Publié par CEMO Centre - Paris
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Le non-dit dans la pensée soufie : Le djihad, la politique et la position vis-à-vis du gouvernant

mercredi 26/septembre/2018 - 11:36
La Reference
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Par: Mohammad Al-Dabouli

 

Il prévaut actuellement une tendance intellectuelle dont la plupart des études et des recherches se focalisent sur l’Islamisme politique qui pense que le Soufisme est l'alternative sûre aux courants extrémistes islamistes, qui ont fait payer de lourdes factures à de nombreux pays du monde islamique. Et ce, à cause de leurs appels à remplacer l'État Nation par le système du califat.

 Au milieu de la guerre contre le terrorisme menée par les Etats-Unis après les événements du 11 Septembre 2001, la RAND Corporation pour la Recherche et le Développement, proche du renseignement américain a publié un rapport en 2007 intitulé : « Construire des réseaux de modération islamique » dans lequel il soulève les défis à relever par l'islam radical, et les moyens de les démanteler.

Ledit document discute de la façon de démanteler l’actuel islamisme radical, et de trouver des solutions alternatives appropriées au Monde musulman. Le document porte son choix particulièrement sur les musulmans laïques et libéraux, après lesquels sont cités les ordres soufis, qui représentent – selon le rapport en question  – l’islam traditionnel modéré.

Le document fonde ses hypothèses sur le fait que le soufisme soit une alternative à l'idéologie de l'extrémisme représenté par le salafisme djihadiste. Et ce, en s’adossant à de nombreuses considérations, notamment le cas de l'oppression intellectuelle et matérielle qu’ont fait subir les extrémistes salafistes aux ordres soufis en les considérant comme des innovateurs.

La RAND Corporation ajoute également d'autres considérations, notamment le fait que l'alternative soufie à des groupes radicaux peut, à titre d’exemple, avoir la compatibilité occidentale avec les ordres et mouvements soufis. L'expérience politique soufie en Turquie exprimée par Fethullah Gülen confirme la possibilité que le Soufisme puisse guider une réconciliation historique avec le christianisme et le judaïsme.

La publication américaine ne nie cependant pas le soutien de certains mouvements soufis aux groupes radicaux, citant l'exemple du mouvement des Ahbaches et des Frères musulmans en Egypte et en Syrie. Elle classe donc les deux groupes comme des entités modérées et révolutionnaires.

Les chercheurs et les analystes sont unanimes sur le fait que le soufisme musulman jouit des orientations politiques tolérantes et distantes des idées centrées autour de la pensée des groupes islamistes radicaux d’aujourd'hui tels que le djihad et l'application de la loi islamique, etc.

Ces hypothèses ont été largement critiquées, même par les leaders du soufisme eux-mêmes, en faisant valoir que les concepts tels que le djihad et l'application de la charia ne sont pas absents de la pensée soufie depuis sa naissance jusqu’à aujourd'hui.

Le mystère surplombe le conceptuel du djihad et de l’application de la charia dans la pensée soufie. Cela joua un rôle majeur dans l'émergence de certaines analyses qui suggèrent la possibilité que le soufisme joue un rôle alternatif sûr aux mouvements des extrémistes islamistes.  C’est la raison pour laquelle l’étude se focalise sur une question composite, dont la première est de savoir le degré de corrélation entre les concepts soufis du djihad et l'application de la loi islamique, d’une part. Et d’autre part, est-il possible que les ordres soufis adoptent la violence politique afin de mettre en application leurs objectifs ?

 

I.                  Le djihad dans la pensée soufie

Les ordres soufis subirent d’acerbes critiques salafistes pour leur abrogation du djihad, leur loyauté aux dirigeants et leur insouciance des problèmes quotidiens des musulmans. Critique qui n’était pas du tout du goût de certaines icônes du soufisme, à l’instar de l’ancien Cheikh d’Al-Azhar Abdel Halim Mahmoud qui a publié une panoplie de livres sur le soufisme islamique, la vision de celui-ci par rapport au djihad. Le cheikh y mit en exergue  les initiatives djihadistes des ordres soufis à travers les siècles, où il a cité les prouesses de certaines icônes de la mouvance soufie en l’occurrence Chafiq Al Bakhly, Hatem Al Assam, Ibrahim Al Adham et consorts.

Hatem Al Assam par exemple est l'un des théoriciens soufis les plus éminents qui soutinrent le concept de djihad par une approche globale ne se limitant pas seulement à la confrontation de l'ennemi. Il va bien au-delà en lui donnant les dimensions psychologiques et comportementales, divisées en trois types principaux, à savoir:

1.     Le djihad secret (le plus grand djihad): Le djihad le plus éminent chez les soufis est le djihad de l'âme luttant contre le diable, dans le but d’annihiler celui-ci et l'éliminer afin de permettre à l’âme d'atteindre la pureté pour appliquer la loi de Dieu.

2.     Le djihad manifeste : Selon Al-Assam, le djihad manifeste est représenté dans l'exécution des ordonnances islamiques telles que le prescrit Dieu. Il convient de noter ici que le concept de djihad manifeste chez Al Assam est similaire aux appels à l'application de la loi islamique prônés de nos jours par les groupes islamistes.

3.     Le djihad pour soutenir l'Islam: Il s’agit ici du troisième et dernier type de djihad selon le soufisme qui consiste à défendre la religion contre ses ennemis et à soutenir la victoire de l'Islam. En revanche, il est important de souligner ici le concept: « les ennemis de la religion » chez Al Assam, qui diffère dans la forme et le contenu du concept chez les groupes islamistes contemporains. En effet, Al Assam vécut les grandes périodes des conquêtes islamiques à l'époque abbasside, dont le contexte général correspondait au besoin de sa fatwa. Cependant, nous constatons que les groupes islamistes contemporains ont une conception confuse au sujet des "ennemis de la religion", puisque pour eux les systèmes politiques dans les sociétés musulmanes sont les premiers ennemis de la religion islamique, et doivent donc à ce titre être bannis.

Conférer au djihad le caractère légal chez les soufis

La plupart des ordres soufis identifient le djihad comme l'une des lois fondamentales de l'islam selon la pensée soufie. A titre d’exemple, le jurisconsulte et érudit des hadiths prophétiques, Soufiyan Al-Thawry, a relaté beaucoup de hadiths qui exhortent au djihad pour l'amour de Dieu.

Quant aux outils de djihad chez les soufis, nous constatons que le connaisseur de Dieu Abû Yazîd Al-Bastâmî définit le djihad comme ayant divers moyens d’expression tels que le cœur, la langue, dépenser de l'argent et, enfin, le sacrifice de soi.

Le patrimoine soufi en matière de djihad est très riche. La plupart des cheikhs soufis ont encouragé le djihad, à l’instar de Chams al-Din Dayrouti qui a critiqué et averti le Sultan Ghouri pour n’avoir pas utilisé le djihad afin de renforcer son armée pour faire face aux attaques ennemies.

Le djihad est-il un acte de terrorisme dans le soufisme ?

Après l’examen rapide de l'importance du djihad dans la pensée soufie, est-ce possible que celui-ci soit une raison de la violence chez les soufis pour perpétrer des actes terroristes tels qu’ils sont pratiqués par les groupes islamistes?

Bien entendu, il n'est pas possible d’avoir une réponse concluante à cette question. En revanche, l'expérience soufie dans le jihad est bien différente de l'expérience de l'islamisme politique de l’heure. Et cela se vérifie dans les points suivants:

-         La différence de conception djihadiste des deux courants (islamiste et soufie). Le djihad selon le courant islamiste a une relation étroite avec la gouvernance directe de Dieu sur les affaires humaines. Ce qui n’est pas le cas dans la pensée soufie. Car celle-ci le bifurque dans de nombreuses formes telles que le djihad psychologique, de résistance, de tempérance dans le monde, etc.  

-         La différence de contexte politique: Le contexte politique de l'émergence du concept de djihad chez les Soufis est différent du reste des courants islamistes. En effet, le djihad soufi grandit soit à la lumière des conquêtes islamiques, ou pour faire face à des croisades ou à la colonisation.  Le concept de djihad soufi est proche du concept de lutte nationale. Tandis que le contexte politique dans lequel naquit le concept de djihad chez les groupes islamistes est bien différent. Cela étant lié au phénomène de lutte pour le pouvoir pratiqué par des groupes islamistes, depuis les années 1970. Ce qui fait que le djihad chez les islamistes est instrumentalisé à des fins purement politiques.

 

II.               L'action politique dans le soufisme

Cette partie s'articule autour de la question suivante: le soufisme s’abstient-il vraiment de l'exercice de l'action politique, comme certains le prétendent?

En sondant les ordres soufis, il nous est évident qu'ils ont exercé la politique d'une manière ou d'une autre, même s’ils sont restés à l’écart des images stéréotypées à ce sujet. Leur réticence au pouvoir et à la gouvernance oblige.

Le processus de politisation du soufisme a pris de nombreuses formes, notamment par l'adoption du rôle de mentor et la critique du sultan. Les dirigeants soufis jouaient le rôle de « ahl al-Hall wa'l-Aqd » (les personnes qualifiées pour élire ou déposer un calife au nom de la communauté musulmane) ainsi que le rôle de révolutionnaire qui critique la situation générale. C’est le rôle de premier plan qu’a joué Sufiyan At-Thawry à l’ère des deux califes abbassides : Al-Mansour et Abou Abdallah Al-Mahdi. Ce qui lui causa d’être menacé de mort pour avoir refusé la proposition du poste de juge sous lesdits monarques, qui le menacèrent de mort pour son refus.

La révolution dans la pensée soufie

La participation symbolique des ordres soufis aux événements du 25 janvier 2011 a laissé prévaloir l’éventualité de leur rejet de l’action politique contrairement aux Frères musulmans, surtout qu’ils étaient pro-Moubarak.

Le Dr Ammar Ali Hassan estime que la non implication des ordres soufis dans la révolution égyptienne a probablement deux facteurs principaux : le contrôle par le gouvernement des ordres soufis en intervenant dans la nomination et la sélection des dirigeants soufis d’une part, et d’autre part l’obsession qu’avaient alors les soufis pour la montée du mouvement salafiste-frériste.

C’est d’ailleurs cette obsession anti-ikhwaniste qui les a conduits à participer massivement à la révolution du 30 juin 2013 qui a déchu les Frères musulmans du pouvoir en Egypte.

Sans tenir compte de la position des ordres soufis vis-à-vis des récents événements politiques en Egypte, il convient de noter que le soufisme égyptien particulièrement a un héritage révolutionnaire qui a façonné un symbolisme historique transmis à travers les générations. Entre autres, l'histoire du soufi Ibrahim Dessouki et d’Achraf Khalil bin Qalawoun (689-693 H.) qui représente un symbolisme révolutionnaire important dans la pensée soufie.

Eu égard à ce qui précède, l’on se rend compte que la pensée révolutionnaire chez les Soufis n'a pas donné lieu à la violence ou au terrorisme. Dans la littérature des révolutions, l'histoire de l'Egypte, par exemple, ne mentionne aucun événement révolutionnaire violent commis par les soufis.

La notion d'autrui dans la pensée mystique

La notion d'autrui dans les idéologies politiques et religieuses a toujours été l’émetteur de la violence, du terrorisme et de l'extrémisme. L’autre est donc l'ennemi qui doit être éliminé. Chez les extrémistes, l’autre est l’infidèle dont le sang et l’argent et la dignité ne jouissent d’aucun droit.

Les soufis n'ont pas réussi à façonner une position intacte contre leurs contrevenants. En effet, on les voit volatiles envers les Chiites, selon les circonstances. Parfois ils soutiennent la violence contre ces derniers, et des fois ils prônent un rapprochement sectaire entre les soufis et les chiites.

Tandis les salafistes croient que le soufisme est une innovation égarée. Tout comme les soufis n’hésitent pas à expier les salafistes en les assimilant aux Kharijites et qualifient les cheikhs salafistes d’égarés tels qu’Ibn Taymiyya et Muhammad ibn Abdel Wahhab.

En résumé, il convient de noter que la pensée soufie a toujours eu des racines historiques liées à la politique et au djihad et n’a pas toujours réfuté le pouvoir. C'est pourquoi  il faudrait procéder à des recherches profondes pour élucider les termes soufis, et s’éloigner un peu des convictions dominantes.

Les ordres soufis sont ensuite entrés en latence politique, ce qui a détourné les convictions actuelles selon lesquelles ils s’éloignent non seulement de la gouvernance et la politique mais aussi du djihad. Par rapport à la question de la violence et du terrorisme, les soufis ne l’ont pas abordée de manière profonde bien qu’il y ait des appels à la non-violence.

 

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