Polémique autour de la neutralité tunisienne sur la crise libyenne : La communication de trop entre Ghannouchi et Al Sarraj ?
La question des alliances internationales, pro-Frères
musulmans, d’Ennahdha et de son leader, Rached Ghannouchi, défraie, encore une
fois, la chronique. Le leader d’Ennahdha a téléphoné à Fayez Al Sarraj, suite à
la reprise par ses forces de la base aérienne d’El Watiya, dans l’Ouest libyen.
Cela pose un véritable problème à la
neutralité de la diplomatie tunisienne sur la question libyenne. Les médias
s’emballent et la polémique bat son plein.
Rached Ghannouchi ne veut pas faire de
différence entre sa casquette de président de l’Assemblée des représentants du
peuple (ARP), en Tunisie, et celle de leader de son mouvement islamiste,
Ennahdha.
Or, cela lui crée de véritables problèmes.
Ainsi, il traite avec Khaled Mechri, le président du Conseil de l’Etat en
Libye, une instance ne constituant pas l’équivalent constitutionnel de l’ARP,
mais Ghannouchi la préfère à l’Assemblée des députés, désignée par l’accord de
Sekhirat, pour une question d’allégeance politique.
Double casquette
Khaled Mechri étant un frère musulman de pure
souche. Ghannouchi joue à fond les intérêts de l’axe Istanbul-Doha sur le
dossier libyen, ce qui n’est pas le cas du président Kaïs Saïed. Ce dernier est
beaucoup plus neutre en matière d’alliances internationales.
Il jongle entre ses remerciements à l’émir du
Qatar, Tamim, pour son envoi d’un hôpital mobile de campagne, et ses promesses
à l’émir Mohamed Ben Zayed, de renforcer le partenariat tuniso-émirati. Cette
bipolarisation pose problème à la tête de l’Etat en Tunisie.
La Constitution tunisienne n’est certes pas
muette sur les attributions de chacun des présidents, celui de la République,
de l’ARP et du chef du gouvernement. La diplomatie est un domaine partagé entre
la présidence de la République et le ministère des Affaires étrangères.
Mais Ghannouchi fait semblant d’ignorer ces
détails et classe ses communications téléphoniques comme étant personnelles,
feignant d’oublier qu’il est le président de l’ARP. Au fait, il est en train
d’exploiter l’absence d’une véritable opposition, au sein de l’Assemblée,
pouvant lui contester sa présidence. Seul le Parti destourien libre (PDL) de
Abir Moussi s’affirme, tout le temps, anti-Ennahdha.
Les autres sont plutôt occupés par les soucis de gouvernance, au sein d’une
alliance comprenant Ennahdha. Par ailleurs, le président de la République, Kaïs
Saïed, et le chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, souffrent du fait de ne pas
disposer d’assise parlementaire.
Asymptomatique
Cette situation politique asymptomatique, née
de l’absence de majorité claire au sein de l’Assemblée, pose un problème
d’identité à la Tunisie. Fakhfakh est loin d’être un islamiste, bien qu’il soit
porté par une majorité, dont Ennahdha est le plus important parti.
Le programme politique de Fakhfakh, candidat
à la présidence de la République, condamne l’exigence d’un contrat de mariage à
un couple d’adultes voulant séjourner ensemble dans un hôtel, ou, encore, le
test anal, pour valider les pratiques homosexuelles.
Le président Saïed ne gravite pas, non plus,
dans le giron des Frères musulmans. Loin de là ! Ses dernières sorties
montrent clairement son penchant anti-Ennahdha. «Vous avez dépassé vos
prérogatives depuis que les nominations des directions générales de la sûreté,
relevant du ministère de l’Intérieur, se décident depuis votre palais», signale
le député islamiste Saïd Ferjani à l’adresse du président de la République. C’est dire
la tension existante entre les deux bords.
Par ailleurs, la centrale syndicale ouvrière,
l’UGTT, s’est clairement ralliée du côté du président de la République, en
demandant de faire un référendum populaire pour s’exprimer sur la nature du
régime politique en Tunisie. Néanmoins, et en l’absence d’un statut clair du
régime, c’est la partie politique, qui dispose de la possibilité de manœuvrer,
qui mène le bal.
Et à ce titre, ce sont les islamistes
d’Ennahdha qui sont les premiers sur la scène. Il est vrai que Ghannouchi et
Ennahdha ont peur de la possibilité de le destituer.
Mais, face au morcellement notable des partis
politiques, les islamistes continuent à mener le pays. Il n’empêche qu’Ennahdha
et Qalb Tounes (de Nabil Karoui) ont préparé un projet d’articles pour le
règlement intérieur de l’ARP, interdisant le nomadisme parlementaire, pour
faire face à une éventuelle destitution de Ghannouchi. La Tunisie réussit son
combat contre le coronavirus, alors qu’elle vit un plein chaos politique.