pied durablement en Libye, une évolution qui, reconnaît-on à l’Elysée,
change la donne en créant une pression stratégique et politique sur l’Europe.