La France et les épidémies : 2010-2011, le changement de doctrine
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Aux racines de la crise sanitaire française 3|5. Dans une
série d’enquêtes, « Le Monde » revient sur la stratégie nationale en
matière sanitaire depuis vingt ans. Aujourd’hui, le lent glissement vers un «
désarmement ».
Il
n’en peut plus. En cinq ans passés à la tête de l’incontournable
Direction générale de la santé (DGS), où il a été nommé en mars 2005, le
professeur Didier Houssin s’est rarement senti aussi amer qu’en ce printemps
2010. La controverse sur la gestion de la grippe A(H1N1) et l’achat, dans des
quantités jugées excessives, de vaccins et de masques est venue entacher un
parcours sans faute aux côtés des ministres de la santé, d’abord Xavier
Bertrand puis Roselyne Bachelot. La période est peu charitable pour
ce médecin-fonctionnaire : il a les médias sur le dos, mais aussi certains
responsables politiques, et voilà même que la police s’en mêle. « J’ai
passé une journée rue du Château-des-Rentiers (siège à l’époque de la
police financière parisienne), parce que, en gros, on voulait savoir si
on avait été, au mieux, roulé par l’industrie, au pire, corrompu pour l’achat
des vaccins ! On en a bavé des ronds de chapeaux, avec Roselyne… »,
se rappelle Didier Houssin. L’ancien chef de service de l’hôpital Cochin a une
bonne tête de bouc émissaire.
Discréditer le pouvoir sarkozyste
De
fait, l’heure est aux grandes explications. Sur France 3, la journaliste
Elise Lucet somme le ministère de la santé de battre sa coulpe sur l’argent
dilapidé ; les médecins libéraux, mis de côté pendant la campagne de
vaccination, sont furieux. Quant à l’opposition, elle est sur le qui-vive,
déterminée à discréditer un peu plus un pouvoir sarkozyste par ailleurs
encalminé dans l’affaire Bettencourt à partir du mois de juin. Une commission
d’enquête parlementaire sur la gestion de la crise A(H1N1) a vu le jour
quelques mois plus tôt, en février 2010, au grand dam de l’UMP. Au beau
milieu de ce capharnaüm, il y a donc le professeur Houssin, usé par la
fonction. Au point qu’il utilise une drôle d’unité de mesure pour étalonner les
piles de dossiers entassées dans son bureau : le « kilomètre ».
Mais
la vraie victime est ailleurs. Ci-gît la politique de sécurité sanitaire
française, durablement touchée par le scandale. « J’étais très
amer, se souvient M. Houssin. On a essayé de faire notre
boulot, tout simplement. Et on s’en est pris plein la poire… » Le
discours de raison n’est plus audible. A la prochaine crise sanitaire, gare au
retour de manivelle, se prennent à penser les professionnels de la santé. C’est
donc là que se situe le nœud de l’affaire. Les prémices du « désarmement ».