La France et les épidémies : 2005-2007, le temps de « l’armement »
Aux racines de la crise sanitaire française 1|5. « Le Monde »
revisite la stratégie nationale en matière sanitaire depuis vingt ans. Premier
volet, la prise de conscience des ministres de la santé, au milieu des années
2000.
Barré
du tampon « Confidentiel », le rapport date du mois
d’avril 2005. Rédigé au terme d’un an d’enquête par l’Inspection générale
de l’administration (IGA) à la demande du ministre de l’intérieur de l’époque,
Dominique de Villepin, sa lecture, quinze ans plus tard, en pleine crise du
Covid-19, donne le vertige tant le document apparaît prémonitoire.
Jamais
rendu public, cet épais rapport, que Le Monde a exhumé, porte
sur « l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs
publics » en cas de pandémie – grippale en l’occurrence –, mais
aussi de « crise majeure au cours de laquelle la situation économique,
l’appareil social, les structures administratives sont durablement perturbés,
notamment une “crise sanitaire grave” ». Décrit méticuleusement sur
160 pages par l’inspecteur général Philippe Sauzey et l’inspectrice
générale Chantal Mauchet, le scénario catastrophe s’est révélé prophétique. Il
aurait pu être utile.
Pourtant,
en ce début d’année 2020, lorsque le coronavirus déferle sur le pays, les
pouvoirs publics sont totalement pris de court et rapidement débordés :
manque de lits de réanimation, absence de tests, pénurie d’équipements de
protection et notamment de masques, sans compter les multiples tergiversations
sur la stratégie à adopter… L’Etat
s’est tout simplement désarmé.
C’est
ce « désarmement » sanitaire que Le Monde a
reconstitué. Avec, en guise de fil rouge, ces fameux stocks de masques dont les
fluctuations au fil des ans épousent celles des politiques menées par les
gouvernements successifs. Cette plongée au cœur du système sanitaire permet de
comprendre, témoignages et documents inédits à l’appui, comment et pourquoi
l’Etat, pourtant informé des risques encourus, a baissé la garde, négligé les
multiples avertissements qui lui sont parvenus, et laissé se déliter
l’ambitieux et efficace dispositif mis en place au début des années 2000. Mais,
à en croire la mythologie grecque, plus Cassandre prédisait
l’avenir avec précision, moins elle était entendue…
Visionnaire, le rapport de l’IGA
anticipait, par exemple, « l’insuffisance vraisemblable, à court
terme, des équipements de protection », et recommandait aux services
étatiques « de constituer sans tarder » des stocks
de masques
Car
le rapport de l’IGA avait tout prévu, ou presque. Evoquant l’apparition
d’un « nouveau virus humain particulièrement virulent »,
il pronostiquait le déclenchement d’une « crise d’une
exceptionnelle gravité », « par son ampleur, la rapidité
de sa propagation, la perturbation généralisée qu’elle engendrerait ». « Cette
perturbation, avertissait l’IGA, serait sans doute accrue par
les mesures mêmes de lutte contre la pandémie, qui tendent à modifier les
comportements individuels et les habitudes, et qui seraient, sans aucun doute,
surprenantes pour beaucoup de nos concitoyens »…