Publié par CEMO Centre - Paris
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Turquie / France : Une nécessaire amélioration des relations dans l'après-coronavirus (étude)

jeudi 14/mai/2020 - 12:31
La Reference
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Si la Turquie et la France entretiennent des relations diplomatiques parmi les plus anciennes au monde, les tensions entre Ankara et Paris ne cessent de s'intensifier avec l'émergence d'un nouvel équilibre mondial qui sera davantage remodelé dans l’ère post-pandémique.

Ce qui accentue les tensions entre les deux pays, ce sont sans aucun doute deux agendas opposés et des intérêts divergents dans différentes régions du monde malgré des relations historiques cordiales et un bon partenariat commercial.

Or même l’équilibre commercial entre les parties commence à évoluer peu à peu en faveur de la Turquie : Selon les données du ministère français de l'Economie, la Turquie est le 14ème client (5ème hors UE et Suisse) et le 12ème fournisseur (4ème hors UE) de la France. Il est cependant à noter que la montée en puissance de l’industrie turque fait croître les importations françaises en provenance de Turquie tandis que les exportations françaises vers la Turquie se réduisent.Par ailleurs, si selon le ministre français de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, la France devrait connaître la pire récession de son histoire depuis la Seconde Guerre mondiale, selon de nombreuses prévisions économiques dont celles d'un rapport du cabinet d'audit PwC, la France, 6e puissance économique mondiale en 2020, pourrait tomber à la 12ème place en 2050, se faisant passer devant par la Turquie.

A ce contexte de compétition économique s’ajoute la concurrence des deux pays pour s’imposer dans des régions stratégiques comme le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord qui occupent une place particulière dans la politique étrangère de la France. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP en 2002, la Turquie devenue la première puissance économique du Moyen-Orient et s'imposant de plus en plus en Afrique avec notamment son « soft power » basé sur des aides humanitaires et une stratégie commerciale gagnant-gagnant dans la région perturbe de plus en plus les plans de la France.

Main tendue de la Turquie envers la France pendant la crise sanitaire liée au coronavirus

Afin de ne pas rompre les ponts avec un allié stratégique comme la France, la Turquie a quand même opté pour une diplomatie amicale durant la dure crise sanitaire liée à la pandémie de coronavirus en venant à son secours. L’ambassadeur de Turquie à Paris, İsmail Hakkı Musa, a remis à Nathalie Goulet, sénatrice du département de l’Orne, à l’Ambassade de Turquie à Paris, les 500 blouses sanitaires et 20 000 masques envoyés à la France par la Turquie. Le ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, a, par ailleurs, déclaré fin avril que la Turquie avait envoyé de l’aide médicale à un total de 57 pays dans le monde dont des pays développés comme les Etats-Unis, la Chine, le Royaume-Uni, l’Espagne ou l’Italie.

Pour Jana Jabbour, spécialiste de la diplomatie turque à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), cette revanche symbolique démontre que « la Turquie est une puissance forte qui a les moyens d’offrir l’aide aux États européens, désormais eux-mêmes 'malades', au sens propre comme figuré », après que ces pays avaient eux-mêmes rebaptisé l'Empire ottoman avant son effondrement « l'homme malade de l'Europe ».

Or même l’aide médicale de la Turquie en France a fait polémique dans le pays. Au lieu de remercier Ankara pour son aide et exprimer sa gratitude, Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise, connu pour son opposition au président Recep TayyipErdoğan et sa défense de l’organisation terroriste PKK, a déclaré dans un tweet :« La Turquie offre 40 000 masques chirurgicaux et 1000 blouses médicales à la France (Grand-Est et Orne). Macron peut-il nous faire tomber plus bas ? ».

Tensions diplomatiques en escalade

Malgré des essais diplomatiques de rapprochement, il y a des sujets sur lesquels la Turquie et la France n’arrivent pas à trouver un terrain d’entente propice pour les deux parties. Les stratégies suivies par les deux pays notamment en Syrie, en Libye et en Méditerranée orientale attisent les tensions.

En Syrie la France ne s’est jamais montrée solidaire de la lutte de la Turquie contre les YPG, la branche syrienne du groupe terroriste PKK, ni de son projet de créer une zone de sécurité où seront relogés une partie des 3,7 millions de réfugiés syriens sur son sol. Au contraire,le président français Emmanuel Macron a plusieurs fois reçu une délégation composée des éléments des YPG à l’Elysée et a même proposé une soi-disant « médiation » entre le groupe terroriste et la Turquie. Nous avons même appris récemment via le site ArabNews que pendant la pandémie de coronavirus, la France a secrètement envoyé en Syrie une délégation dans le but d’«unifier» les différents partis kurdes en rencontrant en premier lieu une alliance proche du PYD/PKK. Rappelons que le journaliste français Jean-Dominique Merchet avait précisé que « l’offensive turque (Source de Paix) a mis à nu l’impuissance de la France : Paris n’a été capable ni de dissuader la Turquie d’agir, ni de convaincre les Etats-Unis de l’en empêcher, ni de rester militairement aux côtés des YPG».

Par ailleurs, la France a également publié une déclaration conjointe le 12 mai avec l'Egypte, l’Administration chypriote grecque, la Grèce, et les EAU, sur la Méditerranée orientale et la Libye. Cette déclaration a été fustigée par la Turquie qui l'a qualifiée d'«exemple de l'hypocrisie d'un groupe de pays recherchant le chaos et l'instabilité régionaux par les politiques qu'ils mènent et ne voyant aucun mal à sacrifier les aspirations démocratiques des peuples à l'agression impitoyable des dictateurs putschistes, et qui sont tombés dans un délire, car leurs agendas sont perturbés par la Turquie».

Enfin en Libye, la Turquie soutient le gouvernement d'union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, reconnue par l’ONU et soutenue par la communauté internationale alors que la France soutient Khalifa Haftar malgré ses graves violations du cessez-le-feu et attaques contre la capitale Tripoli. Macron a même reçu le chef de guerre à Paris, le 9 mars pour lui exprimer son plein soutien politique et militaire. Lors de son interview avec Le Monde, le 20 avril, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a également critiqué les activités de la Turquie en Libye, en Syrie, en Méditerranée orientale, sa gestion de la crise migratoire et sa présence au sein de l’OTAN suite à son achat du système de défense aérienne russe S-400. La Turquie a qualifié ses propos de «tentative de dissimuler la situation désespérée dans laquelle se trouve la France face à la crise de coronavirus, en prenant pour cible la Turquie».

En conclusion, nous observons clairement que deux alliés historiques se trouvent aujourd’hui dans deux camps opposés sur des questions internationales majeures. La position de la France sur la question arménienne, des médias français biaisés qui s’acharnent contre le président turc Recep Tayyip Erdoğan et la Turquie, le regard bienveillant d’une partie d’opinion publique française envers le groupe terroriste PKK qui poursuit une stratégie de communication de victimisation en Europe sont autant d’autres sujets qui éloignent les deux partenaires.

Le seul moyen de résoudre ces différends est sans aucun doute chercher les moyens d’établir un partenariat « politique » à l’image de la coopération économique des deux pays. Si avant que les relations ne se dégradent davantage, la France cesse de voir la Turquie comme « une menace » mais au contraire agit avec elle sur différents dossiers, les deux pays auraient certainement beaucoup d’avantages mutuels à en tirer.


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