Selon l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH), « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ». Comptant pourtant parmi les tout premiers signataires de la CEDH (l’adhésion remonte à 1954), la Turquie fait l’objet d’un contentieux nourri auprès de cette instance. Elle représente plus de 16 % des décisions rendues par la Cour sur la période 1959-2017, et pas moins de 97 décisions constatant au moins une violation des libertés fondamentales rien que sur l’année 2019. Malgré la mise en place d’une plateforme destinée à renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes, la répression se poursuit.
Les derniers rapports d’ONG tels que Reporters sans Frontières (RFS) ou Amnesty International décrivent une situation croissante d’asphyxie de la liberté de la presse. En juillet 2016, le gouvernement a fait l’objet d’une tentative de renversement qui a échoué. S’estimant sous le coup d’une menace terroriste, il a déclaré l’état d’urgence, lui permettant d’adopter une législation liberticide. Le climat ainsi instauré a conduit à de multiples et flagrantes violations de la liberté d’expression – la presse étant la cible privilégiée. À la fin de l’année passée, pas moins de 389 journalistes étaient toujours emprisonnés, confirmant que la Turquie est « la plus grande prison au monde pour les journalistes ».
Une répression polymorphe
L’information est bridée en Turquie. Afin de s’assurer les louanges de la presse, ou du moins éviter les critiques, le gouvernement contrôle la plupart des médias du pays. Sur la trentaine de journaux édités en Turquie, environ 90 % sont détenus par des groupes dirigés par des proches du président. Parmi les derniers faits d’arme du gouvernement, le rachat du groupe Dolgan Holding, groupe majeur des médias, par Erdogan Demirören, un proche du président. En mars 2016, c’est le journal Zaman qui a été la cible de gouvernement. Les locaux ont été investis par la police turque et le journal a été placé sous tutelle judiciaire, conduisant à la nomination de nouveaux administrateurs progouvernementaux.
La volonté de contrôle de l’information a aussi amené le gouvernement à bloquer l’accès à certains sites internet. En avril 2017, l’encyclopédie en ligne Wikipédia a été bloquée sur décision des autorités administratives. Le blocage a été levé en janvier 2020, soit presque trois ans après son entrée en vigueur. Au cours de l’été 2019, un tribunal d’Ankara a rendu une décision interdisant l’accès à une centaine d’adresses internet, dont le site Bianet.org, l’un des derniers médias indépendant du pays. À cela s’ajoute la quasi impossibilité de s’appuyer sur le système judiciaire pour contester de tels actes. Les journalistes sont arrêtés pour des motifs fallacieux, détenus de manière arbitraire, jugés et condamnés à des peines disproportionnées.