Irini, une opération militaire fragile au large de la Libye
Irini (« paix » en grec) n’en finit pas
d’avoir des ratés. L’opération militaire européenne, qui vise à faire respecter
en mer l’embargo sur les armes imposé à la Libye, a péniblement démarré lundi 4
mai, avec cinq semaines de retard, grâce à la contribution du navire français
Jean-Bart. Las, au bout de quelques heures, le gouvernement de La Valette, qui
était censé réaliser les contrôles physiques sur les navires suspectés de
trafic d’armes, claquait la porte de l’opération. Échaudé par le manque de
solidarité européenne sur la question migratoire, Malte a même menacé
d’appliquer son veto à de futures dépenses pour Irini.
«
Malte est proche du gouvernement d’union nationale de Tripoli (GNA) », souligne Jalel Harchaoui, chercheur à
l’Institut néerlandais des relations internationales Clingendael. Et il
considère que l’opération Irini n’est pas neutre dans la guerre civile qui
divise la Libye. La Turquie utilise principalement la mer pour soutenir le GNA
alors que les Émirats arabes unis passent par les voies terrestres et aériennes
pour renforcer le maréchal Khalifa Haftar, qui contrôle l’est et le sud.
Une politique de la terre brûlée
Malte est aussi soucieux de s’attirer les
faveurs de la Turquie, son principal fournisseur d’armement, rappelle le
quotidien Malta
Today pour expliquer ce nouvel axe Ankara-La
Valette-Tripoli. « Il n’est pas exclu que le consensus européen autour de
la position française résolument pro-Haftar continue de se fissurer. Un courant
critique voit le jour au sein des autorités grecques », poursuit Jalel Harchaoui.
La Turquie, sentant le vent tourner, a troqué
la mer pour l’air. Elle affrète quotidiennement des avions-cargos qui se posent
à Misrata, à 200 kilomètres à l’est de Tripoli. Cela a permis aux milices
pro-GNA d’engranger des succès sur le terrain ces dernières semaines.
L’armée de Haftar riposte, elle, avec une
politique de la terre brûlée. « Elle fait un usage massif de mines
antipersonnel et de roquettes, de type Grad, utilisées de manière indiscriminée
et qui tuent surtout des civils. Haftar veut empêcher une victoire positive. Il
inflige une punition collective sur le thème” il n’y aura pas de paix en Libye
occidentale tant qu’il y aura une présence turque” », analyse Jalel Harchaoui.
Le spectacle « terrifiant » des pluies de roquettes
La mission de l’ONU en Libye (Unsmil) s’est
inquiétée, le 8 mai, du « spectacle devenu très familier, mais terrifiant » de pluies de roquettes sur Tripoli, qui ont
fait une vingtaine de morts et plus de 60 blessés entre le 6 et le 10 mai. Dans
son rapport remis le 5 mai au Conseil de sécurité de l’ONU, la procureure
générale de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, a dit
enquêter sur des faits constituant des crimes de guerre – commis depuis que les
troupes de Haftar ont lancé en avril 2019 leur offensive sur Tripoli –, et
travailler sur des demandes de nouveaux mandats d’arrêt.
Le maréchal Haftar est cependant loin de
déclarer forfait. Il ne cache plus ses ambitions politiques et promet
d’annoncer sous peu un nouveau gouvernement de fidèles dans l’Est libyen. « Avec le soutien des Émirats arabes unis, il
prévoit de créer une nouvelle banque centrale pour la Cyrénaïque, qui pourrait
alors vendre du pétrole, et s’attelle à discréditer la Tripolitaine, qu’il
considère comme une enclave turque liée aux islamistes radicaux, poursuit Jalel Harchaoui. Cela pourrait annoncer une partition de la Libye. »
Le choix toujours attendu du successeur de
Ghassan Salamé, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Libye qui a démissionné le 2
mars, sera éclairant sur le fait de savoir si la balance penche en faveur d’un
camp.