Mesures sanitaires : la Turquie a lancé un programme de certification
D'après Amélie Myriam Chelly, la crise a favorisé un
rapprochement entre l'Iran et le Qatar, qui est contraint de changer de modèle
économique.
Depuis
sa mise au ban par la coalition saoudienne, le 5 juin 2017, le Qatar, on le
sait, a renforcé sa relation cordiale avec l’Iran. Avant cette crise politique
initiée par Riyad, beaucoup d’accords et d’alliances engageaient nécessairement
déjà les deux pays (partage du plus grand gisement de gaz naturel au monde -
North Dome/South Pars -, pacte de 2010 réglant des questions de sécurité
frontalière et maritime précisées par plusieurs protocoles additionnels en 2014
et en 2015, etc). Mais avec cette mise au ban, Doha et Téhéran, qui s’opposent
par ailleurs sur un certain nombre de points politiques et stratégiques, ont un
peu plus solidifié leur entente pragmatique pour résister au blocus : commerce
de produits agricoles, aides pour pallier à la fermeture par la coalition arabe
des frontières maritimes, terrestres et aériennes, approvisionnement permanent
en produits alimentaires, etc.
L’Iran a très vite figuré
parmi les premières nations les plus virulemment touchée par l’épidémie après
la Chine
Alors
cette crise du Qatar de 2017 profitait-elle à l’Iran ? A cette question, nombre
d’experts iraniens étaient tentés de répondre par la négative. Quel intérêt
économique réel pouvait en effet être observé dans des échanges commerciaux
avec un marché de seulement 2 millions et demi d’habitants ? Aujourd’hui, la
réponse à cette même question pourrait bien différer, car désormais, avec la
crise sanitaire que le monde traverse, le Qatar a pris toute la mesure de
l’urgence en apportant une aide saluée par les Nations Unies à plusieurs pays,
dont l’Iran, et fait montre d’un grand effort financier et social, à
l’intérieur de ses frontières pour les travailleurs étrangers. En effet,
au-delà de la capacité de Doha à soutenir nombre de pays dans la crise,
capacité témoignant d’une gestion interne efficace, l’émirat s’élance vers une
ère de réformes socio-économiques sans précédent structurant les prémices d’un
droit du travail protégeant les travailleurs étrangers.
DOHA AU SECOURS DE L’URGENCE SANITAIRE IRANIENNE
L’Iran
a très vite figuré parmi les premières nations les plus virulemment touchée par
l’épidémie après la Chine. Entre politique d’immunité collective et mesures de
confinement partiel, la classe dirigeante iranienne a évidemment pris la mesure
des conséquences dramatiques des sanctions internationales sur la gestion de la
crise sanitaire. Si les institutions de santé demandaient le confinement total
pour pouvoir être en mesure de faire face à l’afflux de malades, le
gouvernement refusait pour préserver une économie déjà bien mal en point avec
une inflation autour de 40%, et des difficultés sans précédent liées au prix du
baril de pétrole historiquement bas.
En
théorie, tout Etat refusant l’aide humanitaire à l’Iran se met en porte à faux
par rapport à un arrêt de la cour internationale de justice datant du 3 octobre
2018. Cet arrêt tend à mettre fin aux sanctions contre l’Iran dès lors qu’elles
visent l’importation de biens nécessaires à des fins humanitaires. Loin
d’entraver l’aide humanitaire, Doha s’illustre dans un approvisionnement
efficace en aide médicale. L’émir Sheikh Tamim bin Hamad al-Thani a en effet
ordonné une assistance aux hôpitaux de nombre d’Etats comme l’Algérie, la
Palestine, le Liban, l’Italie, la Tunisie, le Rwanda, le Népal, l’Iran bénéficiant
d’un quatrième lot de plus de 15 tonnes de matériel médical comprenant masques
chirurgicaux, désinfectants ou produits d’hygiène spécifiques. Il est à noter
d’ailleurs que cette assistance ne va pas en diminuant : les cargaisons sont
toujours plus importantes, et ce quatrième lot est sensiblement trois fois plus
important que le premier.
Le Qatar est aussi en train
de procéder à des réformes transformant radicalement les problématiques
nationales liées au droit du travail des étrangers
Au-delà
de l’aide en matériel médical fournie, le Qatar pourvoit aux besoins de
transports aériens de la région : en effet, Qatar Airways a su mettre à
disposition sa flotte pour le rapatriement de milliers de voyageurs dans le
monde tandis que la majorité des compagnies aériennes d’autres pays
interrompaient purement et simplement leur activité. Ainsi, nombre d’Iraniens
notamment ont pu être rapatriés, faisant ainsi à la fois "gagner des
points diplomatiques" au Qatar pour l’aide fournie.
Mais
au-delà des "points marqués" dans le cadre de la gestion de la crise,
force est de constater que le Qatar est aussi en train de procéder à des
réformes transformant radicalement les problématiques nationales liées au droit
du travail des étrangers, réformes qui, de tout évidence, auront un impact
indéniable sur les autres pays de la région, dont l’Iran.
DÉPASSER L’ENJEU SANITAIRE TOUT EN PROCÉDANT À DES
AVANCÉES EN MATIÈRE DE DROIT DU TRAVAIL
La
coupe du monde de 2022 constitue évidemment un enjeu de premier ordre. Non
seulement le travail des ouvriers pour l’événement y sera observé mais leurs
conditions feront aussi l’objet de toutes les attentions à l’échelle
internationale. Dans un pays où 80% de la population est étrangère,
l’établissement de bases d’un droit du travail pourrait chirurgicalement
changer l’organisation du Qatar. Sur la lancée de l’abandon, en 2016, de
la Kafala, Doha annonce des mesures dans le cadre d’une stratégie
de développement : mise en place pour les travailleurs étrangers une limitation
des heures travaillées, l’établissement de contrats de travail alignés sur les
exigences internationales notamment en terme de protection du salarié, le
recours à des assurances, voire, la perspective de goûter à la régularisation,
qu’elle passe par un titre de séjour permanent ou même l’acquisition de la
nationalité.
Ainsi
peut-on penser qu’à la faveur de l’attribution de la Coupe du monde de football
de 2022, le Qatar passerait progressivement d’un système dénué de droit du
travail à une organisation réglant statut et régime de 80% de la population.
L’étape fondamentale de l’abolition de la kafala en 2016,
procédure spécifique mettant un individu sous la tutelle d’un
"parrain" qatari et qui s’apparente, il faut bien l’avouer, à une
totale sujétion du salarié à son employeur, semble donc avoir été le coup de
départ donné à une salve de nouvelles mesures. Possible autre effet positif de
ces avancées sociales sur le rayonnement régional du Qatar ? Outre la
perspective que les autres pays du Golfe se trouvent peut-être contraints de
devoir s’aligner sur ces mesures, il faut envisager une possible dynamisation
scientifique et financière du Qatar.