Pourquoi Erdogan veut occuper la Libye
La guerre civile qui
déchire le pays devient celle du président turc. Son soutien militaire décisif
aux troupes de Tripoli contre celles du maréchal Haftar est l'alibi d'une
conquête stratégique, idéologique et économique.
Dans
la nuit d'Al-Watiya, aéroport militaire libyen situé à 27 km de la frontière
tunisienne, ce fut une vraie déroute. Les troupes du maréchal Haftar laissèrent
dans leur fuite, le 18 mai, un chaos de véhicules carbonisés et une batterie
russe de défense antiaérienne. A l'aube, surgirent les combattants du
Gouvernement d'union nationale, ce GNA reconnu par l'ONU mais que l'on donnait
perdant voici à peine trois mois face à l'offensive de Haftar, épaulé par la
Russie et les Emirats arabes unis. Al-Watiya, cette position clé, base arrière
du maréchal depuis 2014, était entre leurs mains. Des officiers de
renseignement turcs les accompagnaient. Les vainqueurs, c'étaient eux. Sans les
drones d'Ankara, jamais les hommes du GNA n'auraient reconquis Al-Watiya.
Quelques heures plus tard, Haftar lâchait du lest en reculant de quelques
kilomètres aux portes de Tripoli, assiégé depuis un an. Un tournant dans la
guerre. En témoignage de reconnaissance, Fayez al-Sarraj, Premier ministre du GNA,
pourrait céder Al-Watiya aux Turcs comme base permanente. L'équipée libyenne de
Recep Tayyip Erdogan rassemble tous les ingrédients avec lesquels le satrape a
construit son règne. D'abord, le fantasme de la revanche historique : la Libye
fut une ancestrale possession ottomane. Ensuite, la logique islamiste :
l'idéologie des Frères musulmans, que protège Sarraj, à renforcer ou à
réimplanter. A cela s'ajoute la razzia énergétique : le sous-sol libyen recèle
les plus importantes réserves de pétrole d'Afrique, et le contrôle des côtes
donne accès à un couloir vers les gisements de gaz des fonds...