Crise en Libye: Le repositionnement radical de la Tunisie
Le message de la Présidence à toutes les parties intervenant dans le dossier libyen est clair : la question sécuritaire créée, que ce soit par la guerre civile en Libye ou par le biais d’interventions militaires, notamment à travers les milices, porte atteinte de manière très profonde à notre sécurité nationale. La crise libyenne ne cesse de se perpétuer depuis la chute du régime du colonel Kadhafi, comme en témoigne la situation sécuritaire fragile causée par la guerre entre les deux camps du Maréchal Khalifa Haftar et le gouvernement d’union nationale de Faiez El-Sarraj reconnu par la communauté internationale. L’impacte de cette crise sur la situation en Tunisie, notamment sur le plan sécuritaire et économique, n’est plus à démontrer. Au moment où le monde s’attelle à combattre le coronavirus, notre pays est appelé à sécuriser ses frontières dans un contexte géopolitique très complexe marqué par les immixtions étrangères.
Carthage se penche sur le dossier
Pressentant la gravité de la situation, le président de la République, Kaïs Saïed, a présidé à la fin du mois d’avril dernier une réunion dédiée à l’examen de la situation en Libye en présence du chef du gouvernement, des ministres de la Justice, de la Défense nationale, de l’Intérieur et des Affaires étrangères, ainsi que de nombreux cadres sécuritaires et militaires. La réunion s’est tenue quelques jours après le «passage forcé» au poste frontalier de Ras Jedir, pourtant fermé depuis le 16 mars, par des centaines de Tunisiens qui étaient bloqués sur le territoire libyen et juste après le rejet du gouvernement d’Union nationale basé à Tripoli de la trêve annoncée unilatéralement par le maréchal Haftar.
Lors de la réunion présidée par Kaïs Saïed, la Tunisie a rejeté toute éventuelle division en Libye et sous n’importe quelle forme et a confirmé son rattachement à la légitimité internationale, tout en soulignant la nécessité de trouver une solution interne en dehors de toute ingérence étrangère. Convenant que la Tunisie est le pays le plus touché par la crise, la communauté internationale est appelée à prendre en compte «les préjudices subis» par notre pays, a fait savoir la Présidence suite à cette réunion qui a abouti à la constitution d’un groupe de travail rassemblant toutes les parties prenantes en vue de suivre l’évolution de la situation et apporter les ripostes nécessaires en cas d’urgence.
Il était temps car le pays a fini par être dirigé par deux commandements. La situation en Libye, dont les richesses pétrolières font l’objet de convoitise de plusieurs Etats, inquiète à plus d’un titre le président de la République, garant de l’indépendance, de la souveraineté et l’intégrité du territoire, d’autant plus que les observateurs n’hésitent plus à parler de transformations géopolitiques en vue dans cette région avec l’appui de groupes terroristes et de mercenaires sur fond d’ingérence étrangère flagrante. Pour rappel, la France avait accusé la Turquie d’avoir acheminé des armes et des mercenaires syriens en Libye.
Commentant les propos du Président Kaïs Saïed lors de la réunion, le spécialiste de la question libyenne, le chercheur Rafaâ Tabib, nous explique dans un bref témoignage qu’il s’agit d’un repositionnement radical de la part du Président de la République après une certaine période de prise de connaissance des dossiers inhérents aux relations internationales, de la situation géostratégique et géopolitique autour de la Tunisie et notamment le dossier libyen qui est un dossier éminemment complexe. A ce titre, la Présidence a émis une « restriction claire » concernant le traitement de ce dossier uniquement au sein de la Présidence à travers le groupe de travail qui a été mis en place et chargé par le Président de suivre la situation en Libye. Aucune autre instance dans le pays n’est autorisée à interférer dans ce dossier.
L’interaction est telle que la présidence a été dans l’obligation de tracer des lignes de démarcation bien claires, souligne notre expert. Et d’ajouter que les rapports entre la Tunisie et la Libye sont des rapports entre un Etat et une situation politique, un Etat et une configuration géopolitique extrêmement complexe et surtout atypique. On ne peut donc permettre aux partis politiques tunisiens et d’autres instances non autorisées d’interférer dans ce dossier. Le deuxième point important évoqué par le Président de la République a trait au fait que la Tunisie est le pays le plus touché par la crise.
D’après Tabib, beaucoup de gens n’ont pas bien compris les propos du Chef de l’Etat et ne lui ont pas accordé beaucoup d’intérêt, croyant qu’il ne fait qu’évoquer les répercussions économiques. Au fait, Kaïs Saïed parlait de choses plus complexes et plus profondes. La Présidence a voulu dire à toutes les parties qui sont en train d’intervenir dans le dossier libyen que la question sécuritaire créée que ce soit par la guerre civile en Libye ou par le biais d’interventions militaires, notamment à travers les milices, porte atteinte de manière très profonde à la sécurité nationale tunisienne.
En d’autres termes, le fait d’avoir ramené des milices et des mercenaires qui sont surtout connus par leurs relations et leurs rapports avec les fractions classées terroristes à l’intérieur même de la Tunisie, à l’instar de Jabhat Al-nosra qui compte parmi ses fractions des groupes et des éléments de Ansar Al-charia, nuit à notre pays. Par conséquent, la Tunisie est en train de voir d’un mauvais oeil la création d’un territoire, d’un théâtre d’action pour ces milices à ses frontières avec comme acteurs principaux les terroristes. « En mettant en exergue cette question, le message du Président de la République est d’autant clair : ce qu’on appelle «le jihadisme » dans d’autres régions est notamment l’oeuvre de ces factions terroristes», conclut-il.