En Afrique, le confinement sauve des vies mais ruine des existences
Dans une pièce sombre en rez-de-chaussée à Lagos, Kemi Adepoju, une couturière, regarde les robes qu'elle a fabriquées mais qu'elle est incapable de faire livrer en raison du confinement mis en oeuvre pour freiner la propagation du coronavirus.
"Ce confinement nous est tombé dessus subitement. J'avais dépensé tout mon argent pour acheter du tissu. Si j'avais su, j'aurais plutôt acheté de quoi manger", dit cette mère de deux enfants qui travaille dans une pièce qu'elle loue à Iwaya, un des faubourgs de la ville la plus peuplée du Nigeria.
Le risque sanitaire a mis à l'arrêt la mégalopole nigériane aux 20 millions d'habitants et la capitale administrative, Abuja, il y a une semaine. La mesure a été prise pour une durée d'au moins 14 jours.
Comme des millions de personnes en Afrique, Kemi Adepoju travaille dans le secteur informel qui fournit plus de 85% des emplois à travers le continent et ne touchera qu'une maigre portion des mesures de soutien mis en oeuvre par des gouvernements à court de liquidités.
Le Fonds monétaire international (FMI) estimait le mois dernier que la "distanciation sociale" en Afrique n'était pas une option réaliste pour les plus démunis. Quant à l'idée de travailler depuis chez soi, elle ne peut s'appliquer qu'à une toute petite minorité de gens.
"Les mesures qui sont fondamentales pour ralentir la propagation du virus auront un coût direct pour les économies locales", écrivaient Karen Ongley et Abebe Aemro Sélassié le 25 mars dernier sur le blog du FMI https://www.imf.org/fr/News/Articles/2020/03/25/blog-in-it-together-protecting-the-health-of-africas-people-and-their-economies.
"Le bouleversement de la vie quotidienne se traduira par une diminution des activités rémunérée, des revenus, des dépenses et du nombre d’emplois", ajoutaient la chef de mission du FMI pour la Sierra Leone et le directeur du département Afrique du Fonds.
RUISSELLEMENT ?
Le gouvernement nigérian a annoncé un moratoire sur le remboursement des crédits publics aux petites et micro-entreprises. Il a ajouté que ces dernières se verraient proposer des aides similaires à celles accordées aux grandes entreprises.
Mais Muda Yusuf, directeur général de la Chambre de commerce de Lagos, indique que les auto-entrepreneurs vivant en ville ne bénéficieraient pas de ces mesures centrés principalement sur les zones rurales. Et ajoute que rien n'a été fait sur le remboursement des crédits commerciaux.
"Il est peu probable que ces mesures ruissellent jusqu'aux gens présents dans le secteur informel", dit-il.
Le gouvernement dit avoir commencé à transférer de l'argent vers les foyers les plus pauvres. Mais la Banque mondiale estime que 60% des Nigérians n'ont pas de compte bancaire. Et nombre d'entre eux n'ont pas accès non plus aux applications sur téléphone mobile qui permettent les transferts d'argent.
Aussi le risque existe-t-il que les aides publiques ne parviennent pas à ceux qui en ont le plus besoin, prévient Tunde Ajileye, du cabinet de consultants IBM Intelligence.
Les difficultés financières du Nigeria, qui souffre de la chute des cours du pétrole, n'arrangent rien.
DÉFIER LE CONFINEMENT POUR SURVIVRE
Même l'Afrique du Sud, le pays à l'économie la plus développée du continent, n'a pas été en mesure de mettre sur la table un plan massif de soutien budgétaire. Car avant l'apparition de l'épidémie, le pays était déjà en récession avec un chômage tournant autour des 30%.
Le gouvernement a accordé aux petites entreprises un allègement fiscal de 500 rands (environ 24 euros) par mois et par employé pour une durée de quatre mois. Les entreprises générant moins de 50 millions de rands (2,4 millions d'euros) de chiffres d'affaires seront par ailleurs autorisées à différer de quatre mois le paiement de 20% des cotisations sociales.
Mais à ce jour, rien n'a été prévu pour l'économie informelle qui fournit un emploi à 25 à 30% des actifs, d'après la Banque mondiale.
Pour survivre, certains défient donc les mesures de confinement décrétées pour une durée de trois semaines.
"Je sais que je ne suis pas censée être là mais je n'ai pas le choix", disait Lucy Malimele, 69 ans, une vendeuse de légumes croisée la semaine dernière sur un marché de Soweto. "Si je n'étais pas venue, poursuivait-elle, je n'aurais pas eu les moyens de m'acheter ces deux miches de pain."
Soulignant qu'avant la crise, elle pouvait gagner jusqu'à 300 rands "les bons jours", elle ajoutait qu'elle nourrit toute sa famille, dont huit petits-enfants qui n'ont plus leurs parents. "Je ne peux pas les laisser, il faut bien que je trouve le moyen de les nourrir", disait-elle.
"Je ne peux pas dire si le gouvernement a tort ou a raison de faire ça, mais il me semble que seuls ceux qui ont de l'argent survivront", poursuivait-elle.
Quelques minutes plus tard, des policiers et des soldats débarquaient sur le marché, donnant cinq minutes aux vendeurs pour se disperser sous peine d'arrestation.