Publié par CEMO Centre - Paris
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Pourquoi Daech inquiète le Qatar

mercredi 03/juin/2020 - 07:33
La Reference
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L'enregistrement dure trente-neuf minutes. Dans ce document audio publié sur les chaînes Telegram du groupe État islamique (EI), Abou Hamza al-Qourachi, le porte-parole de l'organisation, se livre sans surprise à une attaque en règle contre les membres de la coalition internationale antidjihadiste, qui a mis fin l'an dernier à l'éphémère « califat » autoproclamé de l'EI en Syrie et en Irak. Qualifiant la pandémie de coronavirus de « châtiment divin », le porte-parole de Daech appelle les combattants djihadistes à intensifier leurs attaques alors que l'organisation profite du vide sécuritaire pour ressurgir en Irak et en Syrie.

Or, pour la première fois, son organisation vise spécifiquement l'État du Qatar. « Pas un jour nous n'avons oublié que la base Al-Oudeid, construite par les tyrans du Qatar pour accueillir l'armée américaine, était et reste toujours le commandement de la campagne menée par les croisés », pointe Abou Hamza al-Qourachi en référence à la plus grande base aérienne des États-Unis au Moyen-Orient, abritant 11 000 soldats américains, britanniques et qatariens près de Doha, et qui a grandement contribué à la campagne de bombardements aériens de la coalition en Irak et en Syrie. 

« Sans précédent »                                            

« Cet enregistrement est sans précédent, car c'est la première fois que le Qatar est ainsi spécifiquement dépeint comme un pays apostat, alors que d'autres États du Golfe, comme l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, sont épargnés », souligne Andreas Krieg, professeur assistant au King's College à Londres. « D'habitude, la région du Golfe est mise en cause par l'EI comme un bloc, avec une attention particulière portée à l'Arabie saoudite. »

Cette fois, Abou Hamza al-Qourachi accuse directement Doha d'avoir « financé » des factions rebelles contre les djihadistes en Irak, à la fin des années 2000, ainsi qu'en Syrie, depuis le début de la guerre civile en 2011. « En Irak, le Qatar a en effet soutenu, au même titre que les autres pays du Golfe, les efforts américains visant à amener les tribus sunnites à combattre Al-Qaïda », rappelle Andreas Krieg. « En Syrie, Doha a financé, au même titre que l'Arabie saoudite, un certain nombre de groupes rebelles pour lutter contre Bachar el-Assad, qui ont également combattu par la suite Daech », ajoute de son côté l'analyste indépendant Sam Heller, conseiller à l'International Crisis Group. « La différence est que les réseaux de soutien étaient différents selon le pays et que les rebelles aidés par Doha étaient davantage de tendance islamiste. »

Financement des groupes islamistes

Officiellement, les deux pays ont soutenu des groupes rebelles modérés par le biais d'un programme d'aide lancé par la CIA en 2013 et achevé en 2017. Toutefois, le Qatar n'a jamais fait mystère de ses liens avec des factions islamistes syriennes plus ou moins inspirées par l'idéologie des Frères musulmans, qu'elle soutient. Parmi celles-ci figurait notamment le groupe salafiste Ahrar al-Sham, actif à Alep et à Idleb jusqu'en 2018. « Doha a soutenu ceux que l'EI considérait comme ses pires ennemis parmi les rebelles : suffisamment doctrinaires pour être crédibles parmi les islamistes et suffisamment flexibles pour être considérés comme des traîtres par les purs et durs », explique Thomas Pierret, chargé de recherches CNRS-Iremam à Aix-en-Provence.

S'il s'en défend, le Qatar entretient également des liens avec les djihadistes de Hayat Tahrir al-Sham (anciennement Jabhat al-Nusra, l'ex-branche syrienne d'Al-Qaïda, NDLR) au pouvoir dans la province d'Idleb, qui sont entrés en 2013 en guerre ouverte contre l'EI après leur scission du groupe. Ces contacts lui ont notamment permis d'obtenir des libérations d'otages aux mains des djihadistes. « Doha a encouragé, sans doute moyennant financement, la mue pragmatique de Jabhat al-Nusra et sa transformation en Hayat Tahrir al-Sham », estime le chercheur Thomas Pierret.

Soutien aux Frères musulmans

Quant à l'Arabie saoudite, son activisme en Syrie s'est davantage porté sur les factions liées à l'« Armée syrienne libre », branche « modérée » de la rébellion, ainsi qu'à certains groupes salafistes comme Jaish al-Islam, longtemps présent dans la Ghouta orientale, dans la banlieue de Damas, reprise par l'armée syrienne en mai 2018. « Riyad a dû s'ajuster un peu aux réalités du terrain, mais n'a soutenu qu'un petit nombre de groupes islamistes parmi les plus pragmatiques vis-à-vis de l'ordre politique régional, qui est la préoccupation principale de l'Arabie saoudite », souligne Thomas Pierret.

 


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